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Penaltys de légende (1er) : Uruguay-Ghana, beauté et cruauté célestes

Par Florian Lefèvre

« Il est impossible d’imaginer un moment de tension plus grand que le penalty. Deux hommes face à face. C’est un duel comme au XIXe siècle », écrit Julio Llamazares. Vrai. Dans le jeu ou lors d’une séance de tirs au but, raté ou réussi, en tribune ou sur le poteau, du pointard ou du talon, voilà 100 histoires de penaltys. Le sacrifice de Suárez, les couilles de Gyan et la folie d'Abreu se posent au sommet de notre classement.

#1 - Uruguay-Ghana - 2010

  • Uruguay-Ghana, quart de finale de la Coupe du monde, 2 juillet 2010
  • Luis Suárez pleure. Au bord de la pelouse du Soccer City de Johannesburg, El Pistolero est redevenu le morveux de Salto. Il chiale dans son T-shirt comme un gamin inconsolable au fond de la cour de récré. En réalisant un double sauvetage exceptionnel sur sa ligne à la 120e minute du quart de finale de la Coupe du monde entre le Ghana et l’Uruguay, le buteur de la Celeste s’est sacrifié pour son pays. Tout est allé si vite : Muslera a déserté son but, Suárez, qui s’est mué en gardien de handball, dégage du genou une première frappe d’Appiah, avant de mettre la main pour repousser la deuxième lame envoyée par Adiyiah. Carton rouge. Penalty. Pour la première fois de l’histoire, Asamoah Gyan peut envoyer un pays africain dans le dernier carré de la Coupe du monde. Mais sa patate de forain fracasse la barre transversale !

    Le ballon s’élève dans le ciel sud-africain. En une fraction de seconde, les Ghanéens s’écroulent par terre, les Uruguayens exultent. Dans le couloir du stade, Luis Suárez se met à danser tout seul, hystérique. Pourtant, rien n’est fait, l’arbitre siffle la fin du match, la décision va se jouer aux tirs au but. La veille, El Maestro Tabárez a entraîné ses joueurs aux penaltys : trois tentatives chacun afin de se mettre en confiance. Parmi les joueurs uruguayens, Sebastián El Loco Abreu est un spécialiste de l’exercice. Il raconte ses trois tirs : « Le premier, sur le poteau droit. Le deuxième, sur le gauche. La troisième, j’ai essayé de piquer la balle, mais elle est passée au-dessus. J’ai donc foiré les trois. Seba Eguren est venu me voir : « Papote, vamos ! Demain, on a besoin de toi ! » » Malgré ses trois échecs, Abreu rassure son coéquipier :
    « Tranquille, demain, on se qualifie avec la touche maison.
    Ne me fais pas ça ! Préviens-moi avant si tu la piques, que je prenne une pastille pour le cœur. »

    La touche maison d’Abreu, c’est la cavadinha comme on l’appelle en Amérique du Sud. Littéralement : « petit puits » . Autrement dit, une panenka. Le bourlingueur uruguayen se plaît à tenter ce geste depuis qu’il a côtoyé le Brésilien Djalminha au Deportivo La Corogne. Quelques semaines avant la Coupe du monde, El Loco a notamment rentré une panenka avec l’aide de la barre, sous les couleurs de Botafogo. Mais ça, le gardien ghanéen, Richard Kingson, ne le sait pas. Au moment où les coachs délivrent leurs dernières paroles avant la séance fatidique, Abreu, qui était prévu comme le troisième tireur, interpelle Óscar Tabárez : « Maestro, vous me laissez tirer le cinquième ? » Requête acceptée. Diego Forlán ouvre les hostilités, Abreu suit la scène depuis le milieu de terrain aux côtés de Jorge Fucile.

    El Loco rembobine :
    « Fuci, il a bougé avant le gardien, hein ?
    – Si Loco.
     »
    Arrive le deuxième penalty.
    « Fuci, il a plongé avant le gardien, hein ?
    – Si Loco.
     »
    Et le troisième, pareil.
    « Fuci, il a plongé avant le gardien, hein ?
    – Si Loco, fais ton piqué et arrête de me casser les couilles.
     »

    Maxi Pereira a raté le sien, mais John Mensah et Dominic Adiyiah aussi. L’Uruguay mène 3-2. Arrive le tour d’Abreu. C’est une balle de match. Sept pas d’élan, les mains sur les hanches, le tireur uruguayen évite soigneusement le regard du gardien. Kingson plonge sur sa droite, la panenka d’Abreu caresse les ficelles. Une folie.

    Mais Sebastián Abreu ne devient pas le héros national. L’Uruguay vénère davantage « la mano de dios » . Pour son sacrifice à la nation, Luis Suárez a été honoré par le président de l’Uruguay lui-même, José Mujica. De son côté, Asamoah Gyan, qui a eu le courage de s’avancer comme le premier tireur lors de la séance et de marquer quelques instants après son penalty sur la barre, se fit vilipender à son retour à Accra. Il reçut des menaces de mort, connut de longues semaines d’insomnies et confia à sa mère ne plus jamais vouloir tirer de penalty en équipe nationale. Alors, question : y a-t-il encore des gens pour dire que ce n’est « que » du football ?

    Propos d’Abreu tirés de l’émission Pura Química et rapportés dans le livre Cavani El Matador, par Romain Molina, éditions Hugo Sports

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