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Ouïghours toujours

Par Adrien Candau
Ouïghours toujours

Arrêté courant 2018 par le gouvernement chinois, le footballeur d'origine ouïghoure Erfan Hezim a été incarcéré de longs mois dans les camps de rééducation politique que la République populaire a construit à destination de cette minorité ethnique du nord-ouest de la Chine. Avant d’être supposément relâché en début d'année. L'occasion d'évoquer l'importance symbolique que le football a pu prendre pour les Ouïghours, cette communauté musulmane de la région périphérique du Xinjiang, notamment afin de combattre l'assimilation culturelle chinoise.

C’est début 2018 que l’histoire avait commencé à tourner dans les médias occidentaux. Erfan Hezim, jeune international espoir chinois de 19 ans qui venait de s’engager pour cinq ans avec le Jiangsu Suning FC, serait introuvable. Avant que des sources locales ne viennent apporter des précisions cruciales au dossier : le joueur aurait été incarcéré dans un des camps de rééducation politique dans lequel Pékin aurait parqué des centaines de milliers de Ouïghours depuis 2017.

Les camps secrets de Pékin

Ces deux dernières années, le sort de la minorité religieuse musulmane ouïghoure, qui vit dans la région du Xinjiang, au nord-ouest de la Chine, a pris un tournant à la fois tragique et relativement mystérieux. Les vidéos et images sont rarissimes pour le confirmer, mais, à en croire des observateurs locaux ou encore le comité de l’ONU pour l’élimination de la discrimination raciale, le régime chinois aurait mis sur pied plusieurs « camps d’internement géants placés sous le sceau du secret » qui regrouperaient des individus aux idées supposément extrémistes. Si Pékin nie en bloc, Amnesty International avance qu’entre 800 000 et un million de Ouïghours auraient à un moment où à un autre été enfermés dans ces camps où on leur imposerait des cours de mandarin, ainsi que l’enseignement des lois et de l’idéologie du parti communiste chinois. Le détonateur de cette politique de rééducation forcée pratiquée par Pékin ? Probablement les attentats menés par la frange extrémiste indépendantiste de la minorité ouïghoure, comme celui de la gare de Kunming qui avait fait 31 morts et 143 blessés en 2014. Des radicaux proches des mouvements extrémistes islamistes.

Destruction identitaire

« La justification de la Chine de viser les Ouïghours semble de s’attaquer à l’islam radical…pose Henryk Szadziewski, enseignant chercheur spécialisé dans les droits économiques, sociaux et culturels des Ouïghours et auteur de Anyone But China, une étude sur le rôle du football dans l’affirmation identitaire ouïghoure. La radicalisation religieuse d’une partie de la population ouïghoure existe, mais c’est difficile d’imaginer qu’elle touche un million de gens… Ça ressemble à un prétexte pour Pékin, afin de restreindre encore la liberté d’expression de la communauté ouïghoure. » Encore, car voilà un bon paquet d’années que le régime chinois a raffermi sa prise de position sur les Ouïghours. D’abord en leur imposant une pression démographique croissante, alors que Pékin a encouragé la migration des Hans, l’ethnie majoritaire en Chine, dans le Xinjiang. Alors que les Ouïghours représentaient 80% de la population régionale en 1941, leur représentation était retombée à 46% en 2010. Pékin a aussi imposé aux Ouïghours, pour la plupart musulmans pratiquants, l’interdiction du port du voile intégral ou encore celle des barbes dites « anormales » . Surtout, l’usage de la langue ouïghoure dans les écoles aurait été interdit par décret en août 2018, dans certaines provinces de la région.

Le triomphe de Kachgar

Au milieu de tout ça, l’arrestation et l’internement dans un camp de rééducation d’une figure populaire ouïghoure comme le footballeur Erfan Hezim n’est pas très surprenante. « Le gouvernement chinois a visé des sportifs, des artistes, des intellectuels, bref des personnalités publiques… maîtriser leur parole est stratégique pour le régime » relève Henryk Szadziewski. Une stratégie brutale qui, dans le cas d’Hezim, pourrait s’être avérée payante. Le joueur aurait récemment été identifié via une vidéo sur les réseaux sociaux, où il semble avoir été remis en liberté et remercie le gouvernement pour « sa vie heureuse » .

Pas sûr que cela suffise à discipliner le désir d’émancipation des Ouïghours, pour qui le football a longtemps constitué un porte-voix identitaire. À en croire le folklore local, le ballon rond a fait son petit bout de chemin à Kachgar, l’une des principales villes du Xinjiang, autour de 1920, déjà. À l’époque, des étudiants de l’ethnie ouïghoure du petit village d’Artush disputent une partie de football contre une équipe constituée par le personnel du consulat britannique local. Les Ouïghours l’emportent alors 2-0. Après le coup de sifflet final, on raconte que le consul britannique quitte le terrain tellement furieux qu’il n’en respecte pas sa promesse de remettre à l’équipe gagnante un cheval et une selle.

Tout sauf la Chine

« C’est un peu la naissance symbolique de la popularité du football chez les Ouïghours, note Szadziewski. Quand j’enseignais dans le Xinjiang, ça m’a sidéré de voir que ça faisait partie du savoir commun chez les hommes de connaître l’histoire de cette équipe du village, qui a battu les Britanniques. » De quoi favoriser l’émergence d’un rapport privilégié des Ouïghours avec le football. Parfois, le sport roi a permis au nationalisme ouïghour de s’exprimer, dans un esprit de rejet par rapport à la Chine, comme à l’occasion du Mondial 2002. « En 2002, la Turquie, un pays où se sont réfugiés de nombreux Ouïghours, a joué contre la Chine en phase de groupes et des activistes sont allés au stade pour afficher en tribunes un drapeau du Turkestan oriental, la région des Ouïghours, pose Szadziewski. Mais bon, plus globalement, une constante demeure : en football, les Ouïghours supportent n’importe quelle équipe qui joue contre la Chine. »

Un char dans la surface

Le ballon rond a aussi pu permettre aux Ouïghours de structurer leur communauté face à la suprématie culturelle de Pékin : « En 1997, la région était confrontée à une épidémie d’usage de drogues, la situation économique était compliquée, et la jeunesse ouïghoure était très vulnérable… Donc certains Ouïghours ont ressuscité la pratique d’un rassemblement traditionnel, qui s’appelle le Meshrep, déroule Szadziewski. Ça revient essentiellement à un groupe d’hommes se rassemblant pour discuter de problèmes, jouer de la musique, parfois procéder à des rituels religieux. Ça impliquait aussi l’organisation d’un championnat officieux de foot. Mais le gouvernement chinois a interdit l’ensemble. Le régime était préoccupé de voir ces Ouïghours se ressembler. Ils ont même garé un tank sur un des terrains de foot pour empêcher qu’on y joue, c’était une des images les plus symboliques de la répression. »

Malgré tout, le Xinjiang reste l’un des viviers à talents les plus prolifiques de la Chine : le collège numéro 5 d’Urumqi, la capitale régionale, est même réputé pour avoir la meilleure équipe de jeunes du pays et empile depuis des années les trophées en catégories juniors. « Il y a aussi des tas d’équipes de foot de jeunes hommes d’origine ouïghoure qui se sont montées à l’étranger. Il y a d’ailleurs un projet de créer une sélection pour participer à la ConIFA » , ajoute Szadziewski. Un geste symbolique fort, alors que la communauté ouïghoure chinoise, elle, va probablement devoir se battre comme jamais auparavant contre le régime de Pékin pour préserver son identité.

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Par Adrien Candau

Tous propos recueillis par AC

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