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Pierre Maes : « L’arrivée de CVC en France risque de réduire la solidarité entre les clubs »

Par Adrien Candau
Pierre Maes : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>L&rsquo;arrivée de CVC en France risque de réduire la solidarité entre les clubs<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Après avoir anticipé la catastrophe Mediapro dans son livre Le Business des droits TV du foot en 2019, Pierre Maes revient jouer les oracles de mauvais augure avec un nouvel ouvrage, La Ruine du foot français. Cet ancien directeur des programmes de Canal+ Belgique - reconverti comme consultant indépendant – y évalue avec méfiance l’accord que la Ligue a conclu avec le fonds d’investissement CVC, fin juillet dernier. Ce nouveau partenaire va verser 1,5 milliard d'euros aux clubs de Ligue 1 et Ligue 2 pour prendre 13% de la future filiale commerciale de la LFP, qui commercialisera les droits TV du championnat de France. Une fabuleuse promesse de croissance ou un dangereux pacte faustien ? Tentative de réponse.

Pierre, fin juillet, le closing (la conclusion de l’acte d’achat, NDLR) entre la LFP et le fonds d’investissement CVC Capital Partners a été acté. Pourtant, la Ligue n’a presque pas communiqué sur le sujet cet été. Comment l’expliquer ? Déjà, on peut se demander quelles compensations, quels types de contrepartie CVC a obtenu pour ces 1,5 milliard. Sur la modalité de rémunération de CVC, on ne sait par exemple pas si, comme en Espagne, ils vont prendre un pourcentage annuel sur les droits TV. Bon, c’est la même boîte, donc on peut imaginer qu’ils ont demandé la même chose en France. Néanmoins, je suppose que si la Ligue avait obtenu des modalités plus avantageuses que celles de la Liga espagnole, ils auraient certainement communiqué dessus… Pareil sur la gouvernance : rien de précis ne nous a été expliqué. À titre d’exemple, CVC voulait aussi acquérir une partie des droits de la Serie A. Cela n’a pas été exprimé clairement, mais on sait que les présidents des clubs italiens se sont rendu compte qu’ils n’allaient plus vendre eux-mêmes les droits TV, que CVC allait avoir une influence trop importante dans les négociations. C’est donc ça qui a fait échouer le deal.

Et en France ? Est-ce qu’on peut essayer de modéliser la future influence de CVC au sein de la nouvelle société commerciale de la Ligue, qui gérera la vente et la valorisation des droits TV ? On peut imaginer que CVC a envie d’avoir une influence, mais jusqu’où va-t-elle s’exercer ? On n’en sait rien. CVC aurait donné tout cet argent pour prodiguer simplement des conseils et laisser toute latitude décisionnelle à la Ligue ? Ça ressemble à un scénario idyllique. De plus, je pense que si la Ligue avait gardé 100% des prérogatives quant à la vente des droits TV, elle aurait beaucoup plus lourdement communiqué sur le sujet.

Je ne vois donc pas très bien ce qu’un fonds peut apporter de si décisif. À l’exception d’une chose : si le fonds décide, on n’a plus de guerre de présidents. C’est une manière de forcer l’unité.

On entend souvent que l’expertise de CVC va permettre de beaucoup mieux vendre les droits TV du football français.C’est vraiment discutable. Personnellement, sur la soi-disant expertise des fonds, je me pose quand même des questions. Tout ça, ça fait quand même un peu écran de fumée… Il ne faut pas qu’on se détourne de l’objectif premier des clubs, à savoir : obtenir du cash maintenant. À la limite, le reste, ils s’en foutent. Le Barça est la caricature de ce schéma de pensée : on vend les bijoux de famille, sans trop penser à demain. Pour les concessions faites aux fonds, on verra bien… Bien entendu, la Ligue nous parle de stratégie à long terme, d’expertise des fonds, mais tout ça, pour moi, c’est un peu du bla-bla. Notamment car ces fonds n’ont pas vraiment d’expertise dans la vente de droits TV. La Ligue en a plus, en réalité. Ils vendent des droits depuis 1984 à Canal. Ils ont commis une erreur monumentale avec Mediapro, mais généralement, ils savent comment faire. Ils ont des avocats qui les assistent depuis longtemps, des spécialistes en interne, ils peuvent recourir à des consultants et des agents qui sont compétents dans le domaine… Je ne vois donc pas très bien ce qu’un fonds peut apporter de si décisif. À l’exception d’une chose : si le fonds décide, on n’a plus de guerre de présidents. C’est une manière de forcer l’unité.

