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Pogmentary, le documentaire sur Paul Pogba : rien à signaler
Annoncé en grande pompe, le Pogmentary est disponible sur Amazon Prime depuis le 17 juin. Pur exercice de communication à mi-chemin entre la téléréalité et le football de dessin animé, cette docu-série de cinq épisodes de trente minutes sur Paul Pogba est néanmoins très décevante, pour une raison très simple : elle réussit la prouesse de ne strictement rien dire de son sujet.
Un mélange de L’Incroyable Famille Kardashian et d’Olive et Tom : voilà en gros en quoi consiste le Pogmentary, cette série-docu de cinq épisodes qu’Amazon Prime diffuse depuis le 17 juin au sujet de Paul Pogba. Car oui, dans ce qui est un pur exercice de communication, le milieu de terrain de Manchester United et de l’équipe de France se dévoile de deux manières : en premier lieu, une plongée dans sa vie privée, tantôt touchante tantôt agaçante, tant elle pousse loin l’autostarification à l’américaine, et en second lieu, un récit de la trajectoire de la Pioche, des terrains du Havre à ceux d’Old Trafford, romancé au possible. De fait, dans la forme également, le Pogmentary alterne entre huis clos d’intérieur convenus et flashbacks sous forme de cartoons bien calibrés, le tout entrecoupé d’affreux interludes proches de clips de mauvais goût, à base d’incrustations de titres de presse, de tweets ou de posts. Mais le problème essentiel, c’est que contrairement à sa promesse – révéler qui est vraiment Paul Pogba -, le documentaire, qui dure pourtant deux heures et demie, ne dévoile quasiment rien qu’on ne sache déjà. Circulez, il n’y a rien à voir.
Tout montrer et ne rien dire
La promesse du documentaire, pourtant séduisante, est paradoxalement résumée dans ses tout derniers instants : « Voilà, vous savez maintenant tout de moi. » Et de fait, Paul Pogba a tenté de laisser entrevoir pendant cinq épisodes les coulisses de sa vie, son entourage, ses proches et son quotidien. Bien qu’il faille garder en tête qu’il s’agisse davantage d’un exercice de communication que de véritables instants volés, le Pogmentary dévoile un peu de ce qu’est la vie d’un joueur de football, un pan d’habitude laissé loin du regard des caméras : pêle-mêle, on retrouve la préparation physique, les vacances, la religion, les blessures, et plus frappant, une dose de « charité » , notamment lors d’une séquence touchante, bien qu’expédiée en quelques minutes, quand le milieu de United s’en va distribuer des repas à des populations défavorisées de Manchester. Le reste est de manière prévisible, assez banal : en gros, chez les Pogba aussi, quoiqu’avec un peu plus d’argent, on court à droite à gauche pour surveiller les enfants, on se chamaille pour faire les valises avant de partir en vacances et on accorde une place prépondérante à la famille. Rien de nouveau donc, rien de bien transcendant en tout cas.
Sur le football à proprement parler, on n’apprend rien non plus, ou presque, si ce n’est des choses qu’on soupçonnait déjà : le fait que les cadres des Bleus n’étaient pas au courant du retour de Karim Benzema, que l’équipe de France pensait que le match était « plié » contre la Suisse, en huitièmes de finale de l’Euro, et que Paul Pogba n’est pas le même en club qu’en sélection internationale. Le tout est agrémenté de poncifs creux et éculés au possible. « Ton corps, c’est ton outil de travail ; quand t’as compris ça, t’as tout compris. » Ou encore : « Quand tu ne lâches pas, que t’es positif dans ta tête, rien ne changera, tu resteras toujours toi-même. » Et quand l’avocate de Paulo tente de répondre à la question proposée par le documentaire, c’est-à-dire « Qu’est-ce qu’être un Pogba ? », on ne peut s’empêcher de sourire face à la réponse donnée : « C’est être un guerrier, être honnête, et suivre ses rêves. » En gros, c’est être un personnage d’Inazuma Eleven : c’est tout à son honneur, bien sûr, d’autant qu’on le sent sincère, honnête et plutôt sympathique, mais la conclusion reste légère au regard de la promesse affichée en grande pompe.
Paul Pogba, star de son propre monde
Quant au fil rouge du documentaire, atrophié au possible, il se résume globalement à une question : « Partira ou partira pas ? Et si oui, pourquoi ? » Seulement, à cet égard, le documentaire tourne en rond et se répète. D’une part car il est globalement mal structuré, alternant les flashbacks et l’actualité sans qu’on comprenne bien les enchaînements, voire la période à laquelle on se trouve. D’autre part, car ni Pogba ni son entourage n’apportent à l’interrogation une réponse claire et définitive, ni même une quelconque explication solide. Au contraire, à chaque fois qu’elle est abordée, c’est de manière évasive, en ressortant constamment les mêmes poncifs : « Dans le foot, tout va très vite » ou « il faudra étudier toutes les options qui se présentent ». Pire, le joueur de 29 ans élude la question. « Les gens veulent plein d’informations, lâche-t-il. Mais je ne peux rien leur donner en fait. » Très bien, mais alors, à quoi bon réaliser un documentaire de cinq épisodes de 30 minutes ? La réponse est contenue dans une autre assertion tapageuse et assez surprenante de la Pioche, balancée quelques instants plus tard. « Si c’est un transfert [son avenir], je n’ai pas envie d’être dans l’obscurité. »
Car oui, de manière un peu dérangeante, ce qui ressort du Pogmentary est une sorte de culte de l’individualité poussé à l’extrême, presque une volonté de prouver à tout prix que son personnage est une « star », quitte à virer parfois à l’ego trip. Entre les propos louangeurs de sa compagne et les compliments malaisants d’un Blaise Matuidi juché sur un yacht qui lui défend mordicus qu’il est connu à l’échelle « mondiale », Paul Pogba construit sa propre légende. Et de fait, à l’exception de trois séquences très brèves avec Antoine Griezmann, Blaise Matuidi et Raphaël Varane, le natif de Lagny-sur-Marne n’a pas un seul mot pour ses partenaires. L’évocation du collectif n’apparaît que de deux manières : soit pour glorifier une équipe de France au sein de laquelle Paulo affirme qu’il est un « leader », soit pour tancer les performances d’un Manchester United dont on finit par se dire, à entendre son joueur, qu’il est faible sur le terrain, irrespectueux en dehors, et globalement, plus petit que l’immense Paul Pogba. C’est là que le bât blesse : de manière effarante, les Red Devils ont été piétinés tout au long de la série, Sir Alex et offre de prolongation mirobolante y compris. De quoi atteindre l’objectif inverse de celui qui était attendu, en faisant plus de mal que de bien à l’image du joueur. Ou comment foirer bien comme il faut un exercice de communication qui semblait, en apparence, impossible à rater.
Par Valentin Lutz