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On a rencontré Yoann Damet, le plus jeune entraîneur de l’histoire de la MLS
Arrivé il y a quelques années à Montréal pour rendre visite à un ami, Yoann Damet n'est jamais reparti. Entre-temps, le Français a aidé à la mise en place de la pré-Academy de l'Impact et est devenu, au printemps dernier, le plus jeune entraîneur de l'histoire de la MLS, à 29 ans, du côté du FC Cincinnati. Repassé adjoint dans le club de l'Ohio, il raconte son expérience au sein d'une formation qui a vécu une première saison délicate en MLS.
Tu es né à Marseille, au début des années 1990. Est-ce que ça a conditionné ton éveil pour le foot ?Je suis né à Marseille, mais finalement, je n’ai pas passé beaucoup de temps là-bas. Mon père a été muté en Bourgogne quand j’avais trois ans. C’est surtout là-bas que j’ai grandi, même si on retournait au moins une fois par an sur Marseille. J’ai d’ailleurs appris bien plus tard qu’on habitait avenue du Prado, à même pas 100 mètres du Vélodrome. Forcément, c’est aussi par ce biais que je suis venu au foot : par l’OM, son histoire, mais surtout par la Coupe du monde 98. À l’époque, j’avais huit ans, et à cet âge-là, ça te marque. Ma réaction a été de prendre ma première licence dès la saison 1998-1999, puis de m’intéresser au jeu, à l’histoire du foot, et progressivement à l’entraînement. Et, bizarrement, j’ai rapidement eu envie de coacher.
Avant tes huit ans, le foot, ça ne t’intéressait pas ?Non, pas du tout, ce n’était pas quelque chose de présent dans ma famille. C’est vraiment arrivé via la Coupe du monde. Après, souvent, quand tu mets le doigt dans un truc, que tu développes une passion pour cette chose, ça va très vite. Moi, dès que j’ai pris goût au foot, je n’ai plus réussi à m’en passer, comme une espèce de drogue. C’est un truc addictif.
Il y a des équipes qui t’ont marqué plus que d’autres au départ ?Ça s’est passé en deux étapes, en fait. Il y a d’abord eu ma période joueur, où parfois, tu ne prends pas le recul nécessaire pour analyser le jeu.
Puis ma période coach, où j’ai vraiment commencé à m’intéresser au jeu à proprement parler. C’est finalement arrivé assez vite parce qu’à seize ans, j’ai récupéré ma première équipe. 16 ans, c’est le milieu des années 2000, donc le début du Barça de Guardiola, le Chelsea de Mourinho, des choses qui te fascinent quand tu es ado. Ce que je regardais avant tout, c’était la façon dont ces mecs géraient leur effectif. En grandissant, je me suis ouvert davantage à d’autres styles, d’autres approches, d’autres championnats, d’autres systèmes.
Ça se passe comment concrètement à 16 ans ? Tu prends des notes devant les matchs, tu joues à Football Manager ? Absolument pas. (Rires.) Je n’ai jamais vraiment trop joué à FIFA, ni à Football Manager. C’était plutôt de l’investissement, donc à 16 ans, on m’a donné une équipe U13, ça a été un bain où j’ai tout de suite progressé sur l’aspect socio-éducatif du métier. Quand tu as des jeunes de cet âge-là, tu dois les faire mûrir en tant que joueur, mais surtout en tant que jeune adulte. C’est le deal. En parallèle, je me suis mis à retourner Internet, à regarder des vidéos, à lire pas mal de livres, à rencontrer une grosse quantité d’éducateurs, et à 18 ans, j’ai passé mes premiers diplômes pour créer mes propres conditions de travail.
Il y a des personnes qui t’ont un peu plus marqué parmi ces rencontres ?Je continue encore aujourd’hui à rencontrer beaucoup de monde. Il y a quelque temps, j’ai eu l’opportunité de voir Gregg Berhalter, le sélectionneur des États-Unis, ou le coach de New York City, Domènec Torrent, qui a été l’adjoint de Guardiola pendant plusieurs années. Tu vas au restaurant, prendre un café, c’est enrichissant. Plus jeune, je faisais avec mon environnement : c’est mon éducateur en U13 qui m’a donné envie de coacher. J’ai toujours été un curieux, un fouilleur, donc si j’ai une porte qui s’ouvre, j’entre et je creuse autant que possible.
