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On a regardé France-Belgique avec la BBFL à Bruxelles

Par Gabriel Joly, à Bruxelles
7 minutes
On a regardé France-Belgique avec la BBFL à Bruxelles

Qualifiées pour la deuxième fois de leur histoire à un Euro féminin, les Red Flames faisaient office d'outsider face à l'équipe de France ce jeudi. En Belgique, peu s'attendaient à une performance collective aussi aboutie malgré la défaite (2-1). Réunis pour l'occasion, les membres de la ligue féminine amateur BBFL ont suivi la rencontre, avec plus de passion que d'attention. Récit d'une soirée placée sous le signe de l'espoir.

Difficile d’imaginer que l’équipe nationale de Belgique s’apprête à disputer un match décisif pour la suite dans son Euro féminin lorsqu’on déambule du quartier Saint-Gilles à la Grand-Place en ce jeudi 14 juillet. Submergée de touristes, Bruxelles reste globalement impassible. Hormis une horde d’irrésistibles réunis à la buvette du stade Chazal, terrain de jeu du FC Kosova à Schaerbeek dans le nord de la ville. Cette joyeuse bande, c’est une partie des membres de la Belgian Bright Football League, la BBFL. Une ligue de football féminin amateur créée en 2012 pour permettre aux filles qui le veulent de jouer un peu plus détente, sans avoir à prendre une licence au sein de l’Union belge. À la BBFL, l’idée est de créer une équipe avec ses potes et d’être directement intégré dans l’une des quatre divisions du championnat, à Bruxelles comme à Liège.

Fun, flexibilité et fair-play

À l’occasion de ce France-Belgique, les cinq formations qui louent le terrain du FC Kosova se sont réunis chez Jimmy, le patron de la buvette, qui reçoit pour chaque rencontre des Red Flames à l’Euro. Parmi elles, les White Walkers arborent fièrement les couleurs, casquettes blanc et bleu vissées sur le crâne. « Honnêtement, on était les plus fortes cette saison. On a mis près de 90 goals pour 6 encaissés… Mais on a perdu la finale bêtement », expose d’entrée Virginie, la buteuse, bientôt rejointe par sa coéquipière Lovisa. « Toute l’année, on a gagné 10-0, mais en finale, on perd 2-1 sur deux contres et des cafouillages… À la mi-temps, on doit être à 6-0, mais la gardienne d’en face a été incroyable. » Justement, les vainqueurs de la Ligue de Bruxelles, les Red Coug’s, sont à la table de derrière. Mais pas d’animosité entre les deux équipes. À la BBFL, c’est relax, tout le monde se connaît, et la bonne ambiance est de mise, comme en témoignent les gobelets de Jupiler qui s’enchaînent, ramenés six par six sur des palettes en carton.

« Ici, on ne se prend pas la tête, explique Virginie. Tiens par exemple, quand j’étais en club, je n’osais pas fumer devant les entraîneurs de peur qu’ils me mettent sur le banc. En BBFL, c’est le coach qui me file des clopes. » De plus en plus de joueuses licenciées en deuxième ou troisième division belge cumulent avec une équipe de BBFL. Virginie jouait aux Irlande Auderghem : « La saison prochaine, je vais arrêter mon vrai club parce que j’en ai marre de passer mon samedi à ça. Les entraînements me prennent trop de temps, et je ne vois plus trop ma famille et mes potes. Au moins, en BBFL, je n’ai pas trop de question à me poser vu qu’on joue toutes entre amies. » Pauline en sait quelque chose. Cette Française débarquée à Bruxelles avant la pandémie se rappelle ses débuts dans la ligue. « Je voyais toujours les mêmes personnes depuis mon arrivée. Intégrer une équipe BBFL m’a bien aidée pendant le Covid. Ça faisait du bien d’avoir un groupe de quinze personnes pour sociabiliser. » Le social, c’est justement l’un des maîtres-mots de la BBFL. Grâce à l’initiative Play Beyond, la ligue soutient d’ailleurs un projet humanitaire. Pour chaque joueuse inscrite et chaque but marqué pendant les rencontres, une cagnotte est lancée pour financer l’éducation, le logement et la pratique du sport de jeunes Indiennes, souvent menacées par le mariage forcé.

