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Quand C’est pas sorcier s’invitait à Sochaux

Par Adrien Hémard
9 minutes
Quand C’est pas sorcier s’invitait à Sochaux

Un générique culte, une petite voix et un présentateur à lunettes devenu une figure de la pop culture : pendant vingt ans, l’émission C’est pas sorcier a fait découvrir le monde aux enfants assis devant leur télévision à coups de maquettes et de jeux de mots. En 559 émissions, le camion de Fred, Sabine et Jamy devait bien s’arrêter au moins un jour au bord d’un terrain de foot. C’était en 2006, du côté du FC Sochaux. Allez Marcel, en route !

« J’ai un gros problème, c’est que je suis nul en foot. Quand je vous dis nul, c’est que je ne sais même pas qui est leader du championnat. Je n’ai rien contre le foot, mais ce n’est pas mon sport. » À l’autre bout du téléphone, Jamy Gourmaud se marre. Quinze ans après la diffusion du numéro de C’est pas sorcier sur les coulisses du football, le présentateur passe aux aveux : « Le foot, ce n’était pas mon sport parce que je porte des lunettes. Enfant, c’était compliqué de faire une tête. Je me suis un petit peu écarté des terrains de foot et j’ai fait du basketball à la place où on ne joue pas avec la tête, tout simplement. » Une explication limpide, comme toutes celles du bonhomme qui a passé une vingtaine d’années dans le camion mythique de l’émission à expliquer toute sorte de phénomènes scientifiques. Sauf que ce jour de 2006, dans le dos de Jamy, ce ne sont pas des maquettes ou des affiches explicatives, mais bien les maillots des clubs de Ligue 1 qui ornent la pièce. Jamy justifie : « Il n’y avait pas besoin qu’un sujet soit scientifique pour être traité dansC’est pas sorcier, c’était une émission de science et de découverte. »

Lassana Diarra, vin blanc & toro

Journaliste et en charge des maquettes de l’émission, Emmanuel Pernoud abonde : « On a fait un numéro sur le tennis, sur le rugby… On a fait des émissions sur les religions, sur les élections municipales… » Jamy se souvient, lui, d’un numéro sur le ski alpin : « C’était beaucoup plus facile à aborder de façon scientifique. Là, on était typiquement dans une émission de sciences avec tous les phénomènes de neige et de glisse qui font appel à des notions de sciences. Donc on était vraiment dans notre élément, contrairement au football. » Mais alors, pourquoi s’aventurer sur ce terrain-là ? La volonté de s’ancrer dans l’actualité de la Coupe du monde de 2006, d’abord, mais aussi de rebondir sur les inquiétudes de la formation française de l’époque. « Journaliste, j’étais à peu près le seul àC’est pas sorcier qui aimait le foot. Fred jouait un peu, mais sans trop suivre. Et ce n’est pas moi qui voulais faire cette émission, assure Emmanuel Pernoud. On parlait beaucoup des jeunes des centres de formation qui partaient très tôt à l’étranger, notamment Lassana Diarra à Chelsea. C’était une volonté de Fred d’expliquer le foot au niveau de sa formation. » En 25 minutes montre en main, C’est pas sorcier se lance alors le défi de donner un point de vue global du football, de la formation aux pros en passant par l’économie d’un club.

