- Le portrait du vendredi
Portrait : qui est vraiment Kalifa Coulibaly, l’immense attaquant du FC Nantes ?
Enfin titulaire indiscutable en Ligue 1, Kalifa Coulibaly est un personnage aussi énigmatique que sa conduite de balle. Que ce soit à Paris, en Belgique ou à Nantes, sous les ordres de Franck Rizzetto, Alain Giresse ou Christian Gourcuff, il a toujours laissé la même trace. Celle d'un attaquant techniquement fragile, mais aussi improbable qu'efficace. Et celle d'un homme qui passe sa vie à se taire.
Dans son monde, il a pris l’habitude de regarder les gens de haut. Rien à voir avec de la prétention, non, Kalifa Coulibaly est juste un grand gaillard d’un mètre quatre-vingt-dix-sept. Depuis tout petit, que ce soit dans la rue ou sur un terrain, c’est bien sa taille qui le distingue des autres.
« Déjà à la naissance, il était plus grand qu’un bébé normal, même si on ne connaissait pas la taille exacte, car on ne fait pas attention à ces choses-là au Mali » , se souvient avec amusement son père, Mamadou « Benny » Coulibaly. Une étiquette qui lui colle à la peau depuis toujours, donc. Quand il s’agit de parler de Kalifa, chaque membre de son entourage finit par une blague sur cette grande tige qui fait généralement au moins une tête de plus que les autres.
À Nantes, il ne passe plus incognito, plus maintenant. Dans la rue, déjà, et sur le terrain aussi, depuis quelques mois. Son gabarit de basketteur – un sport qui ne l’a jamais intéressé – a pu lui valoir quelques moqueries au départ, surtout pour un numéro 9 dont la mission est de faire trembler les filets. Peu importe, les critiques parviennent tout de même à passer au-dessus du garçon, toujours attiré par le but. Résultat, le successeur d’Emiliano Sala sur le front de l’attaque nantaise a terminé le dernier exercice en trombe avec six pions lors des huit dernières journées, avant de commencer cette nouvelle saison en marquant trois buts en sept matchs. Une bonne période, mais surtout une grosse satisfaction, celle de se faire enfin un nom sur les pelouses de Ligue 1. À 28 ans, il était temps.
Titi parisien tardif
Le 19 janvier 2002, les rues de Bamako sont en effervescence. Le Mali organise la toute première Coupe d’Afrique des nations de son histoire. Au Stade du 26 mars, la sélection nationale fait son entrée en lice contre le Liberia de George Weah.
Devant sa télévision, aux côtés de son patriarche, le jeune Kalifa a les yeux qui brillent. Et pour cause, dans le onze malien, deux maillots sont flanqués de son nom de famille. Aucun lien familial, mais le gosse de 11 ans s’imagine déjà à la place d’Adama ou de Soumaïla, se souvient son père, ancien international malien : « Quand on regardait la télé devant l’équipe nationale du Mali, il disait : « Un jour je serai là et je jouerai pour la sélection » » . Un côté rêveur, mais surtout une grosse confiance en lui. Ce soir-là, après un nul 1-1 (ouverture du score de Weah, égalisation de Seydou Keita), le Mali finit deuxième de son groupe, élimine l’Afrique du Sud, mais tombe en demi-finale contre le Cameroun, futur vainqueur. Après cette campagne continentale, Kalifa se lie définitivement d’amour avec le football.