Tu es parti à Montréal à l’âge de 23 ans. Au départ, tu allais simplement voir un ami. Finalement, tu t’es retrouvé quelques semaines plus tard aux manettes de la pré-Academy de l’Impact. C’est un peu fou, non ?Quand je pars à Montréal, c’est plus par opportunité. Au départ, j’étais allé rendre visite à un ami qui était venu jouer en France et avec qui j’avais sympathisé. J’ai passé un super été là-bas, c’était mon premier voyage hors Europe et j’ai eu la possibilité de rencontrer les gens qui bossent dans le foot à Montréal, que ce soit au niveau amateur ou à l’Impact. Je suis revenu chaque été ensuite, jusqu’à cette possibilité. À cette époque, je suis à Dijon, au DFCO, où je n’ai pas de contrat, mais où je m’investis bénévolement à temps plein, j’étais sur mon chômage. Je passe toutes mes journées au club, au centre de formation, mais Montréal arrive. Et ça colle. Philippe Eullaffroy, le directeur de l’Académie de l’Impact, me fait confiance. Je sais aussi que c’est un projet différent de ceux que j’ai connus. J’ai le goût d’entraîner, d’avoir une équipe, mais ce qu’on me propose, c’est de venir en tant que coordinateur de la pré-Academy, ce qui correspond à l’école de foot en France. C’est quelque chose qui n’existait pas à l’époque et qu’on a créé. Il fallait alors mettre en place un projet de formation en lien avec l’académie, recruter des joueurs, des entraîneurs… J’étais aussi en parallèle préparateur physique avec les U17 et U19, mais aussi entraîneur-adjoint avec ces deux équipes. Donc j’ai foncé. Pour la première fois, on m’a offert un emploi à temps plein dans le foot. Et ça a payé.
Parce qu’on t’a aussi filé rapidement des responsabilités.Oui, beaucoup d’autonomie, mais aussi parce que les dirigeants de l’Impact sont des personnes ouvertes et progressistes. À 23 ans, j’ai eu un cadre idéal pour faire mûrir mes idées en fait. Le défi était intéressant, même si ce n’est jamais facile de tout plaquer. C’est une prise de risque, parce que tu laisses derrière toi tout ce que tu as établi, mais aussi ta famille, tes amis… Tout ça pour une passion. Après, c’est quelque chose d’excitant, aussi. Je partais pour le foot, donc j’ai oublié de penser aux mauvais côtés.
Tu arrives aussi dans une ville et un pays qui vivent le foot d’une façon différente. Qu’est-ce qui t’a marqué en arrivant ?L’avantage, c’est que l’Impact possédait une structure assez européenne. On avait réussi à mettre en place un planning aménagé pour les cours des élèves, etc, donc c’était assez similaire en matière de fonctionnement. C’est dans la culture que les choses étaient différentes, mais j’ai rencontré des jeunes qui se sont impliqués à 200% dans leur projet de formation. La grosse différence, c’est peut-être le championnat, car même chez les jeunes, quand tu joues à l’extérieur, tu fais douze heures de bus. Parfois, tu arrives sur un terrain où il n’y a pas de vestiaire. Tu as dormi à l’hôtel, tu joues le matin, tu ne peux pas te doucher après, et tu es reparti pour dix-douze heures de bus. C’est étrange quand même (rires), parce que même en matière de récupération, ce n’est pas idéal, parce que tu pars le vendredi à 8h et rentres le dimanche soir vers 00h-01h.
Et le public ?En Amérique du Nord, l’engouement est là. Les gens viennent au stade, et le climat est même plus positif que dans la majorité des stades européens. Ici, ils viennent regarder du jeu, deux équipes s’affronter… Soutenir leur équipe, aussi, évidemment, mais tu sens moins la possibilité que ça tourne au négatif dans les tribunes. J’ai aussi vécu ça à Cincinnati cette saison, où les résultats ont été compliqués cette saison (le Cincinnati FC a terminé dernier de la conférence est avec six victoires en 34 journées, N.D.L.R.), mais où les supporters ne nous ont jamais tourné le dos. Je n’ai jamais senti de pression négative sur l’équipe, malgré la déception et les attentes. Bon, à Montréal, ça reste quand même plus européen, et on l’a vu cette année, où il y a plus de contestation avec les résultats…
Quand tu étais à l’Impact, il y avait Didier Drogba, Ambroise Oyongo, Laurent Ciman… Tu as pu échanger avec eux sur cette expérience commune ?Oui, quelques fois, notamment avec Ambroise.
On discutait surtout de leurs expériences passées, même avec Drogba. Je lui ai posé des dizaines de questions sur les entraîneurs qu’il avait connus, quelques points tactiques…
La tienne, d’expérience, a tourné en mars 2017, où tu as rejoint le FC Cincinnati. Pourquoi ?Ce qu’il s’est passé, c’est qu’en 2015, alors que j’avais ma licence UEFA en France, j’ai décidé de repasser mes diplômes au Canada. J’avais envie de me confronter au système de formation des entraîneurs canadiens. Durant ma formation, j’ai rencontré Alan Koch, qui entraînait à l’époque l’équipe réserve de Vancouver. On a travaillé ensemble sur deux périodes de dix jours, sur et en dehors du terrain. Quand il a eu sa licence A au Canada, il a obtenu le travail ici, à Cincinnati et m’a appelé en 2017 pour devenir son adjoint. Je n’avais passé que 20 jours avec lui, mais il s’était passé quelque chose, donc je l’ai suivi et j’ai tout plaqué de nouveau. Je savais que le club voulait entrer en MLS, c’était son ambition, avec un bel engouement, une vision à long terme…
Et en mai 2019, Alan Koch a été viré et on t’a installé comme intérimaire. Tu étais préparé à devenir le plus jeune entraîneur de l’histoire de la MLS à 29 ans ?Tu n’es jamais préparé à ce genre de choses… Ça va très vite en fait. Quand le président m’en parle, le club est dans une situation difficile, je me dois de répondre présent. Ma mission était claire : je devais assurer la transition entre Alan Koch et le futur entraîneur. Ce n’est pas simple au niveau moral parce que tu viens remplacer la personne qui t’a emmené au club. Du coup, l’objectif a simplement été de faire au mieux.