Seul footeux de l’équipe, Emmanuel hérite de l’enquête. « On fabriquait 35 émissions par an, on ne pouvait pas tout faire », avoue Jamy, qui a coécrit ses plateaux avec le journaliste, lui-même corédacteur du scénario de l’émission avec la réalisatrice Isabelle Hostalery. Comme le Barça de Rijkaard à l’époque, le collectif est huilé. « Ce numéro, on l’a écrit en repérage à Sochaux en buvant du vin blanc dans un bar. D’où les cinq minutes un peu délirantes, à la fin. L’ambiance était, disons, légère et festive dans le bar. C’est pour ça que sur les cinq dernières minutes, il n’y a pas beaucoup d’infos », se marre aujourd’hui Isabelle Hostalery. Car c’est, effectivement, chez les Lionceaux que le camion de C’est pas sorcier s’est garé. « On voulait faire un club formateur de jeunes, donc on oubliait Paris, Lyon et Marseille. C’est vrai qu’il y avait Auxerre, mais ils étaient déjà sur la pente dégringolante. Nantes nous avait dit non, et à Sochaux, la réponse a été positive. On a été très bien accueillis », rejoue Pernoud. À la tête de l’équipe première à l’époque, Dominique Bijotat n’a pas franchement hésité. Et pour cause, le technicien était un fan de l’émission : « J’aimais bien son rythme, son style. Quand ça nous a été proposé, on a vite dit oui. On ne savait pas comment on allait intervenir, mais c’était intéressant. Ça expliquait bien comment se construisait une carrière de jeune footballeur, puis comment il atterrissait en pro. » L’entraîneur sochalien y voit une bonne occasion de lever le voile sur les arcanes de la formation : « Beaucoup de personnes avaient une mauvaise notion de la trajectoire d’un jeune footballeur, je m’étais dit que ça pouvait servir. »

Basse température et trucages

En plein hiver, les équipes de C’est pas sorcier s’invitent au centre d’entraînement du FC Sochaux-Montbéliard. « Il pleuvait, il faisait froid… C’était compliqué », resitue Emmanuel Pernoud, réchauffé par l’accueil de Jean-Luc Ruty, directeur du centre de formation. Et puis, Fred est arrivé : « Les gamins n’avaient pas encore l’habitude des caméras, mais quand Fred est venu, il a fait un toro avec eux. C’était drôle. Ils étaient assez sérieux déjà, à dix-sept ans. Il n’y avait pas beaucoup de folie, ils étaient enfermés dans leur milieu, et je ne suis pas sûr qu’ils regardaient beaucoup la TV, développe le journaliste, marqué par les scènes hors des terrain. On les avait suivis en cours, c’était assez rare de voir ces images de footballeurs en classe à l’époque. » Le lendemain, place aux choses sérieuses : Fred s’invite à l’entraînement des pros, sans aucune barrière.

Ce qui étonne encore Emmanuel Pernoud : « On a pu entrer dans les vestiaires comme ça, Fred a pas mal couru. » Pour masquer les lacunes techniques du journaliste vedette, Isabelle Hostalery multiplie les plans serrés et les coupes : « Sur le pré-générique, quand il dribble, c’est en plusieurs plans. Après, on a mis des plans de coupe, ce qui donne l’impression qu’il dribble longtemps. Mais il n’était pas si mauvais, pour un mec qui ne fait pas de foot. » Poli, Dominique Bijotat se souvient d’une « boule d’énergie » plus que d’un joueur : « Ce n’était pas un rôle facile pour lui de rentrer dans un groupe comme ça, il a un peu tourné au toro.(Rires.) »

C’est pas sorcier de se maintenir

Sans le savoir, Frédéric Courant (de son nom complet) contribue alors au maintien du FC Sochaux. C’est en tout cas la version de Bijotat, quinze ans plus tard : « Il avait une volonté, un dynamisme et un enthousiasme qui nous ont fait du bien. Il était très nature, ça nous a franchement redonné une bouffée d’oxygène et on est reparti sur les bases mêmes du football. » Car en cet hiver 2006, le FC Sochaux bataille pour sa survie en Ligue 1. Ce qui reporte la deuxième partie du tournage, prévue le jour d’un match. « Ils ont terminé la saison en jouant le maintien, et ne voulaient pas qu’un tournage vienne interférer. C’était tendu, ils repoussaient systématiquement », rapporte Pernoud. Les équipes de France 3 posent finalement leurs caméras à Bonal le 15 avril 2006, pour la réception de Strasbourg.

