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On était à la fête de la montée en Ligue 2 du FC Chambly
Ce jeudi soir, Chambly reçoit Dunkerque pour sa dernière de la saison à domicile. Objectif du club oisien : rester invaincu dans son Stade des Marais avant de lui faire ses adieux, après 29 ans de bons et loyaux services. Un mal pour un bien, car le FC Chambly continue son irrésistible ascension vers les sommets du football français. La D5 de district il y a trois décennies et demain, la Ligue 2. Cela valait bien une petite fête.
Pour le Parisien qui souhaite visiter Chambly, attention à ne pas se tromper en achetant son billet Gare du Nord. Bien que les habitants soient joignables via un numéro de téléphone fixe qui commence par 01, la commune n’est pas en Île-de-France et le Pass Navigo ne sert donc à rien. Chambly, c’est l’Oise, la porte de ce que l’on appelle désormais les Hauts-de-France. Une grosse bourgade de 10 000 âmes riche en boulangeries, pharmacies, bars et snacks de toutes sortes. La saison prochaine, ce sera aussi la deuxième plus petite commune du pays – après Guingamp et ses 7000 habitants – à animer le football professionnel français, trente ans après la naissance de son FC Chambly Oise. Concrètement, cela représente pas moins de douze montées en trois décennies, de la cinquième division de district à la Ligue 2. Un record dans l’Hexagone.
Cortège et Vaselines Aiglon
Cela valait donc bien une petite fête. Voilà qui tombe à pic : la mairie a prévu de mettre les petits plats dans les grands en organisant un parcours en autocar à travers les rues de la cité, depuis la place Charles de Gaulle jusqu’au parvis de l’Hôtel de ville.
Enfin ça, c’était le plan de base. Au dernier moment, alors que le soleil couchant darde de ses rayons la terre d’accueil de l’actrice Corinne Marchand, les joueurs ont décidé d’effectuer à pied les 270 mètres qui les séparent du but. « Ah bah super ! Ça sert à quoi de faire un déroulé ? Et surtout prévenez pas, hein ! Ça fait que quinze jours qu’on bosse dessus » , peste Mathieu Obœuf, chargé de communication de la mairie. Heureusement, la bonne humeur générale prend vite le dessus sur cet imprévu. Joueurs, supporters, staff, président, flics municipaux et gendarmes, tout le monde a le sourire, se fait la bise et taille une bavette avant la mise en branle du cortège à 18h50 précises.
« Tout le monde est prêt ? On peut y aller ? » , demande une policière. Le groupe, discipliné, entame alors sa petite balade, escorté à l’avant par un Kangoo aux couleurs des forces de l’ordre et à l’arrière par ledit autocar spécialement réservé. Le chauffeur, qui a pris soin de décorer son pare-brise d’une écharpe du FC Chambly, ambiance les passants à grands coups de klaxon. Ces derniers répondent par un mélange de regards curieux et de quelques applaudissements, surtout à la terrasse de la Civette, le bistrot de la place de l’église Notre-Dame, où les joueurs ont l’habitude d’aller boire un coup pendant leur temps libre.
Un club familial, mais pour de vrai
Lorsque son clocher sonne 19 heures, la place de l’Hôtel de ville est noire de monde. Ce mardi soir, ils sont un demi-millier à s’être donné rendez-vous pour faire un triomphe à leurs héros qui, pour l’occasion, ont revêtu leur plus beau survêtement, floqué du nom de l’un des moult partenaires du club : les Vaselines Aiglon. Un rapide coup d’œil sur le site du groupe permet d’apprendre qu’il s’agit du seul fabricant français de vaselines et que celles-ci comptent parmi les meilleures du monde. Comme un moyen de rappeler qu’à Chambly, on cultive l’excellence. « Mais toujours avec un esprit familial » , glisse Sébastien Zriem, directeur de cabinet du maire. « Ici, peu importe le résultat, les joueurs vont saluer le public autour de la main courante après chaque match. Même quand ils encaissent une valise 5-0 » , explique-t-il en haussant la voix pour couvrir le refrain du Final Countdown qui accompagne l’arrivée des joueurs sur le parvis de la mairie.
