- Ma vie de joueur pro
- Épisode 4
« Pour alimenter la presse, il y a toujours des joueurs complices »
Passé par la Ligue 1, la Ligue 2 et le National, désormais installé au Macarthur FC en Australie, le milieu de terrain Loïc Puyo (31 ans) a décidé de prendre la plume pour So Foot afin de raconter son quotidien de joueur. Pour sa quatrième chronique, il s'attaque à un gros morceau : le rapport aux médias.
« Il a abusé de me mettre 4 dans L’Équipe… Mon coéquipier a été nul et s’en sort avec un 6. » Voilà une réaction qui surgit souvent dans la tête des joueurs. Une note, que ce soit à l’école ou après un match, est une sentence, une évaluation de sa performance, et on a toujours tendance à la comparer à celles des autres. Un 7 sur 20 pour une rédaction de français au collège, c’est douloureux, mais on rentre simplement chez soi en faisant profil bas et on se fait chatouiller par ses parents. Mais un 2 sur 10 dans L’Équipe, lu par des milliers de fans de sport, là ça pique ! Concernant tous ceux qui prétendent passer outre, j’ai quand même un doute. Car il faudrait pour cela un sacré recul et une grosse force de caractère. À l’issue d’un match, on arrive – presque – tous à savoir si l’on a été bon ou mauvais. Alors, lorsque la note n’est pas en adéquation avec son auto-analyse, c’est forcément la faute du journaliste.
On se dit souvent « je sais qu’il ne m’aime pas et c’est pour ça qu’il m’a saqué ». En presse locale notamment, le journaliste qui suit les matchs est au plus près de l’effectif, on le croise dans la semaine, à l’entraînement, c’est lui qui voit toutes les rencontres. Alors on a tendance à penser qu’il y a toujours dans ses jugements une dimension humaine, forcément subjective : le feeling que l’on va avoir avec lui, la manière dont on lui dit bonjour et réciproquement, si on répond volontiers à ses questions ou à côté de ce qu’il voudrait entendre…
Satire à balles réelles
Lors de ma première saison à Amiens, en Ligue 2, j’avais été invité – en accord avec le club – à une émission de France Bleu Picardie. C’était une saison cata en matière de résultats, et je sentais bien qu’on me jetait dans la gueule du loup en m’envoyant dans ce débat hebdomadaire. C’était la première émission de radio de ma carrière, et le journaliste du Courrier picard s’était occupé de mon cas. Sa plus belle phrase a été : « De toute façon, le recrutement est raté, par exemple toi Loïc, je n’ai rien contre toi, mais tu n’as pas du tout le niveau Ligue 2 ! » Tiens, prends ça et parle au micro maintenant ! J’avait dit à mes parents d’écouter ce soir-là… Ils n’ont pas été déçus !
À Nancy, j’avais eu une petite explication avec un caricaturiste nommé Fuca. Depuis mon arrivée au club, il ne m’avait pas spécialement épargné. Une caricature est rarement flatteuse, mais son premier dessin à mon sujet expliquait que je venais prendre la place d’un joueur toujours blessé, ce qui me plaçait directement dans la case des joueurs fragiles. Sur le coup, je n’avais rien dit. Mais lors d’un match contre Dijon, j’ai reçu un coup de pied en pleine tête, me cassant deux dents et le frein de ma lèvre. Le lendemain, je voyais une nouvelle caricature me montrant à l’hôpital pendant que mon remplaçant célébrait sa joie après avoir marqué un but. Je l’avais contacté directement pour lui dire qu’il était temps d’arrêter de me traiter ainsi, alors que ses autres caricatures étaient très souvent flatteuses. Par la suite, ce n’était ni flatteur ni méchant, il n’y a tout simplement plus eu aucune caricature me concernant. Au-delà de mal le vivre personnellement, un traitement médiatique de ce genre touche forcément les proches. L’ayant vécu à ma modeste échelle, je n’imagine pas comment des joueurs à plus forte renommée, qui se font détruire au quotidien, arrivent à tenir. Même si c’est souvent pertinent, les mots peuvent être vraiment vexants lorsqu’on est critiqué. L’objectivité est impossible dans le sport. Pour moi c’est antinomique. Mais parfois, tout cela peut se transformer en parti pris et en acharnement.
