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« On me demandait d’aller à la plage au lieu de m’entraîner »
À 37 ans, Marama Vahirua joue toujours au football du côté de l’AS Dragon, en Ligue 1, sur son île natale, Tahiti. D'ailleurs, il ne quitte presque jamais le terrain sauf pour dormir et manger. Il entraîne également les jeunes U13 du même club. Père de cinq enfants, tous présents sur la pelouse, Marama continue ainsi de distribuer les coups de pagaie, mais depuis le bord de la touche : en effet, il ne célèbre plus ses buts en pagayant quand il joue ! Entre deux coups de sifflets, le Tahitien reçoit au complexe sportif de Dragon, où un certain Reynald Lemaître posera prochainement ses valises...
Ton prénom signifie « lumière » en tahitien, tu trouves qu’il te va bien ?(Rires.) Je ne sais pas s’il me va bien, mais en tout cas je l’aime bien.
C’est vraiment le dessin animé Olive et Tom qui t’a donné envie de jouer au foot ? Olive et Toma bercé mon enfance. Dès que le Club Dorothée était terminé, on se retrouvait tous sur la plage pour faire les Olivier, les Tom et compagnie. C’était une source de motivation.
Revenir à Tahiti à la fin de ta carrière était une évidence pour toi ?Au début, c’était évident que je n’étais que de passage en France. Mais avec les années, j’ai eu envie de m’y installer parce que j’étais vraiment devenu un Français à part entière. Il a fallu que ma femme me tire pour qu’on rentre. Je voulais vraiment entraîner et continuer sur cette lancée dans un club professionnel, surtout que j’avais des propositions de reconversion. Ma femme a eu les mots justes et on est rentrés. (Rires.)
Tu comptes trois sélections avec Tahiti face au Nigeria, l’Espagne et l’Uruguay : c’est pas mal, non ?C’est bien, ça ne me déplaît pas. Après, ça ne me fait pas de mal de me dire que je n’ai joué que trois fois pour mon pays. J’ai choisi et j’assume maintenant. Au départ, je n’ai pas voulu parce que si je jouais une compétition FIFA avec la sélection tahitienne, j’étais interdit de sélection française, qui était ma priorité. Je pense que je n’étais pas très loin, mais la barre était haute.
Cette Coupe des confédérations jouée en 2013 par Tahiti a quelle place dans ta carrière ?Une place énorme. J’ai terminé ma carrière professionnelle là-dessus. Je pense que beaucoup de joueurs auraient aimé la jouer et ne l’ont pas jouée. Après, beaucoup de monde me dit qu’on n’a pris que des taules… Oui, mais moi, j’y étais ! (Rires.)
Ton emploi du temps est assez chargé entre tes entraînements, tes matchs, l’école de foot…C’est vrai que j’ai très peu de temps pour moi et ma famille parce que je suis à fond. Le foot prend 80% de mon temps. J’arrive encore à gagner ma vie grâce au football, car j’ai créé les stages Marama Vahirua qui me permettent de réunir une trentaine d’enfants lors des vacances scolaires.
Tu as quitté la Fédération tahitienne il y a environ trois ans, tu n’as pas réussi à t’entendre avec eux ?J’ai un caractère fort. J’ai un besoin énorme de justice. Quand je sens qu’on va dans le mur, je suis obligé de le dire. Il y a des personnes qui n’ont pas le même regard que moi, car je viens de la France, du monde professionnel. On voit des choses qu’ici, on ne voit pas et qu’on ne verra jamais. C’est très compliqué, mais il y a des possibilités énormes par rapport au potentiel que je vois.
Tu vas disputer la O-League (la Ligue des champions océanienne) en 2018 avec Dragon, cela représente quoi pour un club tahitien ?C’est LA compétition. C’est notre Ligue des champions. Tout le monde veut la remporter, mais hélas pour nous, il y a un ogre dans le Pacifique avec la Nouvelle-Zélande. La cagnotte au bout est tellement énorme pour un club du Pacifique comme nous, je crois que c’est un million de dollars, tout est dit…
Pourquoi le footballeur polynésien a du mal à s’exiler ?Ici, on n’a pas de saison. Quand tu connais l’été toute l’année avec la mer, la rivière et que tu pars en France, où tu as du soleil deux ou trois mois par an, ça met un sacré coup au moral. Quand tu as des week-ends de libre et que tu ne peux pas rentrer chez toi, tu attends. Ce sont des freins à la réussite, comme la mentalité. Ici, c’est un peu peace and love, on s’aime tous, on se dit bonjour sans se connaître. Tu vas en France, tu dis bonjour, la personne baisse la tête et se demande qui est ce fou qui dit bonjour. Ça choque au départ et si tu n’es pas préparé, tu te fais bouffer, tu t’en vas. Ici quand on joue au football, on n’a pas la mentalité de prendre la place du titulaire, c’est assez figé. On préfère changer de club pour trouver une place.