Inscrit à l’AS Real Bamako, où son père et son grand-père maternel ont évolué, l’adolescent détone déjà par ses talents de buteur. « Il m’a tout de suite tapé dans l’œil. Ça se voyait qu’il avait de l’avenir, il ne pouvait pas faire deux matchs sans marquer, le petit ! Il était au-dessus par la taille et sur le terrain, il avait une vraie confiance. Il savait qu’il était au-dessus et à chaque match il était craint » , se rappelle Amadou Pathé Diallo (rien à voir avec l’industrie cinématographique), ancien joueur de l’AS Real Bamako et sélectionneur adjoint du Mali dès 2004. En 2010, alors avant-centre numéro un de son club, Kalifa permet à son équipe d’atteindre la finale de la Coupe du Mali, face au Centre Salif-Keita. Une autre équipe de la capitale qu’il connaît bien puisque son ami Kalifa Traoré y évolue comme défenseur central. Et le duel tourne à l’avantage de Coulibaly. Mais le destin qui les lie ne s’arrête pas là. Dans la foulée, les deux Kalifa sont invités au Paris Saint-Germain pour y passer des essais concluants qui leur permettent de s’engager quelques mois plus tard avec le club de la capitale, contre les recommandations d’Amadou Pathé Diallo : « Ils n’avaient aucune chance de jouer avec les pros et ils ne venaient pas d’un centre de formation. Ma grande crainte depuis le départ, c’était surtout la difficulté pour un jeune africain de découvrir l’Europe sans référence et sans expérience. »
À Paris, les premiers mois sont effectivement compliqués, mais le binôme se serre les coudes et se fond dans la masse d’un groupe pléthorique. Kalifa Traoré, désormais aux Herbiers, raconte : « Quand on est arrivés, vu qu’on ne connaissait pas la ville, on a préféré habiter ensemble. Le club nous a trouvé un grand appartement à Saint-Germain-en-Laye. Quand on faisait de longs déplacements, on arrivait parfois à 23 heures donc on rentrait tous les deux à pieds. On passait par la forêt de Saint-Germain-en-Laye et on débriefait la rencontre sur le chemin du retour. » Réputés timides et taiseux, les deux compères sont surtout casaniers.
« Vu qu’on ne connaissait pas grand-chose, quand on sortait de l’entraînement, on restait chez nous. Même les week-ends ou après les matchs, on ne sortait pas, on restait enfermés à la maison. On jouait à la console, on regardait la télé. À l’époque, on regardait surtout la série Spartacus. » Après une saison ensemble avec la réserve XXL du PSG, Kalifa Traoré part en prêt à Sedan alors que son acolyte reste à Saint-Germain-en-Laye. Problème, depuis que le club est sous pavillon qatari, jouer en équipe première relève de l’exploit. Kalifa doit donc se contenter d’évoluer avec l’équipe réserve, dont il n’est pas le titulaire indiscutable. Un mal pour un bien selon son entraîneur de l’époque, Franck Rizzetto : « Il avait de grandes jambes donc il fallait qu’il travaille ses appuis, sa coordination, ses appels, sa gestuelle et la simplicité devant le but. Il avait beaucoup de choses à apprendre » . Mais après deux saisons ponctuées par une seule et unique apparition dans le groupe professionnel, alors que Traoré a goûté à la Ligue des champions sous Laurent Blanc, l’élève décide de quitter la capitale et de dire au revoir à une réserve du PSG qui lui a permis de jouer notammen avec Alphonse Areola, Mike Maignan, Jean-Christophe Bahebeck, Jean-Eudes Maurice, Youssouf Sabaly, Hervin Ongenda ou encore Kingsley Coman. Des clubs de National lui font les yeux doux, mais déjà âgé de 24 ans, il préfère poursuivre son apprentissage en Belgique. Une destination qui va lui aller comme un gant.
Bienvenue à l’école de Mogi
Dans le vestiaire de Charleroi, le nombre de francophones est à son paroxysme quand Kalifa y débarque. Le Malien retrouve même Neeskens Kebano, son ancien coéquipier au PSG. Recruté pour être la doublure de Cédric Fauré, Kalifa doit encore s’améliorer dans beaucoup de domaines. « À son arrivée, c’était un joueur qui se précipitait énormément devant le but. Parfois il voulait tellement tirer fort que le coach Felice Mazzu se tirait les cheveux, rapporte l’ancien buteur toulousain. Je lui ai dit que, devant le but, il fallait qu’il se calme, qu’il ait de la réflexion et qu’il ne fallait pas tout arracher. » À force d’abnégation, de travail et de remise en question, le natif de Bamako prend de l’épaisseur dans l’effectif carolo. Après une première partie de saison en demi-teinte, il se réveille et inscrit cinq buts en dix matchs de play-offs. Largement suffisant pour que l’influent agent de joueurs Mogi Bayat mette le grappin dessus.
