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Pourquoi il ne faudra toujours pas se rendre au stade après le 19 mai
Une annonce tant attendue, réclamée. Sans grand effet vu le calendrier de la Ligue 1. Et de toute façon, cette réouverture des guichets s’effectuera de manière très réduite, et par la suite avec des contrôles. Si on comprend les espoirs des clubs et la frustration des passionnés, sincèrement, ne vaut-il pas mieux patienter encore pour un vrai retour, de véritables retrouvailles, plutôt que d’accepter cette formule qui sent davantage la demi-mesure politique que l’authentique bascule ?
Le président a parlé. Annonçant, l’œil fixé sur le calendrier électoral, un plan de déconfinement en plusieurs étapes, qui va donc aussi permettre normalement le retour du public dans les enceintes sportives, et donc les stades de foot. À partir du 19 mai, 1000 privilégiés auront donc en principe le droit d’assister à des matchs, quels qu’ils soient, et si une dérogation au couvre-feu leur est accordée, à Bauer ou au Vélodrome (ce qui évidemment n’aura pas le même impact vu les dimensions des infrastructures). Pour la seconde phase, à dater du 9 juin (les championnats seront finis), toujours sous conditions de l’estimation départementale de la pandémie, une jauge de 5000 spectateurs maximum sera instaurée et un pass sanitaire (vaccin ou test PCR de moins de 72 heures) exigé pour accéder aux gradins. Avec le rêve ensuite, pour la reprise, de retrouver une vie normale. À étudier cet agenda, ce sera surtout la réouverture des bars et l’évolution du couvre-feu qui constitueront le principal vecteur d’une recollectivisation de la passion populaire autour du ballon rond, du moins celui de l’élite (on songe notamment à l’Euro).
Refuser le numerus clausus
Bref, voilà ce qu’il est possible d’anticiper vaguement pour les prochaines semaines. Après des mois d’abstention, et en se réjouissant par ailleurs pour les amateurs que les choses se décantent, même si leur saison s’avère également gâchée, on a pourtant du mal à vibrer ou à ressentir un quelconque frisson libératoire. Faut-il y aller ? Le doute est insidieux, toutefois la question mérite d’être posée. Pour les ultras. Pour les supporters lambda. Pour le quidam. Individuellement ou même nationalement. Doit-on abandonner toutes ses valeurs, tout ce qui travaille nos entrailles et arrêter quelques secondes notre cœur lorsque sont franchis les portiques et tourniquets ? Pourquoi se battre pour appartenir à ce happy few d’un millier de privilégiés qui pourront assister in situ à la finale de la Coupe de France ? Cette dernière y gagnera quoi ? Et pour la suite ? Quelles seront les évolutions des jauges ? Des conditions d’entrée ? La tenue de l’Euro 2021 et des Jeux olympiques de Tokyo montre également à quel point le public reste un enjeu sensible, comprimé entre exigence économique, dimension festive et vérité des statistiques de la pandémie.
Patience, mère de toutes les vertus
Personne ne s’amusera à savoir si telle ou telle disposition est vraiment justifiée. Ce n’est pas le débat. L’histoire nous a rattrapés en Occident, et pour mémoire, les épidémies duraient deux siècles au Moyen-Âge. Les spécialistes et épidémiologistes susurrent un discours infiniment moins optimiste que la méthode Coué du gouvernement qui, on le voit, essaie surtout désormais de tenir la voie médiane de « l’acceptabilité sociale ». En revanche, cela ne nous dépouille pas de notre liberté de refuser ces demi-mesures, et ce qu’elles signifient.
À l’occasion de la crise inachevée de la Superligue, les prises de paroles s’étaient multipliées chez les politiques, les entraîneurs, les joueurs, certains clubs, y compris chez les fautifs dorénavant contrits (style Liverpool), pour admettre l’importance et reconnaître, enfin diront certains, le rôle essentiel des fans, supporters et autres amoureux de leurs couleurs. En toute logique, rien ne se révélerait pire que de croire, ou de laisser croire, que de parsemer quelques centaines de chanceux dans des cathédrales vides de 30 000 ou 50 000 places change la donne. Si le foot doit retrouver son ambiance, sa dimension populaire dans la vraie vie, il vaut mieux que le « choc » soit complet. Si le foot doit nous aider à recomposer une nouvelle vie ordinaire, il ne peut le faire avec une logique de « test » grandeur nature. Une finale de Coupe de France représente quand même autre chose, socialement et historiquement, pour le pays qu’un concert d’Indochine, fusse en présence de Jupiter. Après, n’est-ce pas ce que nous vend le clip officiel de déconfinement qui promet après le 30 juin le retour des fumis dans les kops (quitte à oublier que les jurisprudences et la loi de sécurité globale les prohibent, voire menace de peine de prison leur usage).
Nous avons besoin d’une véritable césure. D’une communion pleine et entière. De revivre l’émotion sans arbitraire. Notre confrère Gregory Schneider avait rappelé sur le plateau de L’Équipe du soir à quel point la Meinau pesait dans la vie du Racing et dans les performances de l’équipe de Laurey. Nous avons trop vécu notre amour du foot par procuration, nostalgie ou l’attention rivée sur les réseaux sociaux. Si nous pouvons retourner au stade, vivons-le comme une victoire, pas un cessez-le-feu. On veut le vrai opium du peuple, pas de la méthadone ou du CBD.
Par Nicolas Kssis-Martov