Pour alimenter la presse, il y a toujours un ou deux joueurs complices, ou souvent un membre du staff, pour filer la petite info croustillante. Je me souviens qu’à Nancy, on avait travaillé un système et une compo la veille d’un match. Le coach nous avait dit de garder ces éléments secrets. Ça n’avait pas loupé : le lendemain, tout était dans le journal ! Lorsque c’est un joueur qui balance ce genre d’info, on se dit que c’est pour obtenir en retour des notes plutôt clémentes ou une couverture médiatique plus importante. Ce sont souvent ces mêmes joueurs qui, dès qu’ils voient un bout de caméra passer ou un micro traîner, se dirigent directement dans l’angle idéal pour être vus ou interrogés. Souvent, ils se mettent en avant, soit en faisant semblant de donner un conseil à un jeune, soit pour clamer leur amour au club ou aux supporters après une rencontre. Je les connais, ces joueurs-là. Ce n’est pas un hasard si ce sont toujours les mêmes qui passent en interview juste avant d’entrer sur le terrain, à la mi-temps, ou en conférence de presse.
« Pas un mot plus haut que l’autre » à Angers
Moi, j’ai eu l’honneur d’être interviewé deux fois à la pause par les caméras de Canal+ et Olivier Tallaron : une fois à Monaco, et une fois au Parc des Princes. C’était vraiment particulier, comme exercice. Déjà, je m’étais toujours dit que si je passais en interview, je m’obligerais à ne pas dire « voilà », le mot passe-partout qui n’apporte rien. Mais ce n’est quand même pas évident de répondre avec des phrases construites alors qu’on vient de se dépenser 45 minutes et que l’on n’a pas forcément récupéré toute notre lucidité. Je me suis toujours demandé quelle stratégie adopter. Plutôt la langue de bois pour ne pas se faire tancer par son club ou créer des problèmes ? Ou y aller franco et expliquer ce que l’on pense vraiment, quitte à dire qu’on est nul ou que l’arbitre, voire même son partenaire, est mauvais ? « L’important c’est les 3 points », « on prend les matchs les uns après les autres » ou encore le non moins célèbre « d’ici là on va se remettre au travail » ; cela n’a aucun intérêt d’entendre ces formules éculées quand on est devant son écran. Mais en même temps, en tant que joueur, a-t-on le choix ? Je me souviens qu’après une victoire avec Nancy, l’Angevin Yoann Andreu s’était un peu lâché en critiquant son équipe, un comportement à l’encontre de l’habituelle communication aseptisée du club. Quand j’avais signé à Angers quelque temps après, le directeur sportif Olivier Pickeu m’avait dit : « Ici, on a un bon groupe. Pas un mot plus haut que l’autre, à part une fois à Nancy ; mais on a vite repris le joueur de volée. » L’exception de la liberté au micro ne risquait pas de devenir la règle.
Quand je parle de communication aseptisée, c’est aussi dans les supports de com’ des clubs, et notamment celui d’Angers. Un jour, je n’étais pas dans le groupe à cause d’une blessure. Pourtant à cette époque, j’entrais assez souvent en jeu et Stéphane Moulin avait encore une once de considération pour moi. Lorsque que je suis allé voir l’annonce du groupe, je n’ai vu mon nom nulle part : ni dans les blessés, ni dans les choix de l’entraîneur. Donc j’ai contacté la community manager, qui m’a dit qu’à Angers, la consigne était de ne communiquer que sur les joueurs qui jouaient et pas sur ceux qui ne jouaient pas… Pourtant, quand on est blessé, on a toujours envie de se sentir inclus et concerné. En tant que joueur, on a tous un ego, la plupart du temps surdimensionné, donc le rapport à la presse qui nous sert de vitrine est forcément important. On entend souvent dire que les médias peuvent faire ou défaire une carrière. Il y a une part de vérité, c’est certain. Mais, pour finir comme toutes les langues de bois, la seule vérité est celle du terrain.
En National, Nancy repasse 1er, Châteauroux enregistre la pire défaite de son histoire à domicilePar Loïc Puyo, avec Jérémie Baron
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