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Pour qui Andersson le glas

Par Matthieu Rostac
8 minutes
Pour qui Andersson le glas

À l'Olympique de Marseille, avant Skoblar, avant Papin, il y a eu Andersson. Gunnar Andersson. Un attaquant suédois dont la vie n'a pas besoin d'être romancée tant elle fut riche en rebondissements. Où les histoires d'amateurisme marron, de kidnapping, de désertion et d'alcoolisme ne sont liés que par une seule et même chose : des buts. Beaucoup de buts.

1950. Sur les écrans français sort Orphée, l’adaptation du fameux mythe grec éponyme par Jean Cocteau, dans lequel Jean Marais, François Périer et Maria Casarès se partagent l’affiche. Sur d’autres carrés géants, verts cette fois-ci, une autre troupe fait rêver la France : le Stade de Reims. Vainqueur de son premier championnat de France l’année précédente, les hommes d’Albert Batteux s’apprêtent à dominer de la tête et des épaules la Division 1 des fifties. Voire un peu plus. Mais le vrai mythe d’Orphée se joue un peu plus bas, du côté des Bouches-du-Rhône. Malgré un titre glané en 1948, l’Olympique de Marseille est à l’époque prisonnier des enfers du bas du classement, et le joueur de lyre qui doit l’aider à s’en extirper porte un nom : Gunnar Andersson. Un attaquant suédois débarqué dans l’anonymat le plus complet à l’hiver 1951, très vite adopté par le public du Vélodrome qui lui trouve un surnom : « Monsieur 50% » , pour sa faculté à marquer plus de la moitié des buts de l’OM chaque saison. En tout et pour tout, Gunnar Andersson inscrira la bagatelle de 169 buts en 220 matchs avec la liquette ciel et blanc sur le dos. Comme le symbole de la fuite en avant d’un homme qui n’avait pour seule origine que la peur de tout perdre s’il venait à se retourner.

Désertion de poste et désertion tout court

Gunnar Andersson voit le jour en 1928 du côté de Säffle, petite ville de Suède suspendue au lac de Vänern. Une origine qui lui vaudra un surnom, « Gunnar de Säffle » , parce qu’il était trop difficile de différencier tous les Gunnar présents dans sa classe. Dès ses premières années de vie, l’attaquant suédois se distingue déjà des autres tout en restant en quelque sorte dans la masse. Les prémices d’un leitmotiv de vie. Plus tard, Andersson fait le bonheur des équipes de jeunes, puis de l’équipe première du IFK Åmål dans lesquelles il enchaîne les pions à un rythme effréné. Au point d’attirer les recruteurs du grand club suédois IFK Götebörg, qui lui offre un contrat à 21 ans dans l’idée de remplacer un autre Gunnar, Gren, parti faire des acronymes du côté du Milan AC. À l’époque, le football suédois n’est pas encore professionnel. Alors, le club lui dégote un poste de plombier à la Compagnie des chemins de fer suédois, tout en arrondissant les fins de mois grâce à ses primes de match de 25 couronnes, tandis que celles des autres joueurs atteignent les 15 couronnes.

Petit problème : le joueur est du genre désertion de poste. Au bout de deux jours, il décide de ne plus pointer au boulot pour seulement se pointer aux entraînements. La Fédération suédoise, qui fait alors la guerre à l’amateurisme marron, découvre le pot-aux-roses, suspend quelques dirigeants de l’IFK Götebörg et laisse un choix à Andersson : la suspension également, pendant un an, ou le service militaire. Mais le Suédois souhaite toujours ardemment taper dans un ballon et, s’il ne peut pas le faire dans le pays qu’il sert, il le fera ailleurs. Le KB Boldklub, club de Copenhague qui s’apprête à s’envoler pour Barcelone afin de disputer un tournoi célébrant les cinquante ans du Barça, obtient le prêt du joueur en novembre 1950… sous une fausse identité. Face à Palmeiras, Andersson tape dans l’œil de Willy Wolf, entraîneur du Stade français présent dans les tribunes de Les Corts. Louis-Bernard Dancausse, président de l’OM, est également en terres catalanes et propose un contrat à « Säffle-Gunnar » . Que ce dernier accepte, scellant de facto sa désertion de l’armée suédoise.

Gunnar « 10h10 » Andersson kidnappé en gare d’Avignon

Le 25 novembre, le journal Sport-Express annonce « Saffle (L’Ouragan) arrive le 2 décembre ! » Tout faux. D’une, Säffle signifie « la baie des oiseaux » en vieux nordique. De deux, le joueur n’arrivera pas avant le mois de janvier parce que ce dernier souhaite néanmoins finir son service militaire. Il sera toutefois question de disparition lors de ses premiers jours en France. Gare de Lyon, alors qu’Andersson s’apprête à rejoindre Marseille en train, il reçoit un télégramme de dernière minute : « Pour éviter importuns STOP Prière descendre Avignon STOP Voiture attendra pour vous conduire à Marseille. » Le Suédois, poli en toutes circonstances, s’exécute. En gare d’Avignon, deux hommes l’attendent, mais ils ne sont pas de l’Olympique de Marseille. Dans une traction noire, ils l’emmènent dans un hôtel de Marseille. Leurs intentions ? Obtenir des informations. Les deux hommes sont en réalité deux journalistes du Soir, Raymond Gimel et Lucien d’Apo, et souhaitent une exclusivité sur l’arrivée de ce nouveau joueur à l’OM, ainsi que faire un joli coup à Dancausse, pas forcément copain avec les journalistes locaux et qui avait bloqué l’accès des vestiaires au Soir.

