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Pourquoi l’hymne de la Ligue des champions nous excite ?

Par Christophe Gleizes
Pourquoi l’hymne de la Ligue des champions nous excite ?

Depuis plus de 20 ans, la douce mélodie de la Ligue des champions électrise et donne des frissons, aux joueurs comme aux téléspectateurs. Retour sur la genèse et les caractéristiques de l'hymne de la C1, aux confluences du marketing et de la musique classique.

« Cette musique, c’est quelque chose de fort, d’incroyable même. La première fois qu’on s’est qualifiés en Ligue des champions, la plupart des mecs étaient impatients de l’entendre dans le stade. Ce sont les petits détails comme ça qui rendent la compétition unique. » Comme tant d’autres avant lui, Gareth Bale a les poils qui se hérissent quand il entend l’hymne de la C1. « Quand tu sors du tunnel, et que tu entends l’air de la Ligue des champions, tu te rends compte que c’est la meilleure musique de ta vie » , témoigne Emmanuel Adebayor, son ancien coéquipier, visiblement mélomane. Qu’ils l’écoutent régulièrement sur les terrains d’Europe ou chez eux, avachis sur le canapé, les joueurs de football professionnel ont tous plus ou moins une histoire à raconter. Ici, Mamadou Sakho, impatient avant le grand retour du PSG en Ligue des champions : « La musique de la C1, je l’ai dans mon téléphone. Je la mets même parfois pour me réveiller, alors pouvoir la disputer avec mon club formateur… » Là, Maxwell Scherrer, à la veille de désosser le Bayer Leverkusen en huitièmes de finale de la compétition : « Lorsque j’entre sur le terrain et que j’entends la petite musique, ça me remue toujours autant. J’espère l’entendre encore beaucoup d’autres fois cette saison. » Et Moussa Sissoko (deux matchs de C1 au compteur avec Toulouse) de résumer en peu de mots le sentiment général : « Cette musique, je crois qu’elle fait rêver tous les joueurs. »

Hit-machine

Depuis 1992, elle donne en tout cas des frissons à tous les amateurs de ballon rond. « Je dois dire que sa longévité et sa popularité me surprennent » , avoue Tony Britten, le talentueux compositeur anglais, qui renie l’idée d’une inspiration divine : « Pour être honnête, quand on m’a confié cette mission, c’était juste un boulot comme un autre. Je n’ai pas passé plus d’un mois dessus. » À l’époque, la spécialité de Tony, quand il ne travaille pas sur des films ou à la télévision, c’est d’écrire des jingles commerciaux. C’est son agent, aux connexions multiples, qui le rencarde auprès des boss de l’UEFA, sur le point de lancer la nouvelle mouture de la compétition. Ces derniers déplorent alors une perception négative du public, liée à la montée en puissance du hooliganisme. « La très grande majorité pensait que l’on devait utiliserWe are the Championsde Queen, mais nous recherchions quelque chose de plus classique afin de monter en gamme » , a un jour expliqué Craig Thomson, l’ancien directeur de TEAM, la compagnie marketing de l’UEFA. Britten lui envoie alors une petite dizaine d’œuvres dont il peut s’inspirer. « Mais ils m’ont ensuite dit :« On ne veut pas seulement des solos, on veut un truc avec un choeur. »Donc c’est ce que j’ai fait » , se souvient-il assez fier. « Je n’essayais pas de faire une œuvre d’art, j’étais concentré sur l’idée que la mélodie devait produire l’effet désiré. »

Mission accomplie. Une étude menée par la compagnie de Thomson a montré que 98% des Européens étaient aujourd’hui en mesure d’identifier l’hymne. Un ouvrage anglo-saxon intitulé Marketing et football : une perspective internationale a également noté que la mélodie est devenue le symbole le plus puissant de la coupe aux grandes oreilles, loin devant son nom ou son logo. « L’UEFA a clairement été satisfaite de l’impact de l’hymne, qui est devenu synonyme de l’épreuve. En le diffusant avant chaque match, elle a réussi à populariser la nouvelle formule de la compétition grâce à ce morceau de musique classique, qui marie une position de prestige et un auditoire de masse. » Pour concerner le plus grand nombre, l’instance européenne a insisté pour que la mélodie soit interprétée dans les trois langues officielles de l’UEFA, à savoir l’allemand, l’anglais et le français. Un mélange des genres parfois inaudible, mais salvateur, étant donné la teneur des paroles plus que minimalistes : « Ce sont les meilleures équipes / Une grande réunion / Les maîtres / Les meilleurs / Les grandes équipes / Les champions. »

