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On était à Séville, avec les supporters de Rangers et ceux de l’Eintracht

Par Florent Caffery et Paul Citron, à Séville
6 minutes
On était à Séville, avec les supporters de Rangers et ceux de l’Eintracht

On retiendra autant cette finale de Ligue Europa pour son dénouement à la tombée de la chaude nuit sévillane que pour les cohortes de supporters occupés à faire grimper le mercure dès l'aurore, si tant est qu'il y en avait besoin. Ils étaient 150 000 à avoir rappliqué, davantage que la population de Brest, certains repoussant les limites de l'entendable en voyageant depuis l'Australie sans billet de match. Repartie presque aussi vite qu'elle était venue, et débordante à certains moments, la joyeuse ferveur a animé comme jamais la capitale andalouse. Laquelle ne savait plus si elle était bordée par la Clyde de Glasgow ou le Main de Francfort...

Au bout du bout de ce long mercredi, alors que tout est fini, une question se pose à Séville. Du silence des marées de Rangers regagnant tristement leurs pénates après la défaite ou de la liesse générale à la fanzone de l’Eintracht Francfort au moment où l’ultime tir au but a été converti, quel moment de la soirée a été le plus assourdissant ? Difficile d’y répondre. Plus difficile, en tout cas, que d’apprécier l’explosion absolue de joie à 23 heures 55, sur le Prado de San Sebastián, les jardins où étaient parqués les supporters francfortois privés de billet. Sur chaque tir au but adverse résonnaient jusqu’au Sánchez-Pizjuán les « Kevin Trapp, Kevin Trapp », unique manière devant l’écran de se faire soutien de celui qui s’apprêtait à devenir le héros du soir. Alors, lorsque Rafael Santos Borré a clos, pour de bon et d’une frappe limpide en lucarne, le cru 2021-2022 de la Ligue Europa, plus rien n’a eu de sens. L’espace de quelques minutes, certes ; mais des minutes qui vaudront à tout jamais de l’or pour les milliers d’heureux présents ce soir-là dans les rues de Séville.

Dans notre groupe de quatre, un seul a un billet, mais on s’en cogne.

Qui est le plus dingue ?

La journée d’une poignée des 150 000 déglingos ayant investi l’Andalousie a pourtant mis du temps à se lancer. C’est le cas de Torben, cheveux frisés, maillot noir et blanc de l’Eintracht sur le dos, bien mal en point au début de l’après-midi, lorsqu’il doit s’allonger sur un canapé de son auberge pour éviter le pire. Aucun mystère autour du mal qui le frappe : « J’aurais pas dû faire autant la compétition au bar avec les Écossais, hier soir », parvient-il à articuler. Comme la plupart de ses semblables, il a cartographié la ville et coché la fanzone, puisque près d’un supporter de l’Eintracht sur cinq a fait le trajet jusqu’à Séville sans pouvoir assister à la rencontre depuis les tribunes. Idem côté écossais.

Sans le même maillot, mais avec la même passion, Lee fait le pied de grue devant l’enceinte sévillane. L’Écossais de 48 balais se coltine des valises de Droopy sous les yeux, une réplique en carton de la reine Élisabeth II et un Ford Transit chaud comme la braise. « Il m’a fallu 28 heures de route pour arriver ici. » Trois mille bornes depuis le nord d’Édimbourg, trois jours à bouffer de l’asphalte, le tout sans place de match. « J’espère en trouver une, mais les prix sont dingues. » A minima 1000 euros. Pas de quoi gâcher l’enthousiasme du père de famille, privé de la finale 2008 à Manchester (où les Rangers s’étaient inclinés face au Zénith, NDLR) pour cause d’opération militaire en Afghanistan. « Je me suis juré que plus jamais je ne raterais de finale. » Un leitmotiv appliqué en lettres majuscules par Callum. Avec son sombrero trois fois trop grand et trois fois pas approprié pour l’Espagne – « on s’en fout de la géographie » -, le daron de 61 ans s’est enquillé 18 000 bornes depuis l’Australie pour gueuler à pleins poumons sur la Plaza Nueva, quartier général des Light Blues. « En 1972(lors du sacre en Coupe des coupes, NDLR), j’avais 11 ans et je n’étais pas allé à Barcelone. En 2008, je n’avais pas pu. Là, quand on s’est qualifié en finale, je n’ai pas hésité un instant. »