Paris corsés et rivalités bienveillantes

Sur les coups de 20h15, alors que les frites et les pains mitraillettes sont de sortie, un projet de jeu à boire se met en place chez les White Walkers. « Carte jaune, tu bois. Carte rouge, tu bois. Goal, tu bois. En fait, tu bois. » Au vu des pronos défavorables aux Red Flames qui fusent de partout, la soirée promet de laisser des traces. « Ça va être dur ! On va espérer limiter la casse pour avoir un meilleur goal average que l’Italie et l’Islande, mais contre les Bleues, si on a 20% de possession de balle, c’est déjà pas mal », anticipe Virginie, quand l’une de ses coéquipières mise plutôt sur une défaite par huit buts d’écart. Le pessimisme ne s’arrange pas quand la compo des Belges est annoncée. « On a le même coach depuis dix ans, et il joue toujours pareil ! Sa tactique, c’est de mettre une grande au milieu qui peut dévier de la tête pour Wullaert et basta, râle Karim qui arbitre en BBFL. On a été nazes contre l’Islande, mais il a remis exactement le même onze. »

Les bancs étant combles, les retardataires prennent des chaises pour se mettre face aux trois écrans qui diffusent la rencontre. « Après le fiasco des Diables contre l’Italie l’an dernier, on s’était dit avec le patron qu’il fallait faire aussi pour les filles, raconte Thomas qui s’occupe du sport à la mairie. Au premier match, il n’y avait pas grand monde, on était à peine 80, mais là c’est vraiment bien. » Un lien avec l’affiche ? Pas forcément, car contrairement à la concurrence souvent palpable pour les matchs masculins, la rivalité entre les deux nations voisines n’est pas omniprésente ce soir. « Je suis pour la France, mais je ne le dis pas trop, on ne va pas supporter les perdants quand même », glisse toutefois Pauline au moment des hymnes. Dans la buvette, La Marseillaise résonne d’ailleurs plus fort que La Brabançonne, car beaucoup de joueuses de BBFL sont françaises. « Nous, on ne chante pas l’hymne. Entre le français, le flamand et l’allemand, ça crée un bordel de cacophonie », justifie Lara, alors que l’un de ses potes pas trop branché foot demande pourquoi il n’y a ni fumigènes ni musique de la Ligue des champions à Rotherham, comme c’est habituellement le cas en BBFL.

Nicky Évrard et pisse de chat

Dès l’entame de la partie, les premiers frissons se font sentir. Quand Wendie Renard place une tête sur corner, l’assemblée à forte majorité féminine se tend, avant de vite se résigner. « Et allez, ça commence », entend-on lorsque Kadidiatou Diani ouvre le score après cinq minutes de jeu. Les White Walkers chambrent même Pauline qui n’a pas vraiment célébré le 1-0. « Tranquille, je garde de l’énergie pour les suivants », rétorque-t-elle. Au moment où Marie-Antoinette Katoto sort sur blessure, certaines reprennent confiance. « Si on les bat, elles vont dire que c’est à cause de ça », raille la gardienne en direction des Françaises de l’équipe. Le jeu d’alcool n’a cependant que peu d’effet, puisque les Red Flames sont solides défensivement. Chaque parade de la Belge Nicky Évrard est accueillie comme un goal, et l’explosion de joie intervient sur l’égalisation de Janice Cayman. « Un tir, un but ! C’est bon ça », exulte Virginie quand la réalisation affiche une stat’ sans appel : onze frappes à une en faveur des Bleues de Diacre. Les espoirs sont toutefois de courte durée, puisque la France repasse vite devant.

Tandis qu’un gars asperge tout le monde avec un pistolet à eau et qu’un chat urine sur la table des White Walkers, Thomas fait le point à la pause. « C’est pas mal ! On s’attendait à bien pire. Les gens sont à fond, mais il y a quand même eu moins de bières balancées sur le but que pour les Diables, se marre-t-il. La buvette risque d’être pleine à craquer contre l’Italie ! Si on joue comme ça, les gens vont se dire que la qualification est possible. » En seconde période, l’attention de la troupe se dissipe au fil des discussions malgré une solide prestation des Flames. Il faut attendre la fin de match pour que l’ambiance reparte de plus belle. À deux minutes du terme, la défense belge concède un penalty. Côté BBFL, on est beaux joueurs sur les ralentis. « Oui, ok bon c’est main », reconnaît-on. Mais on s’emporte lorsque l’arbitre sort le rouge contre Amber Tysiak. « Ça, c’est dégueulasse ! En plus, c’est une super défenseuse », se plaint Karim qui anticipe déjà le troisième match. Comme contre l’Islande, l’arrêt d’Évrard devant Wendie Renard compense l’affaire. Inattendue, cette défaite par un but d’écart est fêtée comme une victoire de la Belgique. À la table des championnes de Bruxelles, on ose même la comparaison. « Évrard a fait un match énorme ! Elle a presque été du niveau de notre gardienne en finale, balance une joueuse des Red Coug’s. Mais ça ne vaut pas la nôtre ! Elle nous avait sorti une vingtaine d’arrêts, sans elle on perdait 10-0 ! » Ravis par le résultat du soir, les fans des Flames vont poursuivre la soirée à coups de palettes de six pour l’anniversaire du coach des White Walkers. Car la troisième mi-temps, c’est ça aussi l’esprit BBFL.

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Par Gabriel Joly, à Bruxelles

Photos : GJ.

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