Promesse de spectacle

Interprétée par le Royal Philharmonic Orchestra et chantée par le chœur de l’Academy of Saint Martin in the Fields, la chanson est une exclusivité comme on n’en fait plus : elle ne peut être achetée ni téléchargée légalement. « L’UEFA a été très intelligente de ne la vendre à personne, car c’est un outil de marketing sonore extrêmement puissant » , approuve l’auteur, qui jubile carrément : « Grâce à la popularité du football, c’est probablement l’une des chansons les plus connues au monde. Aujourd’hui, tout le monde reconnaît la musique, et quand vous l’entendez en train de faire le thé, soudain, vous avez envie d’aller voir le match. » Si le phénomène est vérifié, il n’en reste pas moins difficilement explicable. « Je me souviens qu’à l’entraînement, il nous arrivait de le fredonner quand on faisait des petits jeux ou des matchs » , se remémore Nicolas Gillet, l’ancien défenseur du FC Nantes, qui a goûté huit fois à la C1. Sa première, il s’en souvient comme si c’était hier : « On jouait contre Eindhoven, le jour du 11 septembre. » Visiblement transcendés par la mélodie, les Canaris, d’ordinaire plus habitués à la Coupe UEFA, sortent le grand jeu : « On a terminés premiers d’un groupe relevé, il y avait quand même le PSV, la Lazio et Galatasaray. »

Vidéo

« Moi, c’était contre Rosenborg avec Lyon » , se souvient Sylvain Monsoreau, qui l’a entendu deux fois en tant que joueur. « Mais j’ai été sur le banc pour les matchs contre le Real et Milan » , tient-il à préciser, avant d’ajouter : « Quand on l’entend sur le terrain, on se dit« Ça y est, on y est. »C’est un ensemble, on pense aux grands matchs, on sent beaucoup d’excitation. L’atmosphère est différente du championnat, et la musique donne le tempo de la rencontre qui va se dérouler. » Pour les deux défenseurs, la popularité de l’hymne vient avant tout du spectacle qu’il promet : « C’est un aboutissement, on sait qu’il va y avoir un match à intensité et un stade rempli, que cela va être une fête. C’est le summum, la compétition phare » , explique Monsoreau. « Maintenant, les deux sont très liés. Si on le changeait ça ferait bizarre, l’hymne actuel resterait dans les têtes » , observe Gilet. Le natif de Brétigny-sur-Orge avance ensuite une autre explication, a priori valable : « C’est un très bel air, tout simplement. »

Hymne royal

Le mieux est de demander l’avis des spécialistes. « C’est un arrangement, il faut le préciser » , balance d’emblée Maxime Joos, professeur d’histoire de la musique au conservatoire de Lille. L’hymne de Tony Britten est en effet directement inspiré du compositeur Georg Friedrich Haendel et de son morceau Zadok the Priest. L’auteur ne l’a d’ailleurs jamais caché : « Il y a une montée crescendo que j’ai piquée à Haendel et ensuite j’ai écrit ma propre mélodie. Le morceau véhicule un sentiment haendelien, mais j’aime à penser que ce n’est pas une escroquerie totale. » Les premiers à avoir écouté la mélodie originale, ce sont la reine Caroline et le roi George II, le 11 octobre 1727, à l’occasion du couronnement de ce dernier. « L’anthem est un genre musical sacré lié à la liturgie anglicane, souvent utilisé pour les circonstances royales. C’est une mélodie qui tourne autour des mêmes notes et revient à un passé profond » , explique le professeur. Ce type de morceau est fondé sur « des idiomes musicaux qui vont dans le sens de l’enthousiasme, leur première mission est celle de porter la foule, de la transcender » . Rien d’étonnant donc si l’hymne de Haendel a été revisité pour véhiculer une image de puissance et de royauté, dans une compétition sportive aujourd’hui réservée à l’élite.

« La musique d’Haendel a un côté théâtral et grandiloquent, en même temps sensible. L’effet de puissance et de majesté vient du fait que la pièce utilise un orchestre assez conséquent, renforcé par un chœur. La manière dont il emploie les cordes fait qu’on a une nappe sonore qui s’amplifie et qui donne un effet crescendo, jusqu’à l’entrée des voix qui est vraiment l’apogée de l’ouverture. On a le sentiment de quelque chose de triomphant, que rien ne peut arrêter » , détaille Nicolas Slodrops, qui travaille au Concert D’Astrée, un grand ensemble français spécialisé dans l’interprétation des musiques baroques. « Dans l’hymne de l’UEFA, on sent bien que le compositeur réemploie les mêmes effets, mais selon moi, il en abuse presque, au contraire de Haendel qui passe à autre chose après l’entrée du chœur. Plus spécifiquement, dans l’écriture, la ligne des basses joue des notes répétées comme un battement de cœur intérieur ininterrompu, ce qui aboutit à la création d’une tension qui précède le jaillissement, prélude à l’explosion. » On ne pouvait rêver mieux pour la grande messe du football. Alors, la prochaine fois que, fébriles, vous entendrez l’hymne, n’hésitez pas à vous inspirer de Beethoven, qui disait à propos du compositeur allemand, plus tard naturalisé britannique : « Je voudrais m’agenouiller sur sa tombe. »

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