Et de court-circuiter les petits clubs au passage ?Je pense que la réponse est oui. La solidarité, c’est bien joli, mais ce qui rapporte de l’argent, ce sont les grands clubs. À partir du moment où les fonds mettent de l’argent dans une ligue, ils ont plusieurs manières de se rémunérer. Soit annuellement – comme le fait CVC en Espagne -, soit l’essentiel des gains se fait à la revente. Donc, il faut nécessairement faire grandir la valeur du produit, ce qu’ils ont fait en Formule 1. (En 2006, CVC avait acheté une part majoritaire de la F1 pour un montant estimé à environ un milliard de dollars, avant de céder ses parts en 2016 au groupe américain Liberty Media pour une somme estimée entre quatre et sept milliards d’euros, NDLR.) Ils ont une fenêtre qu’ils veulent la plus courte possible pour augmenter la valeur, et vendre avec profit. Ils vont tout faire pour que le produit soit le plus attractif possible commercialement. Ça peut sûrement passer par une solidarité moins grande et une chaîne de valeur davantage orientée vers les grands clubs.

Lorsqu’il avait été auditionné par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat le 8 décembre dernier, Vincent Labrune avait d’ailleurs tenu les propos suivants : « Nous n’allons pas aller vers une répartition plus solidaire des revenus, au moment où nous n’avons jamais eu si peu d’argent… En période de crise, nous n’avons qu’une priorité : sauver nos locomotives coûte que coûte. Sinon, nous n’aurons plus de championnat, donc plus de recettes. C’est cela la réalité. » Tout à fait. Labrune est hyper cash, il a une franchise qu’on n’avait pas forcément vue auparavant, où on parlait en priorité de solidarité. Lui, il avance démasqué en disant en somme : « On est en crise, la solidarité, c’est fini, on doit alimenter nos locomotives, c’est ce qui rapporte de l’argent, point à la ligne. »

Labrune est élu président de la Ligue en septembre 2020. Le 3 juin 2021, une réforme pour que la Ligue 1 passe à 18 clubs est votée. En parallèle, on apprend que la LFP négocie avec plusieurs fonds, dont CVC, pour vendre des parts de sa future société commerciale qui commercialisera les droits audiovisuels du championnat. Est-ce qu’on peut éventuellement y voir un lien de cause à effet ?On peut effectivement penser que Labrune a voulu rendre le produit plus sexy pour les fonds et que le passage à 18 clubs fait partie intégrante de cette réflexion.

La répartition de l’argent investi par CVC peut aussi interroger. Le PSG va toucher la plus grosse part, 200 millions d’euros, soit 17% du total. L’OL, l’OM, Nice, Lille, Rennes et Monaco vont toucher au moins 80 millions par club. Les 13 clubs restants vont toucher 33 millions d’euros chacun. Après le scandale Mediapro, les clubs de Ligue 1 sont asphyxiés financièrement et ce sont pourtant les moins vulnérables d’entre eux qui touchent la plus grosse part du gâteau. Comment l’expliquer ?Comme vous l’avez mentionné, après le crash Mediapro, les clubs de Ligue 1 sont soumis à une pression financière dangereuse. Schématiquement, l’idée c’est : on donne du cash tout de suite aux petits pour les calmer et on répartit le pouvoir et l’argent au sommet. Le PSG est très emblématique de cette façon de procéder. Comment peut-on expliquer que le club francilien touche autant ? En sous-main, le PSG doit quand même être un des clubs en Europe qui doit être le plus tenté par la Superligue. Les propriétaires qataris – qui ont vu leurs voisins émiratis et saoudiens investir dans Manchester City puis Newcastle – doivent se dire : « Bon dieu, mais pourquoi j’ai investi en France ? », alors que la Superligue, de fait, elle est en Angleterre. Si le PSG reçoit autant, c’est à mon sens parce qu’il fallait le séduire, pour qu’il modère ses envies d’ailleurs et notamment celle de participer à une Superligue européenne.

Personne n’est dupe : on sait bien que la majorité de ces liquidités serviront d’abord à recruter des joueurs.