Une pratique habituelle et naturelle, selon Cédric Fauré : « À l’hiver 2014, j’arrive à Charleroi avec Mogi Bayat. Dans le groupe, on savait tous qu’on avait un lien, direct ou indirect, avec lui. Mais dans le vestiaire, il n’y avait pas le ressenti que les joueurs de Mogi allaient jouer. Felice Mazzu faisait ses propres choix et faisait jouer les meilleurs. À la fin, il a fait jouer Kalifa parce qu’il marquait des buts et c’est ce qui lui a permis d’aller à Gand. »
Si ses prestations de fin de saison lui permettent de signer à La Gantoise à l’été 2015, l’influence de Mogi Bayat pèse dans la balance. Frère du président de Charleroi, il dirige et détourne d’une main de maître le marché des transferts belge. Si le père de Kalifa Coulibaly confie que son fils a également un autre agent en France, c’est bien l’opulent Bayat qui pose sur la photo avec lui lors de sa signature à Gand, devant son Hummer reluisant. En Flandres, il rejoint encore un effectif composé de francophones, dont Danijel Miličević, ancien joueur de Charleroi lui aussi. « On avait joué l’un contre l’autre lors des play-offs, je me rappelle bien de ce match car il avait marqué. Il m’avait fait une très belle impression. Il était très grand, mais aussi très rapide dans les espaces » , se rappelle Miličević. Pourtant, le but que se remémore le Suisse n’est autre qu’un disgracieux pointu. Il n’y a pas de doute, quand Kalifa débarque à Gand, il est encore cet attaquant dégingandé et pas assez coordonné, le même que celui du PSG. Capable de rater des occasions faciles et d’inscrire des buts improbables.
Mogi des idées de génie
Comme souvent, le Malien met du temps à s’adapter, se contentant d’être la doublure de Laurent Depoitre. Pas de secret, il doit encore épurer son jeu, trop brouillon et imprécis, et s’adapter au 3-4-3 mis en place par Hein Vanhaezebrouck. « À Gand, c’est une autre dimension. C’est plus organisé, ça joue chaque année ou presque l’Europe, les exigences ne sont pas les mêmes » , rappelle Miličević. Mais avec un calendrier ultrachargé et une confiance en soi intarissable, Kalifa saisit sa chance en Ligue des champions. En novembre 2015, il frappe un grand coup en marquant le but de la victoire contre Lyon (1-2), à Gerland, au bout du temps additionnel et quelques secondes seulement après son entrée en jeu. Rebelote contre Wolfsburg en février, ce qui lui permet de devenir le « Monsieur Europe » de Gand.
L’année qui suit, il confirme son statut en inscrivant neuf buts en Ligue Europa, et six en Jupiler Pro League. Décisif dans les matchs importants et pleinement intégré, Kalifa réussit une deuxième saison aboutie et signe à Nantes. Avant de définitivement bluffer son monde, Miličević le premier : « Je me rappelle d’un but à la dernière seconde contre Konyaspor, contrôle de la poitrine et reprise du pied droit. Récemment, j’ai regardé le match face à Strasbourg. Il a mis un super but du pied gauche, il a beaucoup progressé dans les petits gestes, les petits espaces. Je le trouve plus mature dans son jeu » . Problème, de temps en temps, Coulibaly se fait aussi remarquer par de vilains gestes : une dangereuse semelle sur Ludovic Butelle en mai 2016, un méchant coup de coude donné à un joueur de Saint-Trond, et deux expulsions depuis son arrivée à Nantes, à chaque fois pour avoir laissé traîner une partie de son corps (les bras ou les pieds) au mauvais endroit. « Même contre Rennes, c’était chaud avec les défenseurs. À un moment, j’ai cru qu’il allait prendre un carton, raconte son pote Traoré, présent dans les tribunes de la Beaujoire lors du succès nantais dans le derby mercredi soir. Ses cartons, c’est avant tout à cause de ses très grandes jambes, il ne fait pas exprès, il ne contrôle pas tout. » Et surtout pas ses paradoxes.
Timidité et fait divers
Vous trouverez difficilement quelqu’un pour vous décrire Coulibaly comme un enfant turbulent, un mauvais garçon ou un homme exubérant. Les témoignages sont unanimes : le gamin de Bamako est quelqu’un de profondément timide, discret, réservé, voire renfermé sur lui-même.