Qu’importe, Gunnar Andersson est enfin à Marseille et l’histoire est en marche, avant même que l’attaquant n’ait foulé le moindre centimètre de pelouse. Sa foulée pose d’ailleurs un sérieux problème à ses coéquipiers. Gunnar le canard marche comme Charlie Chaplin et se retrouve affublé d’un nouveau surnom : exit « Säffle-Gunnar » , bienvenu « 10h10 » . Mais très rapidement, sa spéciale « crochet du gauche-frappe du droit » va faire taire les sobriquets. Lors de sa première saison en ciel et blanc, l’attaquant marque 31 des 52 buts du club en championnat de France et permet à l’OM de se sauver in extremis. Rebelote l’année suivante : Andersson score 35 fois. Dans les chiffres, sur les huit saisons qu’il passera sur le front de l’attaque marseillaise, Andersson n’en connaîtra pas une seule à moins de 19 buts. Mieux, il offrira au club phocéen une troisième place de Division 1 en 1956. Andersson, toujours sans sélection avec les Blågult parce qu’il évolue à l’étranger, devient dans le cœur des Français et dans les colonnes des médias le remplaçant idéal du Rémois Raymond Kopa en équipe de France, parti kiffer au Real Madrid. Au lieu de ça, il ne glanera qu’une seule cape avec la France B contre l’Italie, match pendant lequel il se montrera très emprunté.

Accroc aux « petites boissons jaunes distillées par le diable »

À dire vrai, malgré ses 27 ans, la santé de « 10h10 » est plus que valétudinaire. Parce que sa femme Harriet et sa fille ont décidé de rester vivre en Suède, Gunnar n’a pas vraiment d’obligations familiales les soirs et week-ends depuis son arrivée à Marseille. De plus, tombé en amour avec la Provence et ses habitants, avec lesquels il n’aime rien tant qu’à se mélanger, il finit par en épouser les mœurs locales. Jean Robin, un ancien coéquipier, racontait que « lorsque Gunnar a débarqué et qu’il s’est assis pour son premier dîner, il a demandé du lait. Mais là-bas, dans le Sud, on boit pas de lait quand on est adulte. On lui a servi du vin à la place. Et il a aimé. » Pour coller encore plus à l’atmosphère douce et bonhomme du Sud de la France, Andersson découvre un autre elixir : le pastis. Même s’il finit par se remarier avec une certaine Laurence, c’est trop tard, le joueur est pris dans l’engrenage de ces « petites boissons jaunes distillées par le diable » comme il l’écrira dans une lettre envoyée à sa mère. L’histoire veut même que le breuvage anisé le grise au point de décupler ses performances. Le 5 septembre 1954, avant un match contre le CO Roubaix, le Suédois s’enfile dix pastis à la suite en guise de pari perdu avec un coéquipier : il réalisera un triplé en un quart d’heure, victoire de l’OM 5-2 à la clé.

« Royal au bar ! »

Mais impossible de poursuivre sur un tel rythme pour Andersson. En 1958, après une nouvelle lutte contre la relégation, l’attaquant suédois est vendu à Montpellier, alors en Division 2, avant de faire ses bagages une nouvelle fois l’année suivante pour Bordeaux, qu’il aide à remonter dans l’élite. Gunnar Andersson n’a alors que 31 ans lorsque sa carrière professionnelle prend fin. Il enchaîne des piges à Aix-en-Provence, à l’AS Gignac et même au CAL Oran comme entraîneur-joueur, dans une équipe en pleine Guerre d’Algérie. Finalement, le natif de Säffle mettra un terme définitif à sa carrière en 1964, à 35 ans. Après avoir joué les dockers sur le port de Marseille, il monte à Paris pour travailler derrière le comptoir d’un bar tenu par son beau-frère. Mais Gunnar, pas à son aise dans la capitale, veut revoir Marseille, bien qu’il n’en ait plus les moyens. Il quémande auprès d’un journaliste suédois de lui payer son billet pour Marignane, l’homme refuse et Andersson commence à traîner dans les stations de métro, sans domicile fixe, des ulcères plein l’estomac et un caillot coincé dans la jambe droite. Il ne devra son salut qu’à Marcel Leclerc, le nouveau président de l’OM, qui lui paie des frais d’hospitalisation à Bichat, puis un emploi à la piscine privée Chevalier-Roze-Sports, à deux pas du Vélodrome. Nous sommes en 1968 et l’OM n’a définitivement plus besoin de rêver d’Andersson, remplacé dans les cœurs des supporters marseillais par un autre Suédois bombardier : Roger Magnusson. Un an plus tard, le premier jour d’octobre, Gunnar Andersson passe au journal Le Provençal pour récupérer des tickets pour le match de Coupe des coupes contre le Dukla Prague, puis meurt foudroyé rue Breteuil à seulement 41 ans. Crise cardiaque. À moins que pour la première fois de sa vie, Gunnar Andersson n’ait choisi de se retourner.

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