Cette proximité, le public la lui rend bien. Lorsque le défenseur Gaharo Doucouré entame un clapping, l’enthousiasme de la foule suffit à couvrir le classique We Are the Champions choisi par le DJ pour mettre le feu. Dans la foulée, les ultras du Kop Oise craquent quelques torches et fumigènes (froids !) tout en entonnant des chants à la gloire de leur club. « Allez allez allez oh ! Ce sont deux frangins, qui nous hissent vers le haut, merci Bruno et Fulvio ! » Bruno ? Fulvio ? Inutile de demander de qui il s’agit. À Chambly, tout le monde connaît les frères Luzi. Le premier est entraîneur, le second est président. Leur père, Walter, a longtemps fait partie de l’aventure lui aussi : il est le fondateur du club. Décédé d’une pneumonie en 2018 alors que son club réalisait une épopée folle en Coupe de France, sa mémoire est cependant honorée par un grand portrait affiché dans l’espace François Mitterrand, là où prend normalement place le conseil municipal et où sont célébrés les mariages. Lorsque l’équipe s’y rend après un petit bain de foule, on comprend vite que la salle qui s’apprête à accueillir la séance des discours n’est pas habituée à contenir tant de monde.
Le forfait de Xavier Bertrand
Fulvio Luzi n’a l’air de rien. Croisez-le dans la rue, il pourrait être le passant d’avant, ou celui d’après. Gueule de son âge (53 ans), nez proéminent, cheveux gris, sourcils à la Nicholson. Non, il faut attendre que Luzi ouvre la bouche pour comprendre. Ce qui frappe en premier, c’est cette voix perchée, presque pincée, et la gouaille qui en découle. Ici, il est un prophète, et c’est peu de le dire : quand Fulvio prédit, il fait. Quitte, parfois, à flirter avec la bienséance, selon une technique de bras de fer politique à la limite du harcèlement jovial. Olivier Paccaud, sénateur LR de l’Oise, raconte que pour leur première rencontre, « il voulait me gratter 280 000 euros » . Édouard Courcial, bref (mais dépensier) Secrétaire d’État chargé des Français de l’étranger sous Sarkozy, et aujourd’hui conseiller départemental, évoque ce 2 avril 2015, jour de son élection. « Eh bien, dit-il, le 3 à neuf heures, je recevais une délégation de Chambly avec le président Luzi qui me réclamait du pognon. » Son rire tonitruant le fait rougir davantage, on dirait un carton. Fulvio est là, mais il a la tête ailleurs : en milieu d’après-midi, le président de la région Hauts-de-France Xavier Bertrand lui a téléphoné en personne pour l’informer qu’il ne pourrait être présent, mais qu’il s’occupait à négocier la mise à disposition de Charléty pour « cinq à six matchs » l’an prochain.
Parce que oui, étrangeté : alors que la joyeuse marée découvre un buffet spécialement dressé pour l’occasion – gâteaux apéritifs, demis de bière blonde, pains surprise à la crevette – dans le jardin de la mairie, un type planté là semble avoir du mal à avaler ce qu’il vient d’entendre.
Crâne lisse comme une coquille d’œuf, cernes d’insomniaque, pull à zip et falzar quelconques : Bruno Luzi n’a pas une gueule de romantique, c’est pourtant lui l’architecte des exploits de Chambly. Coach du club depuis 2001, il fête ce soir sa septième montée en tant qu’entraîneur, après en avoir déjà connu cinq lorsqu’il jouait buteur pour le club. Autant dire que le bonhomme a l’habitude des louanges publiques et des faux sourires, alors qu’un souci d’importance occupe son esprit depuis bientôt deux mois : dans quel stade jouera Chambly l’an prochain ? Pas aux Marais, trop petit, pas aux normes. Anticipant la montée, la mairie lui avait promis une enceinte en février, mais il a appris récemment que le premier coup de pioche n’avait même pas encore été donné. Il faudra attendre un an. Ce pourquoi, la veille, il a glissé au Courrier Picard : « Ça me fatigue grave. J’irai à la fête, mais je me tairai. Mieux vaut. » Il a tenu parole… jusqu’à ce qu’on vienne le chercher : « C’est pas trop mon truc les réunions comme ça, les fêtes, les grands discours. Il y a des politiques ici qui nous disent avoir toujours été avec nous, mais qui il y a trois ans, pendant les municipales, disaient« non au nouveau stade »sur leurs affiches de campagne. Moi ça me fout la gerbe. »
La théorie de la merguez
Fête voulant dire monde, et monde voulant dire électeurs, les politiques ont accouru, effectivement. Quelques minutes plus tôt, dans l’espace François Mitterrand, ils se sont succédé, rivalisant de formules euphorisantes dans une admirable valse des costards. David Lazarus, maire PS de la ville et socio du Barça : « Finalement, le bonheur, c’est simple comme une montée en Ligue 2 ! » Olivier Paccaud (sénateur LR de l’Oise) : « Aujourd’hui, on a besoin de vivre ensemble, le foot apporte mieux : le vibre-ensemble.(…)Désormais, tout le Sénat connaît Chambly. Je peux vous dire que les sénateurs des Herbiers se moquaient de moi l’an dernier et que cette année, ils aimeraient bien être à ma place. C’est l’une des plus belles pages de l’histoire du foot français ! » Puis le rougeaud Édouard Courcial, plus éloquent : « Il y a quinze jours, nous avions un dîner de famille. J’ai dit à mon fils :« habille-toi chic ». Il a mis des chaussures chics, un pantalon chic, et en haut, il a mis un maillot de Chambly. » Applaudissements à tout rompre, jolis numéros.
