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Prunier : « Je me contentais d’utiliser mon étiquette de con, tueur, fou »

Propos recueillis par Maxime Brigand
Prunier : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Je me contentais d’utiliser mon étiquette de con, tueur, fou<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Au milieu des années 80, William Prunier (52 ans) débarquait sur la France du foot au cœur de la génération dorée de l'AJ Auxerre. Puis, il y a eu l'OM, le grand Bordeaux, Manchester United, Naples, le Danemark ou encore le Qatar. Le tout empilé dans vingt riches années. Première partie d'un entretien confession, entre la rue, une gouttière et un bout de nostalgie.

Quand tu es arrivé sur le banc de Marseille Consolat en juin 2014, tu expliquais être excité par ce challenge en dressant un parallèle avec ton enfance au quartier, à Montreuil. Qu’est-ce que tu as appris dans la rue ?

Mon père était poissonnier, il l’a été pendant quarante-deux ans, ma mère l’aidait et moi aussi. Tous les jours, j’étais à Rungis à trois heures du matin avant les cours.

J’ai appris à pouvoir m’en sortir. Honnêtement, j’ai vécu des choses extraordinaires. C’est un discours qu’on répète souvent aujourd’hui aux jeunes des quartiers, mais ça n’a pas changé : on apprend à s’en sortir. J’ai été élevé par des parents modestes. Mon père était poissonnier, il l’a été pendant quarante-deux ans, ma mère l’aidait, et moi, j’allais les aider le matin avant d’aller à l’école. Tous les jours, j’étais à Rungis à trois heures du matin avant les cours. C’est quelque chose qui m’a servi pour la suite et qui me sert encore aujourd’hui. Je continue d’ailleurs à voir pas mal de mecs de ma cité, toute ma famille vit encore à Montreuil.

Comment le foot est arrivé dans ta vie ?J’ai commencé à jouer au Red Star Montreuil. Le stade était à 500 mètres de chez moi. Je ne pensais qu’au foot. Quand on allait sur le terrain de basket, c’était aussi pour jouer au foot. Je jouais dans mon club, après l’école, à l’école, tout le temps. C’est comme ça que le Paris FC est venu me chercher. Je suis parti en même temps que Mickaël Madar avec qui j’étais à Montreuil. On a empilé les tournois, les détections et Auxerre est arrivé. Je me souviens que Monaco et Lille s’étaient aussi intéressés à moi. C’était en 1982. C’est un truc qui marque, surtout que c’était l’année de la Coupe du monde.

Partir de chez toi pour Auxerre, ça te faisait peur ?Je pense que ça faisait surtout peur à mes parents. Moi, je savais que c’était la chance de ma vie. Auxerre venait d’ouvrir son centre de formation. On est arrivés à vingt : les frères Boli, Cantona, Vahirua, Dutuel, Guerreiro… Quand on débarque, on pense qu’on arrive en pension, surtout qu’on était encadrés par quelqu’un de très rigoureux. C’était Daniel Rolland et derrière, bien sûr, il y avait Guy Roux. Arriver dans un centre de formation, c’est un choc, un truc qui te perturbe forcément un petit peu. Là, en plus, c’était nouveau et quand on est arrivés, les terrains d’entraînement, c’était de la terre avec pas mal de cailloux. On les ramassait avec des seaux avant de s’entraîner.

On parle souvent de cette génération comme d’une vraie bande de potes. Forcément, on est rapidement devenus très solidaires. On se soutenait et on a encore tous de très bonnes relations aujourd’hui. La vie au centre, c’était assez fou, et on essayait souvent de s’en échapper d’ailleurs. On partait par les fenêtres, les gouttières, avec les mobylettes…

Vous alliez où ?On allait voir les copines qui sont pour la plupart devenues nos femmes. Sincèrement, ouvrir un centre de formation à 500 mètres d’une boîte de nuit, c’est compliqué quand même. L’avantage, c’est que quand on se barrait, on savait où nous trouver ! Guy Roux avait déjà ses informateurs, hein. Il les a toujours eus. C’est un truc de malade (rires). Il savait tout ce qu’il se passait, dans les moindres détails. On avait peur, forcément.

Vous l’avez déjà vu débarquer en boîte ?Oui, c’est déjà arrivé, à plusieurs reprises même. La clé, c’était de repérer la sortie de secours quand on arrivait et de prendre rapidement la porte quand il débarquait. Après, Basile et Roger (Boli, ndlr) avaient quitté le centre de formation un petit peu plus tôt que les autres. Ils avaient pris une maison à 300 mètres du centre. Pareil, une fois, on fait une fête dans leur sous-sol et qui on voit débarquer ? Le grand Guy Roux. Il nous avait tous chopés, c’était parti dans tous les sens. Quand ça arrivait, je peux te dire que le lendemain, c’était chaud. On se faisait punir à l’entraînement, on prenait des amendes, même si on n’avait pas beaucoup d’argent, il nous faisait payer des baby-foot, des flippers, donc la salle de jeux était remplie.