« On a un peu triché. Les scènes où Fred est sur le banc, on les a tournées la veille du match. Les joueurs étaient hyper disponibles, ça les a fait marrer, notamment quand on a reproduit la pub de Zidane. On n’avait pas choisi le club par hasard non plus, on savait qu’il y avait un capital sympathie à Sochaux », savoure encore Isabelle Hostalery. Tête d’affiche de ce casting réussi : Souleymane Diawara. « Il s’est régalé ! Ça lui a donné l’opportunité de travailler son humour, il a chambré comme il fallait, balance Bijotat, qui n’a pas été le dernier à jouer la comédie devant les caméras. C’était particulier, hein. (Rires.) Quand le sujet nous intéresse, on est forcément plus motivé. La crainte était qu’on soit crispés, mais les équipes deC’est pas sorcier nous ont accompagnés tranquillement. On a répondu comme s’ils n’étaient pas là, comme si nous n’étions pas filmés et on a déconné comme on le fait dans un groupe de joueurs professionnels. »

L’OM de l’émission

Et si le vestiaire sochalien déconne devant les caméras, c’est parce que le club valide ce soir-là son maintien grâce au match nul contre Strasbourg (1-1). « Finalement, la présence deC’est pas sorcier nous a enlevé un petit peu de pression, insiste Bijotat. C’était plus facile de tourner après ce match avec le maintien, évidemment, on était plus détendus. La personnalité de Fred a fait qu’on est restés assez détendu quand même, on a occulté cette pression par rapport à notre métier. » Pour les troupes de CPS, le défi vient d’ailleurs : du parcage strasbourgeois. Condamnés à la Ligue 2 et frustrés par le nul sur la pelouse du rival sochalien, les supporters alsaciens se lâchent : « Ils ont reconnu Fred, et ont commencé à chanter« C’est pas Sorcier, on t’enc*le, Fred on t’enc*ule », se marre Emmanuel. Surtout qu’on avait fait venir le kop sochalien dans la tribune à côté d’eux pour tourner notre séquence avec Fred, donc ça a un peu chauffé. » Le tournage ne reprendra finalement qu’après évacuation du parcage. Les banderoles Fred sont de sortie, ne reste plus qu’à mettre la main sur un joueur sochalien pour tourner l’entrée en jeu de Fred. « Le quatrième arbitre a accepté de rester, mais on n’avait plus de joueur parce qu’ils étaient tous partis fêter leur maintien », raconte Pernoud. Encore une fois, le sauveur se nomme Souleymane Diawara : « Il n’avait plus son maillot parce qu’il l’avait offert à un supporter, c’est pour ça qu’on le voit sortir avec le maillot de Potillon », précise le journaliste, qui se trouve aussi être le fan qui demande un autographe à Fred quelques minutes plus tôt dans la boutique.

En revanche, c’est bien la voix d’Eugène Saccomano qui commente le but contre son camp de l’animateur. Pour le plus grand plaisir d’Emmanuel Pernoud : « On avait dit en rigolant qu’il fallait Saccomano pour le gag de fin d’émission, il n’a pas tout compris à ce qu’on disait, mais il l’a fait sans comprendre pourquoi. » Un peu comme Jamy dans son camion, où les couleurs d’un club brillaient un peu plus que d’autres de l’aveu d’Emmanuel : « Tous les clubs nous avaient envoyé leur maillot, mais vous remarquerez qu’il y a plus de maillots de Marseille. » Ça, et un petit « Allez Marcel, à Sochaux, et droit au but » en pré-générique : « Je suis du Sud, Manu est pour l’OM. Donc de façon subtil, on a un peu mis l’OM en avant. Il y a un gros drapeau aussi à la fin, mais on voit aussi des maillots du PSG hein !, tempère Isabelle Hostalery. Mes fils sont supporters du PSG et du coup, ils ne veulent pas regarder l’émission. » Ce qui n’a heureusement pas été le cas de la majorité, à en croire Dominique Bijotat : « On m’en a parlé pendant un certain temps, les années qui ont suivi. » Et on en reparle encore quinze ans après, même du côté de chez Jamy Gourmaud : « Je prenais du plaisir dans toutes les émissions où je n’avais pas de connaissances au départ, donc j’ai pris beaucoup de plaisir avec leC’est pas sorcier sur les coulisses du football. » Les téléspectateurs aussi.

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Par Adrien Hémard

Tous propos recueillis par AH.

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