Là aussi, c’est un héritage familial : « Je lui ai dit une fois à Kalifa : « oh, tu es comme papa toi ! Tu es là, tu ne parles pas, tu regardes ce qui se passe, tu observes et sur le terrain, tu exploses ! » Ce sont les mêmes, raconte en riant Amadou Pathé Diallo. Il est comme tous les jeunes Maliens, il est timide, il n’aime pas se mettre en avant, même s’il a un peu évolué maintenant. » Pas au point de complètement changer de personnalité ou devenir un leader d’équipe. Si Kalifa n’est pas le dernier à mettre l’ambiance dans les coulisses du vestiaire nantais, selon son père, il préfère toujours rester dans la discrétion. Alain Giresse, sélectionneur de la Tunisie lors de la dernière CAN en Égypte, a bien connu le bonhomme avec le Mali (2010-2012 et 2015-2017) et raconte avoir souvent croisé son ancien joueur cet été, les deux sélections partageant le même hôtel à Suez : « Ce qui est marrant avec Kalifa, c’est qu’il est impressionnant physiquement, mais il traîne toujours avec quelqu’un qui a du caractère. Et je lui disais en rigolant à ce grand garçon : « Oh Kalifa, c’est à toi maintenant, dirige un peu tout ça, ne te laisse pas faire. » »
Beaucoup de lumière, de compliments, mais aussi quelques zones d’ombre. En tête de gondole, cette affaire remontant à l’été 2018. Le jeudi 23 août, Coulibaly passe la nuit en garde à vue. L’accusation est sordide : le Malien aurait menacé – voire agressé – avec un marteau une femme présentée comme son ex-petite amie dans son appartement nantais. Le fait divers sort dans les médias, sans que l’histoire ne se transforme en feuilleton, la supposée victime choisissant finalement de ne pas porter plainte. « Les rumeurs ont fusé : l’affaire étouffée par les Kita, des mensonges de la part de Ouest-France… On ne saura je pense jamais ce qu’il s’est réellement passé cette nuit-là, confie une source proche du dossier. Il n’y a eu aucune plainte déposée, aucune blessure constatée, aucune poursuite n’a été faite par le parquet, donc finalement, on parle juste d’un type qui a passé une nuit en garde à vue. » Mamadou « Benny » Coulibaly, lui, n’a aucun doute quant à l’innocence de son fils dans cette histoire : « Je lui ai demandé ce qui s’était passé, il m’a expliqué. J’étais étonné, il n’est pas agressif. Puis, j’ai confiance en lui, il m’a dit qu’elle avait menti. La semaine avait été difficile, mais sans plus. Il a même joué le samedi suivant sa garde à vue. » Plus d’une heure face à Caen, à la Beaujoire, avant de laisser sa place à Emiliano Sala, comme pour faire comprendre qu’il n’était pas affecté. « Kalifa, il est comme ça, confirme son père. Quand il fait face à quelque chose de désagréable, ça va durer trois ou quatre jours, puis ça passe. Ce n’est pas quelqu’un qui va se laisser miner par les obstacles. » Comme quoi, le grand timide a aussi son caractère et sait encaisser les coups.
Une sorte de paradoxe qu’il entretient aussi sur le terrain. Son quasi double mètre s’est toujours présenté comme un avantage pour se démarquer et peser sur des défenses, tout en s’imposant comme une faiblesse majeure pour son évolution technique. Pire, sa grande taille ne lui permet pas d’avoir un jeu de tête redoutable. Amadou Pathé Diallo rembobine : « Pour moi, on ne l’a pas assez fait travailler là-dessus dans son enfance et pendant sa formation, je le trouve moyen sur le jeu de tête, alors que ça devrait être beaucoup mieux. Etre grand ne suffit pas. » Qu’importe, avec une petite dizaine de buts en Ligue 1 et un nouveau statut de titulaire à la pointe de l’attaque nantaise, Coulibaly s’est acheté un début de crédibilité. « Il fallait vraiment qu’il progresse dans ses prises de balle, sa justesse technique et il est en train de le faire, éclaire Giresse. Quand on voit le but qu’il met à Strasbourg, c’est un sacré geste. J’ai l’impression qu’il devient de plus en plus complet. » Ça tombe bien, le buteur envisage désormais de faire de la Premier League la prochaine étape de sa carrière. Sur une terre qui a enfanté Peter Crouch, on arrêtera peut-être au moins les plaisanteries sur sa taille.
Par Clément Gavard et Maxime Renaudet
Tous propos recueillis par CG et MR