En allant dans un centre de formation, tu n’avais pas l’impression de passer à côté d’une adolescence comme les autres ?On adorait avoir des interdits en fait. Comme ça, on prenait des risques. C’est un truc qui endurcit. Quand tu longes le centre de formation, à cinq mètres de hauteur, sur une gouttière qui fait cinq centimètres, pour sortir et pour rentrer, sans être vu par le concierge qui nous surveillait jour et nuit, c’est un plaisir. C’est des moments qui forgent le caractère et qui construisent un groupe. À chaque fois, on aurait dit une chenille.

Justement, tu parles de ton caractère. Tu as souvent été réduit ensuite à une réputation de défenseur dur sur l’homme. D’où ça vient ce mental ?J’ai été élevé un peu à l’ancienne. Mon père était gentil, mais ne faisait jamais de cadeaux. C’était très bien, j’en suis content parce que mes parents m’ont bien élevé. Il fallait que je m’impose aussi. Quand tu arrives à vingt dans un centre de formation, les postes sont triplés, donc il y a une concurrence logique. Je faisais partie des joueurs qui avaient peut-être le moins de qualités au départ, mais à force de travail et de caractère, je m’en suis sorti. Je suis passé devant tout le monde comme ça, tout en sachant qu’il fallait que je bosse plus que les autres.

Comment Guy Roux te gérait ?Je pense qu’il gérait tout le monde de la même façon.

Guy Roux venait jusqu’à chez nous pour voir si on était bien installés. Il voulait qu’on se marie tôt. À un moment donné, les femmes sont toutes tombées enceinte en même temps. Il nous avait filé de la gelée royale à tous.

Il a mis beaucoup de discipline en s’occupant de tout dans un club structuré. Moi, j’ai joué à dix-sept ans chez les pros, mais il continuait de m’accompagner. C’est quelqu’un qui s’occupait aussi de notre vie privée. En réalité, il nous a tout appris. Forcément, on s’est aussi pris un peu le chou, surtout qu’à un moment, il m’avait donné le brassard, donc j’avais certaines responsabilités. Je l’ai gardé trois ou quatre ans quand même. Notre liberté est venue avec l’âge, mais il venait jusqu’à chez nous pour voir si on était bien installés. Il voulait qu’on se marie tôt. À un moment donné, les femmes sont toutes tombées enceinte en même temps. Il nous avait filé de la gelée royale à tous. Après, il avait acheté des pots pour tout le monde, on était neuf comme ça, il y avait même Enzo Scifo. Tout ce qu’il faisait, c’était aussi pour qu’on soit bien ensuite sur le terrain et que ça lui rapporte ensuite à lui avec les résultats.

Qu’est-ce que tu gardes de ton arrivée chez les pros ? Mon surnom de La Prune déjà. Aujourd’hui encore, pas grand monde ne m’appelle William. C’est un truc qui date du centre de formation. Mon premier match pro, c’était contre Toulouse, j’étais entré en cours de match, on menait 2-0 et j’étais au marquage de Yannick Stopyra. À cette époque déjà, c’était l’individuel avec Guy Roux. Mon travail, c’était de prendre Stopyra et s’il allait pisser, j’y allais avec lui.

Il y a quand même un mec qui t’a marqué à vie. Tu te rappelles le 9 janvier 1993 ?Toute ma carrière, j’ai rencontré des grands attaquants : Lacombe, Bocandé, Halilhodžić, Onis, et à l’été 1992, Klinsmann est arrivé en France, à Monaco. Tout le monde parlait de lui. Deuxième journée, il se pointe à Auxerre. Je me rappelle que Téléfoot était venu faire un reportage sur lui. Je l’ai pris en individuel, comme les autres, et on a dit que j’avais employé la manière forte. L’individuel, c’est ça aussi. On avait gagné 4-0. Klinsmann n’avait pas marqué, donc pour la presse, le reportage est mort. C’est quelque chose qui m’a touché. Je m’en souviens particulièrement parce que le 9 janvier 1993, il y a eu ce match retour. J’avais eu une discussion avec Guy Roux avant la rencontre. Il ne voulait pas me mettre au marquage de Klinsmann. Je l’ai laissé jouer, et ce jour-là, il a mis quatre buts. Comme ça, tout le monde allait être content.

Et entre-temps, tu craques. J’avais l’impression que tout le monde était contre moi. Tout ça parce que j’avais fait un marquage individuel sur un joueur alors que je le faisais depuis des années. C’était la consigne. Mais tu sais quoi, cette histoire m’a fait du bien, elle m’a permis de mieux m’exprimer sur un terrain de football et je suis devenu encore plus fort. Plus on me sifflait dans les stades, plus j’étais remonté.

Pendant cette cabale, tu annonces pourtant que tu veux partir.Oui, c’est vrai. Avant ce match retour, j’avais été sélectionné en A’. On était partis ensuite au Sénégal avec Michel Platini et Gérard Houllier, en Concorde. Mais je pense que Guy Roux a fait une erreur : me faire jouer ce match. Je n’avais pas vraiment envie de le jouer. Tout le monde attendait ça, mais je l’ai joué, il s’est passé ce qu’il s’est passé, mais j’ai aussi été reconnu grâce à ça. Je n’étais pas le genre de joueurs qui allait souvent m’exprimer dans la presse. Je fuyais tout ça. On m’a collé une étiquette et je m’en suis servi.