Les cols blancs contrastent avec l’authenticité célèbre du club, que Thibaut Jacques, défenseur du club, rappelle entre deux photos : « Nous, on n’est personne. Les gens ici, ils se lèvent tous les matins pour bosser, on a la chance de faire du foot, alors quand il faut être là pour prendre des photos et discuter un peu avec eux, on le fait parce que ça les rend heureux. »
Chambly, on le lit partout, est un club familial. Comme si son organigramme déteignait sur son mode de fonctionnement, ce qui ne doit pas être loin de la vérité, faisant de l’endroit, dit-on sur place, « un club qui sent la merguez » . Mathias Trogrlic, Directeur général des services de la mairie, a sa théorie : « À l’Entente Sannois Saint-Gratien, je soupçonne Luc Dayan (président entre 2004 et 2007, N.D.L.R.) d’avoir mis un extracteur de fumée au-dessus du stand de merguez. Après, en 2009, ils sont descendus en CFA. Je te dis : si la merguez est bonne, le club est bon. Le jour où il n’y a plus la fumée de cuisson des merguez, c’est la mort du club. »
Léger froid et camion de glace
Quitte à rester dans la cuisson, autant évoquer Vincent Planté qui se grille une cigarette. L’ancien Caennais est ici en tant qu’entraîneur des gardiens du club, un « type super, un régal » , souffle-t-on. Il a pris un coup de vieux. Doucement, en une heure de temps, les invités s’éclipsent, l’écho se mue en chuchotements, le banquet gaulois devenant apéro intimiste où les minizzas remplacent les sangliers rôtis. Tous les Luzi sont partis, sauf un, Bruno. Grattant le vernis, il rappelle que Chambly est invaincu à domicile cette saison, et que sans son écrin, l’éternelle ascension pourrait peut-être toucher le plafond. « Faut que je pense à ma carrière, dit-il.
Je suis arrivé ici quand j’avais 24 ans, j’en ai 54. J’ai fait le tour. Puis, partir sur une montée, ce serait pas si mal. » Une manière de mettre la pression à la ville ? Peut-être. « Je peux totalement partir à cause du stade, ouais. Si j’ai une offre, je vais l’étudier attentivement, je me vois bien dans un pays limitrophe. Je ne vais pas aller au Qatar ou en Mongolie, hein, je n’ai pas de rapports particuliers avec les yaks. » Dans le milieu, on appelle le National « le cimetière » , un coupe-gorge, manière de dire qu’il fait bon ne pas y rester trop longtemps. La Ligue 2, c’est autre chose. Monsieur le maire, assoiffé, a fixé un nouvel objectif à Fulvio Luzi d’ici trois ans : la montée en Ligue 1. Et, alors que les derniers indiens rentrent chez eux manger un morceau, l’homme chancelle : Divock Origi a ouvert le score pour Liverpool contre Barcelone. Sa soirée s’annonce longue. Derrière la gare, un camion de glace fend le soleil couchant. À Chambly, la fête ne s’arrête jamais vraiment.
Par Théo Denmat et Julien Duez, à Chambly
Photos : JD