La Ligue et les présidents de clubs de Ligue 1 nous expliquent que l’argent de CVC sera prioritairement alloué au développement des infrastructures et de la formation. Peut-on y croire ?Je ne le pense pas. Les autres championnats du Big 5 se livrent une concurrence féroce pour ne pas trop se faire larguer par la Premier League. Cet argent qu’on veut tout de suite, c’est pour les transferts et les salaires. Ça la fout mal de dire ça, donc on dit que c’est pour les infrastructures, la formation… Mais personne n’est dupe : on sait bien que la majorité de ces liquidités serviront d’abord à recruter des joueurs.

Que peut-on penser des objectifs hyper ambitieux établis par la Ligue et CVC ? Selon un document interne de la LFP dévoilé par L’Équipe, la Ligue souhaite multiplier ses revenus (droits télé nationaux et internationaux, partenariats et sur le numérique) par 2,3 et passer de 774 millions d’euros à 1,8 milliard en 2032. Cet objectif, alors que les droits TV du foot en Europe sont au mieux en plafonnement, voire en légère baisse, me semble absolument chimérique. Et ce, même si le championnat de France monte en gamme sportivement. Le montant des droits TV dépend davantage de l’intensité de la concurrence entre les diffuseurs, que de la qualité du spectacle proposé. Or, cette concurrence a diminué, au niveau français comme européen. Les GAFA n’investissent pas ou peu le marché, des acteurs deviennent quasi monopolistiques comme Sky en Angleterre et Canal+ en France. D’autres, comme Altice, s’en vont complètement ou opèrent un retrait partiel, comme beIN, qui investit beaucoup moins d’argent dans les droits TV que par le passé.

Comment la Ligue peut tabler sur des projections pareilles, alors ?Difficile à dire. On peut toujours imaginer qu’Amazon se mette à investir de façon beaucoup moins radine sur les droits TV du foot français. Ou qu’un géant comme Apple, qui a acheté les droits TV de la MLS aux États-Unis, se décide à mettre 2 milliards sur le foot français par exemple… Ça relève sans doute du fantasme, mais ça reste possible pour les gens qui ont envie d’y croire…

À l’avenir, la Ligue 1 pourra probablement garder ses joueurs encore moins longtemps. Regardez par exemple ce qu’il s’est passé avec Mathys Tel : il a joué 10 matchs en professionnel avec Rennes, et le Bayern l’a recruté pour 30 millions. Ce genre de cas de figure a de bonnes chances de se multiplier à l’avenir.

Tout le monde fantasme de rattraper la Premier League pourtant…Oui. Mais la vérité, c’est que la Premier League ne va laisser que des miettes aux autres, sur le plan européen. Comme ailleurs, les droits TV domestiques stagnent, voire diminuent légèrement, mais là où la Premier League progresse, c’est dans l’évolution de ses droits internationaux. Lors du dernier appel d’offres qui couvre la période 2022-2025, ils ont encore augmenté de 30%, pour passer à 6 milliards d’euros (soit 2 milliards d’euros par saison). C’est complètement décorrélé du reste du marché. À titre de comparaison, les droits TV internationaux de la Liga, de la Bundesliga, de la Serie A et de la Ligue 1 s’élèvent respectivement à 705, 200, 196 et 100 millions d’euros par saison.

Le plus probable, ce serait donc que la Ligue 1 reste un championnat de transition ?La Ligue 1 pourra probablement garder ses joueurs encore moins longtemps. Regardez par exemple ce qu’il s’est passé avec Mathys Tel : il a joué 10 matchs en professionnel avec Rennes, et le Bayern l’a recruté pour 30 millions. Ce genre de cas de figure a de bonnes chances de se multiplier à l’avenir.

Dans un tel contexte, on peut supposer que les petits clubs du championnat de France auront encore plus de difficulté à briller ?Oui. Le principe général est le suivant : moins il y a d’argent, moins il y a de solidarité, et plus la pression des grands clubs est importante. Mais peut-on seulement leur donner tort ? C’est vrai que ce sont eux qui attirent les spectateurs, l’argent des TV et des sponsors… Donc, il faut aussi avoir une vue réaliste, même si c’est déplaisant. C’est pour ça que Labrune a joué cartes sur table lors de son audition au Sénat. Il fait valoir ce qu’on peut identifier comme un principe de réalité. C’est comme ça, il faut s’adapter.

Dans cet article :
Stéphanie Frappart, victime des maux du football grec
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Par Adrien Candau

Pour aller plus loin, lire La Ruine du foot français (Editions Fyp, 180 pages)

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