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Peut-on être de gauche et supporter le PSG ?

Par Tom Binet
7 minutes
Peut-on être de gauche et supporter le PSG ?

Transferts records, masse salariale exponentielle, stratégie de développement à l'international... Depuis leur arrivée à la tête du Paris Saint-Germain au début de l'été 2011, les dirigeants qataris mènent une politique résolument ambitieuse, quitte à sacrifier parfois l'équité sportive du championnat de France et bouleverser l'équilibre économique du football européen. La venue de Lionel Messi, débarqué dans la capitale la semaine passée, en est la dernière illustration en date. Dans ce contexte, une question se pose forcément : peut-on être de gauche et supporter le PSG en 2021 ?

60 millions d’euros. C’est la somme investie par le Paris Saint-Germain en indemnités de transfert depuis le début du mercato pour s’offrir les services d’Achraf Hakimi, Georginio Wijnaldum, Sergio Ramos, Gianluigi Donnarumma et donc désormais Lionel Messi. Autant d’excellentes affaires à en croire les observateurs du football, surtout que quatre d’entre eux sont arrivés libres. Dans les faits, ces arrivées, quelques mois seulement après la prolongation de contrat de Neymar, ont fait s’envoler une masse salariale déjà historique. Elle devrait atteindre 302 millions d’euros nets d’impôts cette saison à en croire le Daily Mail, soit la plus importante de la planète pour un club de sport. Des chiffres à donner le tournis qui illustrent parfaitement la force de frappe économique et la politique générale menée par les propriétaires qataris depuis leur arrivée en Ligue 1, il y a dix ans tout pile. Mais dès lors la question se pose : comment continuer à soutenir un club qui au premier abord ne correspond plus à certaines valeurs qui nous sont chères ?

Ce n’est pas parce qu’on lutte contre un système capitaliste qu’on ne pourrait pas avoir des moments de jouissance sportive.

Valeurs, êtes-vous là ?

« Le football professionnel est tellement lié aujourd’hui au monde de l’argent et à l’exigence de compétition que je crains qu’il soit désormais clairement de droite ! », s’exclamait François Ruffin dans le So Foot n°153, en février 2018. Le député France Insoumise, co-auteur de « Comment ils nous ont volé le football », pointait ainsi clairement du doigt les dérives financières dans lesquelles le football se retrouve emporté, et dont un club comme le PSG est devenu un exemple frappant. « Je pense que tout ceci semble démesuré. Le business du foot et du PSG en particulier dépasse parfois l’entendement. Après, on est dans une logique capitaliste, où l’État n’intervient pas », modère de son côté l’ancien député socialiste et historien Sébastien Pietrasanta. Il serait cependant contradictoire, dans ce contexte, de se revendiquer de gauche et soutenir inconditionnellement les Rouge et Bleu.

C’est pourtant bien le cas d’Eduardo Rihan Cypel, qui fut lui aussi député socialiste pendant la présidence de François Hollande, entre 2012 et 2017. « Je suis très lucide sur la réalité du football aujourd’hui, je suis favorable à une très grande réforme du football à l’échelle internationale. Mais personne ne va me priver de la joie de voir l’un des deux meilleurs joueurs du monde à Paris, dans mon club », assure-t-il. Bien au contraire. « Je suis heureux que le Paris Saint-Germain soit devenu un très grand club, un club puissant. Il faut être logique, le football est ce qu’il est. Donc à un moment, soit vous êtes au niveau soit vous n’y êtes pas. » Surtout que selon lui, l’arrivée de Lionel Messi s’avèrera bénéfique à long terme sur le plan économique : « Je pense que Messi rapportera beaucoup plus à Paris qu’il ne va leur coûter. Il a une certaine valeur économique, il produit de la richesse. Son salaire est en rapport avec ce qu’il rapporte à son club. »

Une logique qui peut toucher ses limites, si on la pousse jusqu’au bout. « Après sur la question des valeurs, je pense qu’il y a beaucoup de choses à changer dans le football. Il faut davantage avoir des règles d’un football durable, éthique, poursuit Rihan Cypel. Il faut réformer beaucoup de choses dans les clubs, avoir davantage de transparence, des règles plus fortes sur le marché des transferts… » Militant marxiste et candidat à l’élection présidentielle 2022, Anasse Kazib va plus loin : « Il y a beaucoup d’identification à la ville et au quartier dans lequel les gens vivent. Le sport est très populaire, sa popularité fait que toutes les équipes de foot sont traversées par des questions financières. » Pour autant, ce cheminot de Seine Saint-Denis l’assure, il n’y a pas de soucis à soutenir cette équipe du PSG malgré son engagement politique. « Ce n’est pas parce qu’on lutte contre un système capitaliste qu’on ne pourrait pas avoir des moments de jouissance sportive. Pour moi c’est un peu la même chose de dire que parce qu’on est de gauche on ne peut pas manger au McDo ou acheter un polo de marque ou des baskets, par exemple. »

