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Philippe Poutou : « Cette descente des Girondins, ça me fait chier »

Propos recueillis par Alexandre Lejeune
9 minutes
Philippe Poutou : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Cette descente des Girondins, ça me fait chier<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Conseiller métropolitain de Bordeaux Métropole, Philippe Poutou n'est, par conséquent, pas insensible à la crise sans précédent que traversent les Girondins. Nostalgique des années Lescure, celui qui boycotte le Matmut Atlantique est aujourd'hui favorable à un reset complet pour le club de son cœur. Et sans Gérard Lopez, évidemment.

Le Conseil de Bordeaux Métropole a récemment évoqué la situation des Girondins, à travers la question du loyer du stade. Quel est le son de cloche qui ressort des dernières réunions ?Il y a une sorte d’union sacrée, avec la gauche et la droite ensemble pour sauver les Girondins. Tous pensent que c’est la posture à adopter, on a l’impression que c’est le drame du moment dans la région et que si on ne s’y intéresse pas, on risque d’être en marge de la population. Nous, on a envie de parler du fond du problème qui, lui, est indiscutable : l’affairisme dans le sport, le repreneur qui est bidon, comme il y en a tant d’ailleurs. Mais on ne discute pas du tout de ça. Le seul truc, c’est sauver les Girondins coûte que coûte. Je suis persuadé qu’il y a des élus de gauche, et même certains de droite, qui trouvent cela démesuré, mais qui ne le disent pas, car ils ressentent une sorte de pression des leaders qui donnent le ton. Il n’y a que moi qui ai dit que je ne serai pas dans cette union, car il y a d’autres problèmes à gérer : la santé, les squats, les personnes sans-abri, et que s’il y a des manifs à faire, c’est plutôt de ce côté-là qu’il faut agir et interpeller le gouvernement.

Il y a des choses plus graves qui se passent. À Bordeaux, comme dans plein de villes d’ailleurs, il y a d’autres catastrophes.

Vous regrettez que certains de vos collègues soient trop dans l’émotion. Trouvez-vous qu’ils ont plus de mal à taper sur le grand capital quand leur passion voire leur supporterisme s’en mêle ?Tout à fait, il y a un côté confortable à se ranger avec les supporters qui se mobilisent. Moins on parle du fond, des affaires financières, du sport business, plus on est dans l’émotion, le côté patrimoine et les « Vous vous rendez compte ? Les Girondins, quoi ! Alain Giresse, le stade Lescure… » et tous ces trucs-là. Le maire et l’ancien maire de Bordeaux ont même manifesté côte-à-côte derrière une banderole. Ça faisait presque comique de voir que le seul moment de manifestation auquel ils ont participé, c’est celui-là, alors que dans le même temps, il y a des choses plus graves qui se passent. À Bordeaux, comme dans plein de villes d’ailleurs, il y a d’autres catastrophes : les urgences à l’hôpital ne fonctionnent plus, il y a des demandes des personnels soignants, des puéricultrices… Il y a des mécontentements qui sont là, sur la désagrégation du service public, sur des usines menacées de fermeture aussi. Tout ça, on n’en parle pas dans les délibérations.

Et vous, concrètement, quelle est votre position ? Pensez-vous que la métropole doit intervenir pour aider le club ?L’angle d’intervention de la métropole concerne seulement la question du loyer du stade, notamment à travers des reports de loyer, voire des gels ou des annulations. S’il y avait ce coup de main, conditionné à l’interdiction d’un plan de licenciement derrière, ce serait tout à fait correct de la part de la métropole. Sauf qu’il n’y a même pas cela. On en vient à se demander ce que ça signifie d’aider une entreprise capable de dépenser autant d’argent dans des salaires qui sont, pour nous, injustifiés. Ils ont payé très cher des joueurs, un encadrement et un entraîneur, ainsi que ses indemnités de licenciement à plusieurs millions d’euros. On n’est pas opposés à l’idée de filer un coup de main, mais ça suppose des conditions derrière a minima.

Par le passé, vous aviez déjà évoqué l’idée que le club reparte à l’échelle municipale. Est-ce une solution envisageable aujourd’hui ?À partir du moment où la question du dépôt de bilan est une perspective assez probable, avec une potentielle relégation confirmée le 19 juillet, ce serait la seule solution possible. Mais quel temps perdu, quel gâchis ! Il y a un an, quand le choix a été fait de donner le club à Gérard Lopez, il y avait cette possibilité que j’avais mise sur la table et qui avait été refusée. L’aspect qu’on a essayé d’évoquer, c’est de « profiter » de la chute du club pour le reconstruire sur des bases plus saines, c’est-à-dire repartir sur un club sportif à l’échelle municipale, avec des valeurs telles que l’égalité des salaires entre foot féminin et masculin et la lutte contre les discriminations, ce qui marquerait une rupture avec cette logique capitaliste et d’affaires. Mais ça ne plaît pas, car personne ne croit qu’il est possible de construire un gros club en dehors des règles actuelles.

Je crois que j’étais le seul à avoir voté contre la reprise des Girondins par Gérard Lopez, mais je n’étais pas le seul à penser que ce n’était pas bon. Vous savez, quand il y a une assemblée de 104 élus, avec des pressions, il y en a beaucoup qui n’osent pas s’émanciper.