Quand tu annonces que les sifflets t’ont « tué » , qu’est-ce que tu ressens ? En fait, à travers les sifflets, j’avais l’impression que tout ce qui m’entourait avait été attaqué. Je parle aussi de ma famille, de ma fille, ma femme. J’avais été très touché. Je me souviens qu’après ce match de Monaco, on est remontés sur Auxerre avec Guy Roux. Je crois que c’est la première fois qu’il m’a payé une bière. Daniel Dutuel, avec qui j’étais très lié, était là aussi. On avait une génération comme ça, très humaine, que ce soit avec Stéphane Mahé, Corentin Martins, Frank Verlaat.. C’était une période un peu compliquée où Basile était parti, Alain Roche aussi, puis Frank. Je voyais passer des mecs à côté de moi et je commençais à me dire : « Maintenant, c’est mon tour. » Je l’ai dit à Guy Roux. Je voulais aller ailleurs pour montrer de quoi j’étais capable.

Tu évoquais ta tristesse après ce match contre Monaco. Comment tu vis les larmes de Stéphane Mahé contre Dortmund ?La tristesse était collective, on n’en voulait pas du tout à Stéphane.

Les gens avaient peur de nous. Oui garçon, tu viens à Auxerre, tu vas en prendre trois ou quatre.

On avait vécu ces moments ensemble, la douleur, on la vivait aussi tous ensemble. On devait aller au bout cette année-là. On se connaissait tous par cœur, on faisait les efforts ensemble et on était des machines. Des machines parce qu’on travaillait dur aussi. La semaine, on bossait dur, et maintenant, on travaille beaucoup moins en France. On dit qu’on forme des joueurs, mais en travaillant plus, on en formerait encore plus. Dans le championnat de France, les gens avaient peur de nous. Oui garçon, tu viens à Auxerre, tu vas en prendre trois ou quatre. Et putain, surtout, on était des vrais potes.

Les années 90 te manquent ?Pour les fringues, non (rires). Mais oui, je suis un peu nostalgique quand j’en reparle. On a vécu des moments fabuleux. J’ai fait onze ans à Auxerre quand même. J’ai tout connu avec ce club, absolument tout.

Quand tu pars à l’OM, en 1993, tu te doutes que tout va exploser la saison d’après ?Pas comme ça. J’avais signé juste avant la finale de C1. J’étais forcément devenu supporter de l’OM. Puis, il y a eu la reprise, on pensait que tout allait s’arranger autour de cette affaire VA-OM, on a fait notre saison… Et à la fin, le club a été rétrogradé. J’avais signé quatre ans à l’OM et je n’ai fait qu’une année, à cause de cette affaire. C’est une année qui restera fabuleuse où je me suis rapidement adapté. Je me sentais bien dans ce groupe.

Comment on vit une saison comme ça tout en sachant qu’il y a une affaire judiciaire autour ?J’ai vécu l’expérience à fond, mais, au-dessus des têtes, il y avait toujours ce truc. On en parlait souvent entre nous, forcément. La chance qu’on avait, c’était d’avoir un vrai patron avec nous. Le boss, comme on l’appelait. Il ne nous faisait penser qu’au football. Mais malheureusement, cette année-là, on n’est pas champions. C’est le PSG qui gagne, même si certains matchs, l’arbitrage… On ne saura jamais si tout était net. La vérité, c’est que beaucoup de personnes ne voulaient pas qu’on soit champions. On l’a ressenti.

Tu aimais jouer dans un club qui dérangeait ?Bien sûr. Quand tu vas à l’OM, surtout à cette période, faut avoir un vrai caractère. Là, je me suis retrouvé dans une défense à cinq avec Desailly, Boli, Di Meco et Angloma. C’est costaud. On avait une équipe de malades. Mais tu vois, l’année où j’arrive, on part en stage à Font-Romeu. On descend du bus et là, les flics. Ils ont embarqué plein de joueurs. Nous, les nouveaux, on est à l’hôtel comme des cons. On se posait des questions, on essayait de comprendre. Là, tu comprends que t’es à l’Olympique de Marseille avec tout ce que cela implique au niveau médiatique par exemple.

La presse te faisait peur ?Oui, mais je m’en suis toujours protégé. Comme une putain de carapace. Je n’avais pas besoin de m’exprimer pour faire ma carrière. Je n’avais pas besoin de ça, même si je sais que ça aide aussi. Certains s’en sont servis, moi je me contentais d’utiliser mon étiquette de con, tueur, fou. On m’a tiré dans les pattes, mais j’étais quand même international (une sélection, ndlr), j’ai joué dans les plus grands clubs français, mais j’en ai pris plein la gueule. Alors, si la presse m’avait aidé, j’aurais été un monstre. Ce que j’ai voulu faire, je l’ai fait, j’ai touché à tout.

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Propos recueillis par Maxime Brigand

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