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Przemysław Frankowski, un nouveau chapitre dans l’histoire polonaise de Lens

Par Raphaël Brosse et Florent Caffery, à Lens
Przemysław Frankowski, un nouveau chapitre dans l’histoire polonaise de Lens

Przemysław Frankowski a 26 ans et un prénom qui ferait office de mot de passe inviolable. Avec sa mèche de Tintin et son allure de daron rangé, le Polonais est surtout devenu l’une des coqueluches d’un Bollaert qui a renoué avec sa « Polska touch ». Piston infatigable, il a ravivé la flamme polonaise dans le bassin minier. Comme à Chicago, d’ailleurs, où il avait choisi de s’exiler contre l’avis de beaucoup. Portrait d’un type qui, sur une pelouse, file autant le tournis qu’une vodka premier prix.

Bollaert-Delelis, le 24 octobre dernier. Le Racing Club de Lens balaye Metz (4-1). En fin de match, Przemysław Frankowski est à la conclusion d’un énième mouvement collectif pour sceller la fessée artésienne. Son troisième but de la saison (il en est à quatre désormais) et sûrement l’un des plus symboliques, le club ayant ce jour-là rendu hommage au Polonais Eugeniusz Faber, 53 buts en 130 matchs sous la tunique sang et or (1971-1975). « Quelques semaines plus tôt, il y avait eu l’enterrement de Faber à l’église de Liévin, délivre Joachim Marx, légende lensoise des années 1970. Lors de la cérémonie, les trois quarts des personnes étaient polonaises. Évidemment, il y avait de la tristesse, mais tout le monde ne parlait que de Frankowski. Sa venue a fait du bien à beaucoup de gens. »

La tradition du ski nordiste

Florent Ghisolfi, coordinateur sportif du Racing, avait « pour objectif de faire venir un joueur polonais » depuis son arrivée. Le pari est osé, mais rapporte déjà gros. « Ce n’était pas un critère de recherche, mais c’est un point positif supplémentaire que de savoir qu’historiquement, les Polonais se sentent chez eux sur cette terre », poursuit Ghisolfi. Frankie (pour les intimes) a beau jurer qu’il n’est « absolument pas un symbole », tout en se réjouissant « de voir qu’il y autant de Polonais ici » et de « repérer des drapeaux en tribunes », l’écho de son transfert s’est propagé à travers les terrils du bassin minier, orphelin depuis le départ de Jacek Bąk en 2005.

Quand on pense à la région, on pense à la mine et aux Polonais. Ce qu’il se passe avec Frankowski, c’est un retour aux sources.

« Quand on pense à la région, on pense à la mine et aux Polonais, jure Gervais Martel, l’ancien boss lensois. Ce qu’il se passe avec Frankowski, c’est un retour aux sources. » Les frères Lech (Georges et Bernard), Ryszard Grzegorczyk, Arnold Sowinski… Tous ces noms font partie intégrante de l’histoire des Sang et Or. Joachim Marx insiste : « On me disait de ramener des Polonais quand j’étais dans la cellule de recrutement du Racing, pendant les années 2000. Il y a d’abord eu la génération des Polonais d’origine et natifs de Lens qui travaillaient dans les mines, puis celle des gars ayant pu passer à l’Ouest durant la guerre froide et, enfin, ceux qui ont profité de l’arrêt Bosman, dans les années 1990. » Joachim Marx est lui-même d’un temps révolu, où André Delelis, alors maire de Lens, avait envoyé une lettre au président de la République Valéry Giscard d’Estaing pour appuyer son départ de Chorzów, en octobre 1975 : « Je n’ai pu quitter la Pologne qu’à 31 ans, après avoir suffisamment servi dans mon club. Le mercredi, j’étais au consulat français pour obtenir mon visa. J’ai dit au revoir à ma famille, j’ai pris l’avion depuis Varsovie, et le jeudi, j’étais à Lens. Arnold (Sowinski) m’a demandé si j’avais des chaussures et si je n’étais pas blessé. Le lendemain, je débutais avec Lens à Bollaert, et je mettais trois buts à Lyon. » Bien sûr, Przemysław Frankowski est à des années-lumière de cette époque. S’il refuse l’étiquette de « symbole », Marx parle pourtant de lui comme d’un « marqueur pour Lens. J’ai reçu plein de messages à l’annonce de son transfert, des gens pensaient que j’avais facilité sa venue.(Rires.)Les dirigeants ont tout compris. Dans les magasins ou au stade, on me dit :« Heureusement qu’il y a de nouveau un Polonais, tu as vu comment il joue ? » »