Comment s’est passée l’arrivée à Nantes du coup ?Difficile, comme pour tous ceux qui sont partis… Il y a eu le facteur chance, on a tout de suite été mis sur de bons rails pour réussir. Pour ma part, beaucoup de personnes m’ont aidé, surtout Coco Suaudeau. À l’époque, je ne savais pas ce qu’il représentait vraiment. Quand je suis arrivé en 1997, il me dit qu’il allait être mon parrain et qu’il allait m’aider. On se tutoyait, comme à Tahiti où on tutoie tout le monde. On était au centre un jour et quelqu’un l’a appelé. Je l’ai prévenu et tout le monde était choqué que je tutoie Coco. On a cru à un piston, donc à partir de ce jour-là, j’ai vouvoyé tout le monde !
Ta carrière s’est déroulée en France, sauf une dernière infidélité en Grèce, pourquoi ?J’avais envie de voir autre chose, parce que la mentalité française que j’ai connue en fin de carrière m’a déçu. Ce manque de respect par rapport à ce que tu représentes est devenu beaucoup trop pesant. C’était trop business, il n’y avait plus d’amour du maillot et d’esprit famille.
Tu suis encore les performances de tes anciens clubs ?Nantes, évidemment. Je suis beaucoup Nice aussi. Je ne suis pas forcément supporter, mais je les suis parce que ce sont des clubs qui m’intéressent. Lorient aussi. Ce sont des clubs où j’ai gardé beaucoup d’affinités et de très bons souvenirs. Pas plus tard que ce matin, je regardais le Monaco-Nice où on gagne 4-3 (Nice était mené 3-0 après 60 minutes le 2 octobre 2004 pour la 9e journée de L1, ndlr). Ma femme me demande combien de fois je vais encore le regarder. Je le fais 5 ou 6 fois par an. Ce qu’on a fait, c’est énorme ! Chaque fois que je retourne me balader à Nice, les gens me disent qu’ils n’oublieront jamais ce match. Et je dis à ma femme : « Tu vois, regarde ce qu’on a fait, on a marqué l’histoire du club. »
Ta période nantaise est-elle la meilleure dans ta carrière ?Non, pas forcément, sauf au niveau des résultats. J’étais jeune. Quand je suis arrivé à Nice, j’avais 24 ans, en pleine explosion. Je venais de Nantes où on était formatés à un style de jeu et une ligne de conduite bien précis. J’arrive à Nice, le coach me dit : « ici c’est cool, fais ce que tu veux » et chaque fois que je m’entraînais un peu trop, le coach Gernot Rohr venait me voir pour me dire de me reposer l’après-midi, d’aller à la plage, d’aller au restaurant de son ami ! Il me faisait me sentir comme chez moi. Le week-end, je cassais tout, j’ai fait ma meilleure saison où je marque dix buts je crois, je faisais des gestes de ouf parce qu’il me mettait en confiance.
Tu as souvent mis des buts décisifs, pour un titre ou le maintien. Il y en a un que tu retiens ?Il n’y a pas forcément un but en particulier, parce que chaque fois que tu marques, c’est énorme. Mais celui du maintien à l’époque avec Nantes face au Havre lors de la dernière journée (saison 1999-2000, ndlr) a une valeur sentimentale. Il m’a propulsé.
Tu as une anecdote de vestiaire que tu n’as jamais racontée ?L’année du titre avec Nantes, j’étais le joker. Frédéric Da Rocha vient me voir avant un match à Rennes. C’était le derby et c’était tendu encore à l’époque. Il me dit : « Si tu marques, je me fais prendre par un taureau. » Je suis remplaçant, j’entre pour le dernier quart d’heure, je crois. Je n’ai pas beaucoup de ballons, et à un moment, Fred Da Rocha a la balle, je fais un appel, il me met une galette et je marque. En rentrant aux vestiaires, il se cachait et je lui ai demandé quel taureau il voulait. Tout le monde riait parce que finalement, c’est lui qui me fait la passe. Il y avait une ambiance incroyable à l’époque, c’est pour ça qu’on a été champions, on ne se prenait pas au sérieux.