Quatre décennies qu’il a quitté son Glasgow natal pour l’Océanie, alors claquer 4000 euros l’aller-retour en transitant par Dubaï, puis Madrid, avant de prendre une bagnole jusqu’à Séville ne l’a pas détourné de son credo. « C’est ici qu’on doit être, appuie le solide gaillard, difficilement audible à côté d’une sono crachant Simply the best de Tina Turner. Dans notre groupe de quatre, un seul a un billet, mais on s’en cogne. Le but, c’est de fêter ça tous ensemble. Il y a 10 ans, le club était en quatrième division, et on passerait à côté d’un tel moment ? »

Deux visions du tourisme

Un moment auquel n’avait pas vraiment prévu d’assister Jaminie. La jeune Québécoise en virée européenne pensait buller tranquillement dans le vieux Séville, elle se farcit des Écossais et des Allemands à chaque coin de rue. « Chez moi, c’est plutôt le hockey, se marre-t-elle. C’est la première fois que je vois un tel événement. Je suis excitée alors que je ne regarde pas du tout le foot. » Bienvenue dans cet univers parallèle où les touristes d’une cité charmante au possible côtoient le temps d’une journée une vague de supporters.

Prenez ce couple de Français assis à deux pas de l’Ayuntamiento, l’hôtel de ville. En face d’eux, une clique de fans des Teddy Bears passe en kilt, eux se contentent d’apprécier le spectacle avec une glace deux boules sous le cagnard. « En arrivant au camping ce matin, il n’y avait quasiment plus de place, je n’avais pas entendu parler de ce match, jure le mari, Thierry. Mais c’est bon enfant, on a vu pas mal d’échanges entre les deux clubs, c’est un bon divertissement. » Qui s’arrête là pour eux, « le match on le vivra au camping tranquillement ». À l’opposé des travées de la Cartuja blindées de 60 000 fans des Gers et du Prado de San Sebastián, spot des Adler.

Il est 18h, sous le vacarme d’un groupe de metal allemand installé en face de l’écran géant, à deux pas des bassins du parc transformés en bains. Florian et Lukas attendent patiemment, assis au bord d’une fontaine. Ils émergent à peine. « On est partis ce matin de Francfort, on a conduit jusqu’à Cologne, pour prendre un avion à Barcelone, en reprendre un autre pour Jérez, et finir en train jusqu’ici. On est arrivé il n’y a pas deux heures », justifie Florian. Mais alors, quand rentrent-ils, et comment ? « Jeudi, on repart à 15 heures d’ici, et on fait le même trajet. On bosse, vendredi ! » Les deux comparses en placent même une pour leurs boss respectifs. « Son patron, il lui a passé 100 euros, en lui disant :« Avec ça, tu te paies des bières ! »c’est gentil, non ? »

J’étais sûr qu’on allait perdre, et Kevin Trapp a sorti l’arrêt parfait.

Six heures plus tard, les 50 000, 60 000 Allemands, on ne compte plus, écrivent le chapitre d’une génération sevrée de sacre européen depuis 1980. « C’est le plus beau jour de ma vie, hurle Bastian.Quand la séance de tirs au but est arrivée, j’étais sûr qu’on allait perdre, et Kevin Trapp a sorti l’arrêt parfait… Maintenant, on a juste envie de savourer ça avec tout le monde. » Enfin pas totalement à Séville où les autorités ont fait fermer tous les établissements à l’issue de la rencontre. Qu’importe. Et même si quelques affrontements ont fait voler tables et parasols dans le quartier San Bernardo, on est bien loin de la déferlante de barbares crainte par les autorités au vu de l’afflux. Écossais et Allemands ont croqué comme jamais une transhumance dont ils pourront compter les légendes dans trois décennies encore. Le fameux « j’y étais » .

Dans cet article :
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Par Florent Caffery et Paul Citron, à Séville

Tous propos recueillis par FC et PC.

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