Cadeau d’anniversaire, prestigieux homonyme et goût du risque

Ce Polonais, justement, parlons-en. Pour Przemek, tout commence à Gdańsk. Son histoire, c’est d’abord celle d’un gamin qui regarde avec envie ses deux grands frères jouer au foot, en trépignant d’impatience à l’idée d’être enfin suffisamment « grand » pour avoir le droit de taper la balle avec eux. Comme une évidence, c’est au sein du principal club local, le Lechia, qu’il lance sa carrière professionnelle. Performant avec la réserve, le milieu offensif finit par attirer l’attention de l’entraîneur de l’équipe première, Bogusław Kaczmarek, formateur chevronné et reconnu pour ne jamais hésiter à lancer des jeunes dans le grand bain. Pour l’intéressé, le baptême du feu a lieu en avril 2013. « Deux jours après mon dix-huitième anniversaire, Bobo s’est approché de moi et m’a dit :« J’ai un cadeau pour toi. »Il m’offrait mes débuts en pro ! » Ce présent particulier prend la forme d’un match de championnat à domicile, que les Biało-Zieloni perdent face au Jagiellonia Białystok (2-3). Clin d’œil du destin : c’est justement au Jaga que Frankowski poursuit sa carrière, quittant la perle de la Baltique pour s’installer au nord-est du pays, non loin de la frontière biélorusse, en août 2014. Là-bas, il récupère le numéro 21, jusque-là propriété de Tomasz… Frankowski, buteur emblématique du club, qui vient de prendre sa retraite sportive. L’héritage de son homonyme – avec lequel il ne partage aucun lien de parenté – peut sembler lourd à assumer. Mais c’est une autre raison qui explique son démarrage poussif. « À Gdańsk, j’étais comme chez moi. Je connaissais tout le monde, j’avais ma famille autour de moi. À Białystok, je me suis retrouvé tout seul, et c’était plus difficile à vivre », se remémore celui qui n’a alors que 19 ans.

J’avais le choix entre la Russie et les États-Unis. C’était une décision difficile, je ne l’ai pas prise en une seconde. Il m’a fallu cinq jours pour réfléchir à tout ça.

Ces difficultés ne durent qu’un temps, et Przemysław Frankowski devient assez rapidement un élément clé du Jagiellonia. En 2017 comme en 2018, sa formation se mêle à la lutte pour le titre jusqu’au bout, avant de céder à chaque fois face au Legia Varsovie. Le latéral goûte aux tours préliminaires de Ligue Europa et, surtout, est convoqué en équipe nationale, honorant sa première sélection en mars 2018. Quelques mois plus tard, il fait partie des réservistes écartés du groupe polonais juste avant le Mondial russe. À 23 ans, le voici à un moment charnière de sa carrière. Son aisance technique et sa vitesse en font un joueur clairement au-dessus du niveau moyen en Ekstraklasa. Sa progression passe par l’exil dans un championnat plus relevé. Il en est bien conscient. Plusieurs clubs viennent aux renseignements, et le Chicago Fire retient son attention. « J’avais le choix entre la Russie et les États-Unis, expose Frankowski. C’était une décision difficile, je ne l’ai pas prise en une seconde. Il m’a fallu cinq jours pour réfléchir à tout ça. » Il finit par accepter de traverser l’Atlantique. Autant pour des raisons sportives que personnelles, puisqu’il est convaincu que sa petite famille pourra s’épanouir chez l’Oncle Sam. En Pologne, ce choix de carrière suscite scepticisme et étonnement. Mais que va faire un joueur si jeune et prometteur en MLS, terre d’accueil de stars en préretraite, au lieu de rester en Europe ? Croit-il vraiment que Jerzy Brzęczek, le sélectionneur national de l’époque, va continuer à le convoquer ? « Oui, c’était risqué, concède rétrospectivement le natif de Gdańsk. Mais j’en avais parlé avec le sélectionneur, qui m’avait assuré que l’équipe restait ouverte pour moi. Tout ça dépendait, bien sûr, de mon temps de jeu et de mes performances en club. »