Si tu regardes ta carrière, tes titres, tu es un homme comblé ?Pour moi, j’ai réussi, c’est clair. J’avais des objectifs plus élevés forcément, je voulais gagner la Ligue des champions, la Coupe du monde, mais j’ai fait ce que je pouvais. J’ai réussi à devenir professionnel, c’était mon rêve d’enfance. Je peux dire que j’ai fait partie des élus… en venant de beaucoup plus loin !
Tu étais un joueur élégant, avec la volonté de jouer pour les autres. Tu aurais dû être plus égoïste ?C’est un peu le défaut de la formation à la nantaise. J’éprouvais le même sentiment en marquant qu’en faisant une passe. À Nice, il y avait Baky Koné, j’adorais le mettre en orbite, Gameiro aussi à Lorient. C’était un plaisir de trouver la passe que personne n’avait vue. Marquer, c’est la finalité. Passer, c’est toi l’artiste.
Tu as davantage brillé dans des équipes qui « jouaient » comme Nantes et Lorient, qu’à Nancy et Monaco où le style était plus défensif…Déjà, ça m’a surpris quand mon agent m’a dit que Nancy me voulait. Le projet était de construire l’équipe autour de moi. Finalement, c’était plus politique qu’une réalité sur le terrain. Je n’avais pas le sentiment qu’on me voulait dans l’équipe. J’ai dit au coach que s’il ne me voulait pas, il ne fallait pas me prendre ou qu’il fallait me laisser partir, ce que Pablo Correa a accepté.
Quel entraîneur t’a vraiment marqué ?Christian Gourcuff à Lorient. On a la même philosophie du football. Quand j’ai travaillé avec lui, le 4-4-2 que j’avais connu trop jeune à Nantes a pris un sens. Les Bretons sont très froids au départ, mais finalement c’est le meilleur club que j’ai connu. À la fin, j’avais mal au cœur de partir. J’ai dit à ma femme qu’on allait habiter là et elle a dit que j’étais fou. Elle disait que les gens étaient sympas, mais le climat, ce n’était pas possible.
Quel joueur, coéquipier ou adversaire, a marqué ta carrière ?Viorel Moldovan, sans hésiter. J’ai halluciné quand il a signé à Nantes. C’est un grand monsieur, un grand joueur. L’année du titre, il a pété le nez de Patrick Müller à Lyon. Il y avait du lourd derrière avec Caçapa, c’était le grand Lyon. Il me dit, avec son accent roumain, de lui laisser tous les duels. Micka (Landreau) dégage, il ne regarde que Müller qui lui ne voit rien. C’était pas si flagrant, il l’a bien fait, l’arbitre n’a rien vu. C’était un autre football que j’ai connu grâce à lui, d’aller au contact et se protéger. Après le titre, on a fait la fête avec tout le groupe. On ne buvait que des whisky coca à l’époque, on avait 20 ans. Et Moldovan demande un cognac. Il me regarde et me dit que c’était ça, la boisson des hommes. (Rires.)
C’est vrai que tu as demandé à Grégory Pujol de te rejoindre à Tahiti ?Je veux gagner la O-League, donc je me donne les moyens avec mon club. Mais pour Greg, c’est compliqué, il joue encore dans un petit club, donc ce n’est pas sûr. En revanche, Reynald Lemaître vient au mois de janvier. Je lance un appel à mes potes, on va s’éclater ici, c’est des vacances au soleil, en jouant au foot.
Quels sont tes projets d’avenir ?Former un maximum de jeunes possible. Et pourquoi pas ouvrir une académie de football ici, faire un partenariat avec un de mes anciens clubs. Tout ça dans l’objectif de gagner la Nations Cup (la Coupe d’Océanie, ndlr) qui est notre Coupe du monde à nous. Là, on est en train de dire aux joueurs de poser leurs congés pour la O-League. Il faudrait créer une loi dans notre pays pour autoriser le semi-professionnalisme, que les clubs puissent payer leurs joueurs, pas qu’en football d’ailleurs, mais c’est compliqué financièrement.
Pour finir sur ta fameuse célébration de la pagaie, est-ce que tu as déjà fait de la pirogue au moins ? Tu ne célèbres plus tes buts comme ça ici, d’ailleurs…J’en ai fait une heure. (Rires.) Les gens me demandent pourquoi je ne le fais plus, je leur ai dit que le pagayeur est à la retraite. Je ne vais pas le faire à Tahiti, les gens rigoleraient. C’était pour la France, pour représenter mon pays. Je leur ai dit que je la ressortirai pour la O-League, à condition qu’on aille au bout parce que la pagaie, elle est championne de France.
Propos recueillis par Natan Decarrière, à Tahiti