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On a retrouvé Mamadou Diallo, l’homme qui a sauvé Nantes en 2005
Au bord du précipice avant la réception de Montpellier dimanche, le FC Nantes (18e) a encore une chance de s'en sortir sans barrage, et il a déjà prouvé qu'il était capable de se sortir d'un tel pétrin. Car si le PSG a eu Amara Diané en 2008, les Canaris ont eu Mamadou Diallo en 2005. C'était face à Metz (1-0), à la Beaujoire, et ce maintien miraculeux - malgré une place d'avant-dernier au coup d'envoi - avait été fêté comme un titre dans la Cité des ducs de Bretagne. Pour le retraité des terrains, seize ans après son coup de casque salvateur, l'émotion est intacte.
Nantes-Metz, c’était il y a presque 16 ans jour pour jour, le 28 mai 2005. Tu en as encore des souvenirs ?Tout le temps. On ne peut pas oublier ces moments-là, ça n’est pas possible. Je me souviens de tout. Même la veille du match lors du regroupement, l’hôtel, le trajet vers le stade qui était plein à craquer. C’était une ambiance particulière. C’était quelque chose de fou.
Vous aviez la boule au ventre, avant de jouer ?Ce genre de matchs, on passe par toutes les phases possibles. Il y avait beaucoup d’enjeu, c’était l’avenir de tout un club, de toute une ville. Ça faisait 42 ans que Nantes était en Ligue 1, c’était une lourde responsabilité. On est motivés, on s’inquiète, on a peur, mais il faut passer outre, se transcender et se concentrer sur l’objectif, qui était quasiment impossible, contrairement à la situation d’aujourd’hui : il fallait qu’on gagne et que deux autres équipes perdent (ce que feront le SC Bastia et Caen) pour qu’on se maintienne… C’était un scénario de fou. On était sur une mauvaise série, tout était réuni pour qu’on descende. C’était impossible, mais bon, on l’a quand même fait.
Qui avait pris la parole avant le coup d’envoi ?La semaine, on avait déjà tout dit. Le jour du match, on n’a quasiment pas parlé, il n’y a pas eu de très gros discours de qui que ce soit, même s’il y avait quand même les anciens comme (Frédéric) Da Rocha ou (Mickaël) Landreau qui faisaient comme d’habitude. On était tellement focus ! Le coach (Serge) Le Dizet avait passé toute la semaine à faire des réunions, à voir les joueurs individuellement, etc. (L’équipe avait passé une semaine en stage aux Sables-d’Olonne pour préparer le match, NDLR.)
Nantes avait réalisé une bonne prestation. La peur avait disparu au cours de la rencontre ?Dès le coup d’envoi, c’était parti, on n’avait plus peur. Ça nous a donné une autre forme d’énergie qui nous a permis d’être plus fluide, de marquer tôt et de bien jouer, même si la fin du match a été compliquée.
Tu te souviens de ce but ?Je me souviens de l’action comme si c’était hier. C’est une action construite côté droit avec Da Rocha et (Nicolas) Savinaud, il y a un centre, moi je coupe au premier poteau. Je me souviens que dans la semaine ou dans les deux semaines précédant ce match, on avait eu pas mal de centres qui arrivaient au premier, et Serge Le Dizet insistait là-dessus. Inconsciemment, à force de répéter les choses, je suis tombé au bon endroit.
Tu surgis entre deux défenseurs. Il n’est pas facile à mettre.C’est vrai. Mais une tête, c’est une tête. Le centre de Nico Sav’ (sic) était vraiment parfait, j’arrive lancé, oui, c’est un beau but. Mais outre la beauté, c’était l’objectif qui était le plus important. La joie qu’on a à ce moment-là, c’est incroyable.
Qu’est-ce que tu as ressenti après avoir marqué ?Franchement, je suis content. Je ne sais pas si on voit ma tête sur l’action, mais au fond de moi, je sais que ça n’est pas fini. Pendant le match, on ne peut pas s’empêcher de penser à ce qui se passe de l’autre côté. La victoire en soi ne suffisait pas, c’est pour ça qu’il y avait une atmosphère bizarre pendant ce match. D’ailleurs, à la fin du match, pendant que les autres étaient en train de célébrer, je ne comprenais pas, je leur demandais combien les autres avaient fait ! Quand ils m’ont dit qu’ils avaient perdu, j’ai halluciné. J’étais vraiment étonné. C’est après le match, le lendemain, le surlendemain, en croisant les gens qui vous parlent, c’est à ce moment-là que vous commencez à réaliser ce qu’on a fait et la chance que j’ai eu de marquer ce but. Mais à la fin du match, le jour-même, on ne s’en rend pas compte. Je n’ai pas pu totalement profiter, car deux jours après, je devais partir en sélection (pour des matchs de qualification au Mondial 2006 avec le Mali, NDLR). C’est en début de saison suivante, en voyant les gens, que j’ai pu prendre conscience de la situation.
Vous suiviez les résultats des autres matchs, en même temps ?On y pense, mais le banc ne nous communiquait rien, on n’avait pas d’information. Peut-être les autres, mais je sais que moi, j’étais tellement dans mon match. Même du côté des supporters qui écoutaient le match à la radio etc., je n’ai même pas essayé de capter s’ils célébraient quelque chose ou non.
Même à la mi-temps ?Je ne voulais rien savoir. Ils ne nous ont rien dit dans les vestiaires, on n’était au courant de rien. D’ailleurs, à la mi-temps, je n’étais pas là, je faisais des allers-retours, je n’étais pas sur place, j’étais animé par quelque chose. J’étais excité. Ce sont des moments pénibles à vivre, mais quand ça se termine comme ça a été le cas pour nous, c’est quelque chose d’extraordinaire. Il y en a qui gagnent le titre à la dernière journée ; nous, obtenir le maintien à la dernière journée, c’est fabuleux. Mais à l’instant T, c’est horrible à vivre.