On fire à Chicago

L’ancien du Lechia atterrit dans l’Illinois en janvier 2019. Sa maîtrise de l’anglais est sommaire. Sans que cela ne représente un problème majeur au quotidien, et pour cause : l’agglomération de Chicago regroupe environ 800 000 personnes d’origine polonaise. Il est même de coutume de dire que la Windy City est la deuxième plus grande ville polonaise au monde, derrière Varsovie. « Ici, si vous cherchez un magasin ou un médecin polonais, c’est très facile de le trouver », affirme Pawel Szynalik, directeur financier du Chicago Fire. Ce dernier s’est personnellement impliqué dans le transfert de Frankowski, en allant le rencontrer à Białystok. Au club, il l’accompagne au quotidien et lui sert de traducteur lorsque les conversations deviennent trop compliquées à suivre. En dehors, les deux hommes et leurs familles passent beaucoup de temps en commun. « Nos femmes sont devenues amies, son jeune fils et mes deux enfants jouaient ensemble. On se rendait souvent visite, et je pense que tout cela l’a aidé à s’intégrer en douceur », raconte le dirigeant du Fire. Le dimanche, quand il n’est pas en déplacement avec ses coéquipiers, Frankie – plus facile à prononcer que Przemysław ou même Przemek – va à la messe, dans une église catholique polonaise. « Avec ma femme, nous sommes très croyants, et nous souhaitions transmettre cette croyance à notre fils », explique-t-il aujourd’hui. S’il participe parfois à des événements organisés par la communauté polonaise, le néo-Chicagoan est « avant tout quelqu’un qui veut être avec sa famille. Quoi qu’il fasse, il préfère que ce soit avec ses proches », témoigne Pawel.

Grâce à Frankie, les drapeaux polonais ont pullulé dans les travées du stade, il y avait du rouge et du blanc partout.

Malgré la barrière de la langue, son adaptation sur le pré est bluffante. Ceux qui le côtoient louent son éthique de travail, son humilité et son ouverture aux autres. « Il a eu besoin d’un petit peu de temps pour se mettre au niveau physiquement, mais avec ses qualités, il est vite devenu une menace pour ses adversaires en MLS », confie son ami. Dans le vestiaire, l’international polonais est proche de Nemanja Nikolić, ancien du Legia Varsovie, avec lequel il fait chambre commune en déplacements. Il côtoie aussi l’ancien champion du monde Bastian Schweinsteiger. « Frankie a beaucoup appris à son contact. Bastian évoluait à un tout autre niveau, il voyait des choses que les autres n’imaginaient même pas », se souvient Pawel Szynalik. « C’était merveilleux, abonde le joueur. Bastian m’a donné énormément de conseils sur le terrain, ça se voit qu’il a joué dans de grands clubs. » La franchise de l’Illinois rate par deux fois la marche des play-offs, mais le droitier d’1,76 m, lui, progresse de mois en mois – « il a gagné en maturité, mais il a aussi grandi en tant que joueur », dixit Pawel -, donnant tort à tous ceux qui avaient raillé son choix de rejoindre la ligue nord-américaine. Ses prestations sont d’ailleurs suivies de très près par la communauté polonaise locale, qui investit les tribunes du Soldier Field de manière bien plus assidue qu’auparavant. « Grâce à Frankie, les drapeaux polonais ont pullulé dans les travées du stade, il y avait du rouge et du blanc partout », assure le directeur financier du Fire.