Gérard Lopez était-il vraiment légitime à reprendre les Girondins ?Je crois que j’étais le seul à avoir voté contre sa reprise des Girondins, mais je n’étais pas le seul à penser que ce n’était pas bon. Vous savez, quand il y a une assemblée de 104 élus, avec des pressions, il y en a beaucoup qui n’osent pas s’émanciper. Moi, j’ai simplement repris ce qu’il y avait dans la presse : Lopez avait déjà des problèmes avec la justice à Lille, ainsi que des histoires avec Boavista. Personne n’en a tenu compte. J’avais dit que ce n’était pas possible de faire confiance à un affairiste comme lui. La différence entre Lopez et les autres, c’est que certains ont vraiment les moyens et ça donne des clubs de milliardaires qui tiennent la route : Manchester City, la Juve, le Real Madrid… même si moralement, ce n’est pas mieux. Quand Lopez est arrivé, il n’avait pas d’argent. Il a pris tout ce qu’il pouvait avoir : les cadeaux de la métropole, les droits télé… C’est aux antipodes de la façon dont on pense qu’il faudrait gérer le sport.

L’argent n’empêche pas les catastrophes sociales. Regardez, il pourrait y avoir un plan de licenciement qui concernerait 200 et quelques salariés, c’est énorme ! Des salariés qui vont trinquer alors qu’ils n’y sont pour rien.

Gérard Lopez a annoncé il y a quelques jours avoir réinjecté 14 millions d’euros de sa poche et que la dette du club avait été réduite de 75%. Qu’est-ce que cela vous inspire ?On s’est posé la question au dernier conseil métropolitain : pourquoi le plan de Gérard Lopez a-t-il été refusé par la DNCG ? Aujourd’hui, on se demande pourquoi ces apports supplémentaires viennent après ? Pourquoi il ne le fait pas avant alors que beaucoup se jouait le 5 juillet dernier ? Quels sont ses arrangements ? Avec qui ? Sa crédibilité a chuté, mais personne n’ose le dire. Il ne faudrait surtout pas bousiller la moindre petite chance qu’il reste aux Girondins de rester dans le sport professionnel. L’argent n’empêche pas les catastrophes sociales. Regardez, il pourrait y avoir un plan de licenciement qui concernerait 200 et quelques salariés, c’est énorme ! Des salariés qui vont trinquer alors qu’ils n’y sont pour rien. Le foot féminin, pareil, il n’y a même pas de barrière étanche, de cloison qui permettrait de sauvegarder des choses qui fonctionnent pas trop mal.

Au conseil de Bordeaux Métropole, vous affirmiez qu’il y avait eu des dizaines de millions d’euros utilisés de « manière opaque » chez les Girondins. À quoi faisiez-vous référence ? Je m’appuyais sur un article de Libération, sorti fin juin et écrit par quelqu’un qui n’est pas de Bordeaux et qui n’avait donc pas cette forme de pression à vouloir absolument sauver les Girondins. Il parlait notamment de l’entraîneur qui avait été limogé et des indemnités que ça allait coûter au club. Car quand un entraîneur ou un joueur est viré, ce n’est pas les mêmes indemnités que ce qu’un ouvrier prendrait. Il y avait aussi l’histoire de Koscielny, mis à la retraite de manière un peu bizarre alors que le club avait besoin de lui. Je voulais mettre le doigt sur plusieurs histoires comme celles-ci, gérées sans aucune transparence, qui ont coûté cher. Je ne vois pas pourquoi la collectivité devrait aider, mais ne se mêlerait pas de tout de ce qui est malsain.

À titre personnel, comment avez-vous vécu cette saison d’un point de vue sportif ?Je ne vais plus au stade depuis que Lescure a été laissé de côté. Mon boycott du Matmut Atlantique n’a pas été très dur ces dernières années, vu le peu de spectacle qu’il y avait. Même si je n’habite pas loin, que je pourrais y aller à pied et malgré les envies de mon gamin d’y aller, je n’y vais pas. Mais je ne me suis jamais complètement éloigné des Girondins. Cette descente en Ligue 2, voire en National, ça me fait chier, mais je ne le dis pas trop, car je ne voudrais pas que ça parasite mon discours. Au conseil métropolitain, je leur ai cité les noms de Robert Buigues, Jean-Pierre Tokoto, Christian Delachet… J’ai parlé de la victoire 5-2 des Girondins contre le PSG en 1978. Je ne suis pas du tout indifférent à ce qu’il se passe, mais merde, il ne faut pas se faire piéger par le côté émotion.

Pourquoi les Girondins n’auraient pas le droit de descendre ? Il peut y avoir dix-neuf équipes qui fonctionnent mieux.

Est-ce que vous imputez une responsabilité aux joueurs ? On a le droit de ne pas être bon. C’est la loi du foot, il y a un premier et quelques-uns qui descendent. Il ne faut pas s’en prendre aux joueurs ni à l’entraîneur, peu importe qu’ils ne soient pas bons ou cons… On est contents quand il y a un titre ou une coupe, mais il ne faut pas être si dramatique quand il y a une descente. Ce qui est problématique, c’est qu’il y ait des conséquences financières. Pourquoi les Girondins n’auraient pas le droit de descendre ? Il peut y avoir dix-neuf équipes qui fonctionnent mieux. C’est le patron du club qui a les plus grosses responsabilités dans ce qu’il s’est passé, ça ressemble à une chronique d’une catastrophe annoncée.

Avez-vous le sentiment que la situation des Girondins raconte quelque chose de l’argent dans le sport ?Je pense que c’est un exemple à étudier, qui est typique des malversations de l’argent dans le sport professionnel, qui conduisent à tout casser, à tout détruire. Au moins, si le club descend, cela créera des conditions d’une remise en cause. Autant que ça serve à tout remettre à plat, et voir comment on peut construire sur des bases saines socialement. Mais ça peut aussi très bien chuter et ne rien donner.

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