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On a pris le thé avec Mame Biram Diouf

Par Christophe Gleizes et Gad Messika, à Manchester
8 minutes
On a pris le thé avec Mame Biram Diouf

Vous ne connaissez pas l’international sénégalais ? On parle pourtant d’un homme qui a remplacé Wayne Rooney sous le maillot de Manchester United, qui a marqué dans la foulée, et qui a tapé un salto devant Old Trafford. À quelques mois de la CAN en Égypte, voici ses confessions intimes.

Perdue dans la campagne anglaise à une heure de route de Manchester, la verdoyante banlieue de Davenport permet d’approcher une espèce rare : l’homme qui a réussi sa vie. Entre deux parties de golf, les bedonnantes classes supérieures profitent de leur pavillon individuel au gazon finement taillé, à l’entrée duquel il est de bon ton d’exposer sa Ferrari ou sa Lamborghini pour rendre jaloux ses voisins. Plus sobre que ses congénères, Mame Biram Diouf a opté pour une confortable Bentley blanche avec intérieur cuir rouge molletonné. Une petite folie qu’il s’est permise il y a deux ans, « pour se faire plaisir » , après avoir longtemps trimé pour mettre sa famille à l’abri. « Et puis il n’y a pas qu’eux. Tu as toujours quelqu’un à aider en Afrique… Quand tu rentres et que tu vois tes potes d’enfance dans le besoin, tu as envie de les soutenir. » Mame Biram Diouf est généreux. Après avoir fait croquer un petit tour du pâté de maison, l’attaquant sénégalais nous ouvre les portes de sa charmante villa, où il a son petit paradis, une petite pièce avec télé et canapé d’angle, où s’entassent les DVD et les jeux vidéo. Loin du tumulte du salon où ses deux petites filles ont construit une cabane de fortune.

En rupture de Stoke

De ses années passées à ferrailler sur les pelouses anglaises, Mame a acquis une délicatesse toute british. « Vous voulez un peu de lait avec votre thé ? » s’enquiert-il d’emblée, avant de raconter sa frustration actuelle à Stoke City, le club dont il défend les couleurs depuis cinq ans. Tout a commencé par douze buts inscrits, dont un slalom incroyable contre Manchester City. « Ici, ils m’ont trop aimé, se remémore-t-il. C’est pourquoi je suis triste de la situation actuelle, parce que Stoke représente beaucoup pour moi. » Désormais abonné au banc des remplaçants et pris à partie par les supporters, Mame n’est plus vraiment en odeur de sainteté chez les Potters, navrants 16es de Championship. « Le public anglais est exigeant, mais franchement nos fans sont les pires » dédramatise-t-il, à la sortie d’un match mitigé contre Aston Villa, où il s’est fait bouger par les défenseurs. « Ce sont de vrais passionnés, mais ils n’encouragent pas leurs joueurs, à peine tu rates une passe ils te pourrissent, c’est vraiment dur. »

Si le Sénégalais manque parfois d’inspiration, il faut concéder que les ballons que lui envoient ses coéquipiers ressemblent à des ogives. Fatigué de se fracasser au duel contre les défenses du Royaume, le lion songe désormais ouvertement à partir, même s’il ne « veut pas en parler » . Cet été, Fenerbahçe est venu aux nouvelles. Plus récemment, Bursaspor a fait part de son intérêt pour l’international sénégalais, auteur de 10 buts en 47 sélections.

Pour expliquer sa mauvaise passe, Mame pourrait se réfugier derrière le décès de son père en janvier dernier, qui l’a profondément affecté. Mais il plaide seulement le fait de jouer excentré. Depuis quelques saisons, ses coachs s’obstinent en effet à le placer sur un côté. Il peste : « J’ai vraiment essayé, mais je n’y arrive pas. Tu me prends pour jouer buteur, et derrière tu me fous sur l’aile, ça veut dire quoi ? » Contrarié, il assure comprendre Adrien Rabiot, qui refuse d’évoluer à un poste qui n’est pas le sien. Mame aimerait avoir la même capacité de dire non. Car c’est un attaquant, un vrai. Opportuniste, bon de la tête, et efficace face au gardien. À Hanovre, où Stoke l’a recruté, il a compilé 35 buts en 71 apparitions. Une période faste où il faisait la paire avec le délicieux Lars Stindl, qui enchaînait les offrandes. « Avec lui, je me suis régalé, dit-il en souriant. Il savait exactement où j’allais faire l’appel, il n’y avait plus qu’à marquer » . Désormais, la Bundesliga semble loin, tout comme la perspective de disputer la prochaine Coupe d’Afrique des nations en Égypte, à moins que son rôle de grand frère auprès des jeunes talents sénégalais ne vienne compenser son temps de jeu famélique dans la tête d’Aliou Cissé.