De la hype Kakuta à la hype Frankowski

Après deux saisons et demie aux États-Unis et au sortir d’un Euro 2020 décevant avec la Reprezentacja, l’appel du large sonne à nouveau pour Frankowski. Pawel Szynalik parle d’un « transfert bouclé rapidement », qu’il a eu « du mal à digérer parce que c’était devenu un très bon ami. Il a juste eu une paire de semaines pour boucler ses affaires et partir pour la France. Quand j’ai annoncé la nouvelle à mon fils de 8 ans, il a pleuré, il ne voulait pas y croire. » D’abord inscrit sur les tablettes artésiennes pour compenser un éventuel départ de Jonathan Clauss l’été dernier, Frankowski est enrôlé 24 heures après le transfert de Clément Michelin à l’AEK Athènes. Cinq ans paraphés, 2,3 millions d’euros déboursés par le Racing, et l’affaire est pliée. « J’ai senti que l’entraîneur (Franck Haise, NDLR)me voulait, le directeur sportif aussi. Ils désiraient vraiment que je vienne », estime le joueur de 26 ans. Sur le contrat d’embauche, un rôle de piston droit, mais sa polyvalence l’amène dans le couloir gauche. « On m’a dit que j’allais plutôt jouer à droite, mais j’apprécie beaucoup mon poste actuel. Honnêtement, j’aime énormément notre style de jeu. » Trois premières apparitions en août, titulaire à 11 reprises depuis, Frankowski a fait de son couloir son terrain de jeu. Un essuie-glace non-stop couplé à une farouche envie d’aller au un-contre-un, il s’est mis dans la poche le public lensois. D’abord en offrant le derby face au voisin lillois, derrière lequel Lens courait depuis 15 ans (1-0), puis en nettoyant une semaine plus tard la lucarne marseillaise au Vélodrome (2-3). « Ce jour-là, j’ai eu beaucoup de félicitations venues de Pologne, apprécie modestement l’intéressé. Je ne vais pas mentir, je ne m’attendais pas à ce que tout se passe aussi bien. »

Lens est un club qui ne peut pas vivre trop longtemps sans les Polonais. Pour les Polonais d’ici, Frankowski, c’est mieux que Messi et Neymar réunis.

Au RCL, la hype Gaël Kakuta de la saison passée a laissé place à la hype Frankowski. Avoir autant le vent dans le dos rendrait jaloux Julian Alaphilippe. Franck Haise le considère comme « très ouvert, intelligent » et son groupe « a très vite vu à qui il avait affaire, ça a facilité son intégration ». Au club, le service com’ a déjà reçu une centaine de demandes d’interviews de médias polonais. Jusqu’où l’ancien du Jagiellonia ira-t-il ? « Je ne veux pas penser à la suite, là je suis heureux, je vis au jour le jour », balaye-t-il d’un revers de main. Avec son allure de genre idéal, compliqué de trouver des défauts à ce père de deux enfants en bas âge, qui prend des cours de français chaque semaine et déroule le cliché polonais de « la vie qui tourne autour de la famille. Parfois, quand les enfants dorment, on regarde un film ou un match ». En toute sobriété, entre entraînements la semaine, match le week-end et repos avec ses proches. Presque à l’image des milliers de Polonais débarqués au XXe siècle, réglés sur un quotidien fait de charbon et de messe dominicale en famille. « Lens est un club qui ne peut pas vivre trop longtemps sans les Polonais, achève Joachim Marx sur une dernière envolée. Pour les Polonais d’ici, Frankowski, c’est mieux que Messi et Neymar réunis. Il a déjà mis quatre buts et délivré trois passes décisives. Dans notre communauté, ça fait tilt et j’espère que ça durera. C’est aussi parce qu’il est bien ici qu’en sélection, il est quasi tout le temps titulaire. » Dans un reportage en 1973, André Delelis, aux côtés d’Eugeniusz Faber, évoquait cet « alliage de footballeurs français et polonais qui a toujours produit de bons effets dans la région ». CQFD.

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Par Raphaël Brosse et Florent Caffery, à Lens

Tous propos recueillis par RB et CF (traduction assurée par Darianna Myszka), sauf ceux de Florent Ghisolfi (club) et Franck Haise (conférence de presse)

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