L’esprit du football est toujours là et je crois que ça fait longtemps que je suis sorti de cette contradiction que l’on peut avoir et qu’on ne pose d’ailleurs qu’aux gens de gauche. À cause des turpitudes du foot, il faudrait qu’on arrête de l’aimer ? Pas du tout !

Pour toute la beauté du football

Sport de base populaire, le football devenu business parvient à dépasser un certain nombre de barrièrepour rester attractif aux yeux de tous. « Quand on aime le football, on est capable de le regarder de manière un peu pure si j’ose dire, le spectacle, la qualité du match… Quand on est passionné de football, je crois qu’on est capable d’apprécier ça, assure encore Eduardio Rihan Cypel. On est tous un petit peu bipolaires quand on aime le football. On peut être très critique sur ce règne de l’argent, du capitalisme dérégulé qu’est devenu en très grande partie le football et en même temps aimer la qualité sportive. »

L’arrivée d’un sextuple Ballon d’or serait même une excellente nouvelle pour tous les amoureux du club, même ceux dont les idées qui penchent à gauche, avec la perspective de se délecter de la beauté d’un trio avec Neymar et Kylian Mbappé. « Les grands clubs et les grandes stars ont toujours fait rêver, que ce soit à l’époque de Pelé, Maradona, Zidane ou maintenant avec Messi, Ronaldo ou Mbappé », abonde Anasse Kazib. Là encore, le sport, et en premier lieu ses principales stars, transcendent la question des valeurs qu’il véhicule. « L’esprit du football est toujours là et je crois que ça fait longtemps que je suis sorti de cette contradiction que l’on peut avoir et qu’on ne pose d’ailleurs qu’aux gens de gauche, s’étonne Eduardo Rihan Cypel. À cause des turpitudes du foot, il faudrait qu’on arrête de l’aimer ? Pas du tout ! »

Moi je suis un peu nostalgique des périodes un peu plus de galère, c’est vrai. Là aujourd’hui ça paraît très bling-bling. Je trouve qu’il y a moins d’âme qu’il y a une dizaine d’années, quand on jouait la relégation.

Histoire, tribunes populaires et ancrage territorial

N’en déplaise à Zlatan Ibrahimović, pour qui « le club est vraiment né avec l’arrivée des Qataris », comme il le confiait voilà cinq ans en conférence de presse, le Paris Saint-Germain est un club avec une histoire, et surtout un ancrage puissant dans sa région. « On peut être supporter du PSG dans une logique de territoire, mais difficilement pour des valeurs que cette équipe incarne », estime ainsi Sébastien Pietrasanta. Le prix des places en tribunes au Parc des Princes a beau augmenter à chaque nouvelle signature majeure, Eduardo Rihan Cypel en est convaincu : le PSG reste et restera un club proches de ses supporters. « Je crois que ça reste quand même un stade populaire. Tout le monde peut aller un jour voir un match au Parc des Princes. Maintenant on peut même y aller en famille, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années », se réjouit l’ancien élu.

« Sur la question des supporters au PSG ça a toujours été très antagoniste. À l’époque, il y avait les Boulogne Boys, une aile très bourgeoise et tout un secteur de la banlieue qui était dans les tribunes d’Auteuil. Le PSG en réalité est à l’image des antagonismes de l’Île de France, se souvient de son côté un Anasse Kazib qui regrette parfois la démesure prise par le club de la capitale. Moi je suis un peu nostalgique des périodes un peu plus de galère, c’est vrai que là aujourd’hui ça paraît très bling-bling. Je trouve qu’il y a moins d’âme qu’il y a une dizaine d’années, quand on jouait la relégation. Je me souviens très bien du match à Sochaux où Amara Diané avait sauvé le PSG. » Une époque où personne, à droite comme à gauche, ne pouvait imaginer voir ce jeune prodige en pleine explosion en Catalogne venir poser ses bagages au pied de la tour Eiffel.

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Par Tom Binet

Tous propos recueillis par T.B. sauf mentions.

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