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Portugal : la course contre-la-montre du corps arbitral
Seize minutes et six secondes. C'est le temps d'arrêt de jeu moyen, lié aux fautes, observé dans les rencontres du championnat portugais. Personne ne fait pire en Europe. Voilà le triste bilan dressé par l'Observatoire du football CIES et qu'un ancien pensionnaire de l'élite lusitanienne et un ancien arbitre tentent d'expliquer.
Elle ne sera pas décorée, n’aura pas à baisser la tête pour recevoir une médaille. Bien au contraire. En gras dans la 371e lettre hebdomadaire de l’Observatoire du football CIES, l’élite portugaise ne peut pas se targuer d’avoir grillé la priorité à tous les championnats d’Europe. Et pour cause, avec une moyenne de 16 minutes et 6 longues secondes par match, la Liga BWIN est la ligue comptabilisant le plus d’arrêts de jeu à la suite de fautes sur le Vieux Continent. Bien loin des 12 minutes et 18 secondes de la Ligue 1. « Je ne suis pas surpris. À vrai dire, je m’attendais même à bien plus », expose João Capela, ex-arbitre qui a veillé au bon déroulement de 149 matchs en première division portugaise entre 2005 et 2019. Le simple résultat d’une convocation urgente.
30 fautes par match en moyenne
« Je pense que c’est dans la culture portugaise, concède João Capela qui se veut tout de même positif quant à l’évolution de ce dossier. Les joueurs ne tombent plus à chaque contact comme c’était le cas il y a dix ans. Tout vise à s’améliorer. » Pour avoir foulé les pelouses de l’élite portugaise à 78 reprises entre 2012 et 2018, Vincent Sasso se montre, lui, beaucoup plus critique : « Il y a un vrai souci. Les arbitres sifflent assez facilement, mais les joueurs se laissent trop souvent tomber au sol. Et ça va en rajouter, ça va crier… » Difficile de ne pas lui donner raison. Depuis trois ans, les temps additionnels à rallonge se succèdent à cause d’une moyenne de 30 fautes par match. Troisième total le plus élevé des 38 championnats au monde. Tout en bas de l’échelle, sans surprise, on retrouve les deux championnats anglais avec 20 interruptions en moyenne sur les 90 minutes. Là aussi, les chiffres ne surprennent pas Vincent, passé par le Championship entre 2015 et 2017. « Là-bas, un joueur ne va pas se laisser tomber au moindre coup physique parce que depuis tout petit, il n’a jamais vu faire ça. Au Portugal, c’est tout l’inverse, et surtout, c’est récurrent », peste le latéral français de 31 ans. À les écouter, on se rend vite compte qu’il existe bon nombre de différends à ce sujet. Et pourtant, au moment de tenter d’expliquer cette cassure, l’homme au sifflet et le joueur de football trouvent vite plusieurs terrains d’entente.
Si la grande majorité des admirateurs et acteurs de la Liga BWIN s’accorderont à dire que « certains joueurs jouent souvent avec l’arbitre », comme l’atteste M. Capela, les nombreuses rencontres hachées qui polluent le championnat portugais sont en grande partie dues à la grosse pression sur le corps arbitral. « Déjà que le métier d’arbitre n’est pas facile, si tu en prends plein la tête derrière, c’est normal que tu ne sois pas le meilleur », affirme Vincent. Cette tension à l’encontre des juges de la partie provient de trois causes facilement identifiables. La première : les insultes. Le week-end dernier, lors de la rencontre entre Benfica et Vizela (1-1) pour le compte de la 26e journée du championnat, le directeur général du SLB Rui Pedro Braz, présent sur le bord de la pelouse, a été expulsé pour avoir insulté l’arbitre du match Manuel Oliveira de « filho da puta ». Une attitude qui lui a couté 3825 euros d’amende et une suspension de 23 jours.
Rui Pedro Braz a comentar sobre ele próprio #ruipedrobraz #benfica #vizela pic.twitter.com/TZjm4CRbjv
— Bruno Ferreira ?? (@watashibru) March 12, 2022
30 millions d’ennemis
Des circonstances qui en disent beaucoup sur l’état actuel des liens entre les acteurs de la partie et le corps arbitral. Pire, dans le sac des injures, il y a celles que l’on voit, et celle que l’on ne voit pas. « Combien de fois j’ai entendu un joueur insulter l’arbitre ? reprend Vincent Sasso avant de s’attarder sur un exemple concret. Un jour, Bruno Fernandes a utilisé les mêmes propos que Rui Pedro à l’encontre d’un arbitre. Il ne s’est rien passé. Alors est-ce qu’il l’a entendu, ou plutôt, est-ce qu’il n’a pas voulu l’entendre ? Je ne sais pas. Mais en tout cas, « fils de pute » à un arbitre en Angleterre, ça ne passe pas. » De plus, les hommes en jaune sont souvent obligés de faire face aux fameuses « levées » de banc, propres au Portugal, le second facteur. « Du kiné à l’entraîneur en passant par le gardien remplaçant, dès qu’il y a le moindre truc, c’est tout le banc qui se lève pour crier au scandale », pointe du doigt Vincent Sasso, se rappelant ses passages à Beira-Mar, Braga ou encore Belenenses SAD. Avant l’introduction de la VAR au Portugal en 2018, ce type de protestation influençait constamment les décisions de l’arbitre. « Une petite faute, un joueur qui se roule par terre, le banc qui se lève, et donc l’arbitre dégaine. C’est quelque chose qui m’avait marqué », lance l’actuel joueur du Servette FC.
De son côté, João Capela confirme que même si la vidéo a permis de faire disparaître peu à peu ce genre de comportement, parfois il reste trop exagéré : « À cause de ça, les joueurs deviennent vite nerveux et les spectateurs suivent. C’est simplement une stratégie de déstabilisation pour ajouter de la pression sur nos épaules. » Enfin, les arbitres doivent faire avec l’impulsion du paysage médiatique national. Qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il vente, la presse sportive portugaise fera toujours de l’actualité des trois ogres du championnat (Porto, Benfica et Sporting, NDLR) sa page de couverture. Pareil pour les émissions de talk à la télé. Un trop-plein qui envoie donc souvent, pour ne pas dire systématiquement, les arbitres et leurs décisions au milieu des débats. « Un jour ou l’autre, tous les arbitres finissent au centre des débats à la télévision. On est trop exposés, et nombreux sont les journalistes qui parlent du football négativement », réagit M. Capela. Pour le moment, l’élite lusitanienne a seulement ouvert cette lettre du CIES. Il s’agirait désormais de trouver des solutions pour se détacher d’une telle étiquette.
Par Matthieu Darbas
Tous propos recueillis par MD.