Tu as dirigé ton premier match contre Montréal, qui était à l’époque entraîné par Rémi Garde. Vous avez pu échanger un peu ?Forcément, déjà, l’Impact, c’était un match particulier pour moi : je n’avais jamais dirigé une équipe de seniors, j’affrontais mon ancien club, un entraîneur français… Surtout, tu as le contexte. On restait sur cinq défaites consécutives
, avec aucun but marqué lors de ces cinq matchs, rien d’idéal, et pourtant, on gagne 2-1. Je n’ai pas vraiment eu le temps d’échanger avec Rémi, mais il a eu de gentils mots à mon égard avant le match.
C’est-à-dire ?Il m’a dit : « Félicitations pour le poste et bienvenue dans la machine à laver. » Donc ça veut dire ce que ça veut dire. (Rires.) C’était un joli clin d’œil de retrouver deux entraîneurs français pour un match de MLS.
Mais tu n’as pas eu peur, toi, alors que tu n’avais jamais dirigé une équipe de seniors ?Ça a été assez étrange en fait, parce que tu n’as pas vraiment le temps de prendre du recul sur la situation. J’ai passé une semaine de fou, où tu arrives à 5h le matin au bureau et où tu en repars à 22h le soir. Il fallait tout préparer et définir les priorités en matière de jeu, que ce soit pour les sorties de balle, la structure défensive, l’organisation de notre jeu de position… Tu devais aussi préparer les différents scénarios possibles de la rencontre. Tout ça, en trois rencontres. Donc, tu ne dors pas beaucoup et tu n’as pas le temps de te demander si tu as 29 ans ou 59 ans, si c’est ton premier match ou ton 1000e sur un banc. L’important, c’était d’avoir la crédibilité aux yeux du groupe et de réussir à convaincre les joueurs de me suivre. En ça, le résultat de ton premier match aide, mais c’est les joueurs qui en décident. Toi, en tant qu’entraîneur, tu as fait tout le travail avant et quand je suis arrivé, j’étais épuisé, mais j’avais le sentiment de contrôler la situation. J’étais surtout excité de voir comment les joueurs allaient s’imprégner de notre travail de la semaine.
Finalement, tu as dirigé onze matchs (trois victoires, huit défaites) avant d’être remplacé par Ron Jans. Qu’est-ce que tu as compris pendant cette période ?
Que ce boulot n’est pas simple. (Rires.) On a tous vécu une saison difficile. Le club nous a demandé de mettre en place une philosophie de jeu claire pour les années à venir et quand tu fais ça, tu sais que tu t’exposes à des déconvenues. Tu n’es jamais préparé à être debout, avec tes joueurs, dans une zone technique et à ramasser autant. Certains matchs ont vraiment été difficiles pour nous (le FC Cincinnati a bouclé la saison avec une différence de buts de -44, N.D.L.R.), mais on a appris à mettre nos ego de côté. Même quand tu ramasses, tu dois montrer à tes joueurs que tu crois en eux, que tu as confiance… Ce sont des choses que je savais, mais quand tu es mené 3-0 après trente minutes, là, tu es dans le jus, tu dois le mettre en pratique et être capable de réagir tactiquement à ce que te propose l’adversaire. Et ça, c’est du tac au tac, tu n’as pas 20 minutes pour réfléchir et tu ne peux pas te planter, car les joueurs t’ont fait confiance.
Repasser adjoint cet été n’a pas été trop difficile ?J’ai découvert un nouvel entraîneur, Ron Jans, à qui j’apporte mon expérience de la MLS. Il est là depuis deux mois, on continue d’apprendre à se connaître. On est déjà dans la saison prochaine et dans la recherche du fonctionnement optimal. Avoir quelqu’un de l’extérieur qui arrive, ça t’apporte aussi un peu de fraîcheur, c’est bien après une saison aussi éprouvante. Pour la transition, le club a été très bon et je savais déjà que je devrais rendre l’équipe à l’issue de mon intérim. Il fallait simplement construire un environnement sain pour le nouveau coach. Après, quand tu as goûté à ça, tu y prends goût, évidemment. Je sais aussi que je suis jeune et que j’ai encore des choses à apprendre. Je sais où j’en suis, je sais quels sont mes objectifs pour le futur, je sais aussi que je suis dans un club ambitieux, où l’on me fait confiance, donc je ne me pose pas trop de questions.
Même pas celle d’un potentiel retour en France ?Pas encore, même si j’ai des amis à Brest, à Dijon, à Nîmes… Je suis encore la Ligue 1, même si c’est difficile avec les horaires. Ici, c’est surtout la Premier League qui est diffusée. Mais revenir en France, je n’y pense pas encore, non. (Rires.)
Propos recueillis par Maxime Brigand