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Pays-Bas : Le Mondial selon Louis van Gaal
Grand apôtre du 4-3-3 et de l’école offensive batave dans la décennie 1990, Louis van Gaal a laissé loin derrière lui le Totaalvoetbal, pour faire des Pays-Bas une formation plus adaptable et pragmatique. Critiqué au Royaume d’Orange pour le manque de flamboyance de sa sélection, le Pélican n’a fait que confirmer ce que tout le monde soupçonnait depuis le début du tournoi : c’est dans sa personne - davantage que dans le jeu de son équipe – qu’il faut puiser la fantaisie et l’assurance typique du football néerlandais.
Les esprits taquins diront qu’il fallait assister à un entraînement plutôt qu’à un match, pour être témoin de l’action la plus audacieuse des Pays-Bas lors du Mondial qatari. Ce 22 novembre, les Oranje se préparent avant leur seconde rencontre de phase de poules face à l’Équateur et Louis van Gaal s’en va papoter avec sa femme, Truus, les yeux pétillants. Le Pélican glisse alors tranquillement à sa légitime : « Tu peux venir à l’hôtel. Juste dans ma chambre. Pour s’envoyer en l’air. » Reprise en boucle par les médias et sur les réseaux sociaux, la sortie de l’ex-gourou de l’Ajax fera évidemment son petit effet. On ne s’ennuie jamais avec Louis van Gaal. Du moins, tant qu’on ne regarde pas de trop près le football actuellement pratiqué par sa sélection.
L’Orange pale
Jamais étincelants sans être non plus complètement lénifiants, ses Pays-Bas avancent à pas de loups. L’usuelle marche triomphale néerlandaise – celle qui convoque buts à gogo, une-deux étourdissants, batailles d’égos, puis une ultime défaite furieusement romantique – ne sera pas de la partie cette fois-ci. En phase de poules, puis en huitièmes, les Bataves n’ont brillé que par intermittence, leur habituelle fluidité collective cédant le pas à un style beaucoup plus séquentiel. La recette n’est pas sans mérite ni flamboyances éparses, à l’image du premier but de Depay face aux États-Unis, venu conclure une merveilleuse action collective. Mais elle est aussi souvent fade, très loin du style Ajax dont Van Gaal – champion d’Europe sur le banc des Lanciers en 1995 – reste aujourd’hui le plus illustre représentant. Celui qui avait aussi emmené les Pays-Bas à la troisième place du Mondial 2014 avait depuis su moderniser son approche. Par exemple, en optant pour le 3-5-2 plutôt que pour le sacrosaint 4-3-3 néerlandais, tout en restant fidèle aux racines offensives du football national. Sept ans plus tard, le 4 août 2021, le technicien avait accepté de reprendre les rênes des Pays-Bas, pour « sauver le football néerlandais. » Louis l’assure alors haut et fort : « Il n’y avait pas d’entraîneurs disponibles, ou certainement pas de ma qualité. »
Toujours aussi fort en gueule, le Pélican a achevé de troquer son ancienne radicalité tactique pour un pragmatisme assumé : « Plus jeune, je pensais qu’il fallait toujours attaquer et jouer avec des ailiers. Au fil des ans, j’ai vu les côtés sombres de ce style de jeu. J’ai évolué vers un style plus équilibré… Quand j’entraînais Barcelone, je me souviens d’un match contre Valence où on menait 3-0 à la mi-temps, qu’on finit par perdre 3-4. Ce sont des moments où vous commencez à vous demander : est-ce vraiment sage ? » C’est donc encore en 5-3-2 que les Oranje défieront ce vendredi l’Argentine, en quarts de finale du Mondial qatari. Un choix de formation que Van Gaal aura théorisé ainsi : « Aujourd’hui, je pense que le 5-3-2 est le meilleur système. Vous pouvez attaquer, défendre, mettre la pression partout et, si vous jouez bien, prendre moins de risques. » Les Pays-Bas ont aussi choisi de miser sur leur assise défensive, parce que c’est là que réside d’abord leur force depuis quelques années. Orphelins d’un grand avant-centre comme d’une paire d’ailiers de haut niveau, les Bataves ont l’embarras du choix derrière entre Nathan Aké, Virgil van Dijk, Matthijs de Ligt, Jurriën Timber et Stefan de Vrij, quitte à souvent laisser du beau monde sur le banc. L’animation plus sage optée par Van Gaal n’est par ailleurs pas sans une certaine cohérence. Sa paire de pistons Dumfries-Blind – qui régit l’équilibre attaque/défense de son onze – a notamment brillé face aux États-Unis, le premier délivrant 2 passes décisives, pour un but pour le second.
« Comme amoureux du football, je me suis demandé : « Mais je regarde quoi, là »? »
Avant d’affronter l’Argentine, Wout Weghorst, la grande tige de l’attaque néerlandaise, ne fait donc pas mystère du plan de jeu des siens : « Notre plus grande force, c’est clairement la défense. C’est vrai qu’on n’a pas joué notre meilleur foot lors de la phase de groupes, mais, pour être honnête, ça nous importe assez peu. » Un crime de lèse-romantisme au pays des tulipes, où Van Gaal se fait hacher menu par les médias nationaux. Certaines anciennes gloires reconverties consultants TV, comme Marco van Basten, ont multiplié les sorties au lance-flammes : « Face aux USA, on a vu deux supers buts, c’est vrai. Mais le reste… Ça donne envie de pleurer. Comme amoureux du football, je me suis demandé : « Mais je regarde quoi, là ? » Il n’y a aucune initiative… Je ne sais pas si c’est un jeu dont on doit être fiers… » Rafael van der Vaart a lui plaint Frenkie de Jong, seule caution technique d’une équipe qu’il estime rasoir à souhait : « Je crois qu’il préférerait être dans sa chambre d’hôtel actuellement. À mon avis, il aimerait pouvoir demander à Van Gaal : « Pouvez-vous me sortir de là, s’il vous plaît ? » »
Van Gaal, évidemment, dit n’en avoir strictement rien à carrer : « Vous avez un point de vue différent du mien. Vous écrivez que nous jouons d’une façon terriblement ennuyeuse. Si vous pensez que c’est le cas, vous n’avez qu’à rentrer à la maison. » Dans la foulée, le journaliste néerlandais Paul Onkenhout relevait que le jeu actuellement pratiqué par la sélection ne ressemblait tout simplement pas à l’idée et à la conception que se font ses compatriotes du football : « Après trente ans de carrière, Van Gaal ne voit toujours pas que les médias ne sont pas une entité complètement isolée, détachée de la réalité, mais sont le reflet de ce que pensent les gens. Les Pays-Bas ne veulent pas de ce football, où nous n’avons pas le ballon. » Les Pays-Bas, peut-être, mais Louis van Gaal, si. Plutôt que de s’épancher sur l’audace et la créativité limitée de son onze, le septuagénaire préfère troller le joga bonito brésilien : « J’ai lu dans les médias néerlandais que c’était pétillant… Mais je les ai vus contre la Corée du Sud, c’est juste une équipe de contre. » Si les Pays-Bas ne réjouissent plus grand monde, une certitude demeure : Louis van Gaal, lui, n’ennuiera décidément jamais personne.
Par Adrien Candau
Propos de Wout Weghorst recueillis par Mathieu Rollinger, à Doha. Autres propos issus de De Volkskrant et NOS.