Quart d’heure de gloire

Mame ne désespère pour autant. Il le sait, dans le football, tout peut arriver. Lui, le gamin turbulent des faubourgs de Dakar, qui a troqué le sable des Parcelles assainies pour la neige de Scandinavie à l’âge de 20 ans. « La Norvège a été pour moi le meilleur des tremplins » , raconte celui qui est rapidement devenu une star dans la petite ville côtière de Molde. « En arrivant, je pensais que tout le monde allait me regarder dans la rue en mode : « c’est qui ce noir ? » mais pas du tout. Pour eux, que tu sois petit ou gros, noir ou blanc, riche ou pauvre, ça n’a pas d’importance, ils traitent tout le monde de la même façon. » De cette escapade nordique, l’attaquant sénégalais ne garde que des bons souvenirs. « Ils m’ont formé en tant qu’homme et j’y ai rencontré ma femme » , salue-t-il avec nostalgie, même si très vite, l’Eliteserien s’est avérée trop petite pour lui. Un jour, tandis qu’il est en vacances, son agent lui téléphone. « Faut qu’on parle » – « Bah dis-moi » – « Non, faut qu’on se voie. Tu es où là ? » – « Nice. » – « Ne bouge pas, j’arrive. » Interloqué, Diouf cogite pendant 24 heures, avant d’apprendre la nouvelle qui va changer sa vie à jamais : « Manchester United insiste pour te recruter. Apparemment, Ferguson te suit depuis deux ans. »

Nous sommes en janvier 2010, et voici donc Mame dans l’avion, direction l’Angleterre. « Tu es déjà allé à Old Trafford ? C’est vraiment le théâtre des rêves. Du jour au lendemain, alors que je jouais dans des enceintes quasiment vides, je me retrouve devant 75 000 personnes. J’ai pris le temps de regarder le stade, les gens… Je n’y croyais pas. » La suite figure dans les annales. On joue la 73e minute de la 21e journée, et Manchester mène 2-0 contre Burnley. « Je suis sur le banc, coincé entre Michael Owen et Park Ji-Sung, quand Ferguson me dit d’aller m’échauffer. À ce moment, je te jure, je me dis : « C’est chaud ! »Cinq minutes après, le coach vient me voir : « Tu entres. » Et là, je remplace Wayne Rooney. » Premier Sénégalais de l’histoire du jeu à enfiler la tunique des Red Devils, Mame ne va pas rater la chance de sa vie. Dans le temps additionnel, il profite d’une longue ouverture d’Antonio Valencia pour devancer le gardien Brian Jensen d’une tête lobée. « Quand j’ai vu la balle franchir la ligne, ça ne m’a pas semblé réel. C’était si intense comme sentiment. J’ai vécu une sensation que je ne pourrai jamais oublier. » Un exploit aussitôt célébré par un double salto, en hommage à ses jeunes années dakaroises, puis une parade devant la tribune, en mode « remember my name » . De quoi ringardiser le cœur avec les doigts.

De l’existence de Dieu

Pour le Sénégalais, tout est sans doute allé trop haut, trop vite, trop fort. Une fois redescendu, les difficultés se sont accumulées. « Après le match, Ferguson m’a dit : « Pour toi, c’est maintenant que le plus dur commence. » » C’est un fait, le manager écossais se trompe rarement. À l’époque, Manchester United est une machine de guerre, où règne une concurrence féroce. « Si tu regardes l’effectif, il n’y avait que des tueurs » , assure Mame, qui se souvient de trois joueurs en particulier : « D’abord, Wayne Rooney, parce qu’il pouvait marquer de partout, de n’importe quel angle. Ensuite, Paul Scholes. Avec lui, tu n’avais même pas le temps de monter au pressing qu’il avait déjà passé le ballon. Et enfin Ryan Giggs. Il avait déjà la trentaine bien entamée et pourtant, qu’est-ce qu’il m’a fait me sentir vieux à l’entraînement ! » Face à cette armada de stars, le jeune Sénégalais doit se contenter de bouts de match. En quête de temps de jeu, il est d’abord prêté à Blackburn, où il forme un duo de Diouf avec El-Hadji, avant de tenter sa chance en Allemagne, avec le succès qu’on lui connaît. Il s’impose dans le même temps en sélection, dispute deux CAN, puis participe à la Coupe du monde 2018, où le Sénégal est éliminé au nombre de cartons jaunes.

Un nouveau coup du sort qui pourrait faire croire à une malédiction. Encore aujourd’hui, Mame ne s’explique pas la malchance récurrente des Lions en compétition. « C’est comme si on était maudits » , ose cet homme profondément croyant, qui pense comme beaucoup d’Africains que sa carrière a été rendue possible par la « grâce de Dieu » . Sa foi, pourtant, a été durement ébranlée par un drame personnel. En septembre 2015, un mouvement de foule provoque une terrible bousculade à La Mecque. Plus de 2000 personnes périssent piétinées. Sa mère fait partie des victimes. « C’est moi qui lui ai offert le voyage, c’était son rêve de faire le pèlerinage » , murmure-t-il. « Tu as beau retourner le problème dans tous les sens, dans ta tête tu te dis : « C’est à cause de moi. » »

À la question délicate de savoir pourquoi Dieu, s’il existe, rappellerait ses fidèles de manière aussi injuste, Mame n’a pas la réponse. Seulement d’autres questions. « Je ne vais pas mentir, j’ai beaucoup douté. C’est normal quand c’est un être cher qui part, on est tous humains. Cela me semblait si injuste, parce que ma mère avait toujours été à mes côtés. » Il marque une pause. « Elle me répétait toujours que rien n’arrive sans raison dans la vie, et que quoi qu’il arrive, il fallait embrasser son destin. » Alors Mame a continué à avancer, sous la pluie anglaise. « Et j’espère que Dieu va me donner la force de continuer encore. »

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