Au coup de sifflet final, on voit sur les images que c’est Claudiu Keșerü qui vient vers toi et t’annonce la bonne nouvelle.Exactement. Il vient m’embrasser, je lui dis : « Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qu’ils ont fait les autres ? » et il me dit : « Ça y est, c’est bon, ils ont tous perdu ! » Et là, il y a quelque chose qui sort en toi, tu exploses de joie, c’est inimaginable. Ce sont des émotions qu’on ne peut pas décrire.
Cet envahissement du terrain par la foule qui fête ce maintien comme un titre, vous vous y attendiez ?Moi, non. Quand je suis arrivé à Nantes, trois ans plus tôt, le club était champion, j’avais vu ces images à la télé au Mali. Et ce soir-là, ça m’a rappelé ces images-là, en me disant que les gens étaient sur le terrain parce qu’on s’est maintenus. C’est incroyable de voir ces gens aussi contents, alors que ce n’est pas un titre. Mais je me dis que c’est plus qu’un titre : même si c’est nous qui avons mal joué le reste de la saison, savoir par exemple qu’il y a pas mal de gens qui resteront au club parce qu’on s’est maintenus, c’est formidable.
? Du temps additionnel à l’envahissement de terrain et la joie des supporters, revivez la fin de soirée de ce fameux Nantes – Metz de 2005 ! pic.twitter.com/Fw8fVzClMy
— FC Nantes (@FCNantes) May 29, 2017
À ce moment-là, tu ne te rends pas encore compte que ce but marquera l’histoire du club.Pas du tout. On est contents, le soir avec les gars, on se retrouve, on fait la fête, etc., mais mine de rien le surlendemain, je suis parti en sélection parce qu’il fallait se remettre au boulot. C’est au fil des années, à force que les gens te le disent… Aujourd’hui dans la vie de tous les jours, j’ai encore des gens qui me rappellent ce souvenir-là, les gens n’ont pas oublié. C’était le match et le but le plus important de ma carrière. Comprendre que j’ai marqué l’histoire du FC Nantes, ça m’a pris des années. Au début, je ne comprenais pas pourquoi on me disait « merci », et ensuite tu t’habitues.
Comment aviez-vous fêté ça ?On est sortis dans le centre de Nantes, je ne me souviens même plus où. C’était la fin de six mois difficiles, car moi j’étais arrivé à la trêve. On gagnait un match, on en perdait deux ou trois, c’était une saison très compliquée. On était soulagés, donc on avait besoin de se retrouver. Ça s’est organisé naturellement, dans les vestiaires.
Ce but a également fait basculer ton destin, puisque si Nantes descendait, tu retournais jouer à l’USM Alger. C’est un tournant dans ta carrière ? (Rires.) Oui, j’étais prêté six mois avec une option d’achat. Il fallait que Nantes reste en première division pour que l’option puisse être levée. Mais pour être honnête, je ne pensais même plus à ça. À la base, l’USM Alger voulait me vendre aux Émirats, car c’était plus rentable pour eux, donc il y avait des offres qui m’attendaient là-bas, mais moi, je ne voulais pas y aller ! Il a fallu ce maintien pour que je puisse rester au FC Nantes. Est-ce que les six mois que j’avais réalisés à Nantes étaient suffisants pour qu’un autre club européen s’intéresse à moi ? Je ne peux pas le dire. Donc j’aurais peut-être signé aux Émirats, qui sait.
Après tout cela, la relégation de Nantes deux ans plus tard, était-ce un gâchis ?Ça n’est jamais agréable. Après tout ce qui s’est passé, voir qu’on est quand même descendus, ça fait mal au cœur. Même si on a sauvé le club, on fera partie de la génération qui a fait descendre le club. Ça n’est pas du gâchis, mais ça fait tache.
Tu as également connu une relégation avec Sedan. Tu as été maudit, après ce but ?Non, ce sont des contextes vraiment différents. À Sedan, le président ne voulait plus s’investir dans le club, ils sont partis sur autre chose. Non pas que Sedan ça n’était pas grave, mais Nantes, ça a fait beaucoup plus mal, car c’était un club ancré en première division : 44 ans consécutifs, ça n’est pas anodin.
Tu suis encore les résultats de Nantes ?Pas beaucoup pour être honnête, je suis très peu le foot depuis deux ans, car je suis très occupé. J’ai suivi de loin au cours de la saison, mais le moment où je me suis vraiment rendu compte que c’était compliqué, c’était la semaine dernière, j’étais devant le multiplex.
Quels seraient les ingrédients pour réussir une mission sauvetage ?Est-ce qu’il y en a vraiment ? Je ne peux pas le dire. On a réussi car on est passés par plein de choses, on a pu se transcender dès le début du match, on a eu la chance de proposer du jeu et de marquer très rapidement. Mais ça n’est pas toujours le cas. Et puis ils ne sont pas dans le même contexte : le maintien repose moins sur les autres, c’est un poids en moins. Ils sont mieux lotis que nous à l’époque. Dans notre cas, on peut vraiment parler de miracle.
Tu as pris ta retraite en 2018. Qu’est-ce que tu fais aujourd’hui ?Je suis chef d’entreprise, j’ai créé ma société en région parisienne. Je suis partenaire dans pas mal de choses à gauche à droite, on est dans tout ce qui est transports logistiques et dans les énergies renouvelables. Je suis occupé dans pas mal d’activités, je ne connaissais rien là-dedans et aujourd’hui, je m’éclate.
Propos reccueillis par Jérémie Baron