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On a lu La nuit des maudits

Par Florian Lefèvre
On a lu La nuit des maudits

Il y a vingt ans, au soir du 22 mai 1998, le sélectionneur des Bleus, Aimé Jacquet, annonce à six des vingt-huit joueurs présélectionnés qu’ils ne disputeront pas le Mondial 1998. Ancien journaliste au Parisien, Karim Nedjari a retracé cette nuit maudite où Nicolas Anelka, Ibrahim Ba, Lionel Letizi, Martin Djetou, Sabri Lamouchi et Pierre Laigle ont vu leur rêve se briser.

En 2009, SO FOOT consacrait un article aux six Bleus exclus par Aimé Jacquet avant le Mondial 98. Six types under est à retrouver dans le numéro #67 et dans le livre SO FOOT – Les années 1990 : buts en or & hit machine. L’entraîneur des gardiens des Bleus, Philippe Bergeroo, y révèle notamment que le staff « savait plusieurs jours avant la date butoir qui allait rester et qui allait partir » . Les bannis y déplorent les explications maladroites du sélectionneur ( « Il nous disait qu’on était gentils, qu’on s’était bien entraînés… » ). La nuit des maudits de Karim Nedjari fait le récit de ces heures de route mélancoliques qui ont suivi la sentence du sélectionneur.


Il est 21h30 ce vendredi soir au château de Clairefontaine. Six chaises vides sont disposées dans la chambre quinze du rez-de-chaussée, celle du sélectionneur. Au bout du couloir, six joueurs tricolores présélectionnés deux semaines auparavant pour disputer la Coupe du monde en France partent à l’échafaud. Accompagné de son staff, Aimé Jacquet a convoqué Nicolas Anelka, Ibrahim Ba, Lionel Letizi, Martin Djetou, Sabri Lamouchi et Pierre Laigle pour leur signifier que la Coupe du monde se jouerait sans eux – mais leur demande tout de même de suivre une préparation physique en cas de blessure de l’un des vingt-deux élus. Comme son boucher de père, le Stéphanois a tranché dans le vif. Le choc est terrible. « C’est le syndrome du gagnant du loto. Vous rêvez de tout ce que vous allez pouvoir faire et d’un seul coup, vous perdez le ticket. Eux, ils ont rêvé de cette Coupe du monde pendant quinze jours de préparation » , image le journaliste Karim Nedjari, auteur de La nuit des maudits, un livre qui raconte le spleen, la solitude et même parfois la dépression vécus par les six bannis. Un bouquin qui n’aurait pas existé sans le triomphe des Bleus 3-0 contre le Brésil en finale du Mondial.

« Pour qu’il y ait des maudits, il faut qu’il y ait des héros, et sans les héros, l’histoire n’existe pas » , résume l’auteur, maudit lui aussi. Comme il le raconte dans le premier chapitre, Karim Nedjari travaille à l’époque au Parisien et c’est son tour de garde ce vendredi 22 mai 1998, au cas où Jacquet ferait enfin tomber le suspense. Mais il est déjà endormi quand Mouss Mazouz fait chauffer son téléphone. Au bout du fil, Mazouz, l’agent et ami d’Ibrahim Ba, bombarde au volant de sa BMW, direction Clairefontaine rejoindre son protégé. Ibou et les cinq autres veulent partir vite et loin. Jacquet, lui, croyait naïvement que les bannis allaient dormir au château et prendre le petit-déjeuner avec le groupe avant l’annonce officielle à la presse en fin de matinée. « Il a une telle idée du patriotisme qu’il pensait que les joueurs ne seraient pas si déçus » , confie Karim Nedjari. En vérité, Anelka, Ba, Letizi, Djetou, Lamouchi et Laigle ne sont pas déçus, ils sont anéantis.

Les larmes, l’alcool et les tours dans Paris

Les bannis vont vivre la plus noire des nuits blanches. Presque détaché de la situation, Anelka se fait raccompagner à Trappes à l’arrière de la BMW de Mouss Mazouz. Lundi, il a déjà calé une heure de conduite en vue de passer son permis. Plutôt que de continuer le trajet vers l’appartement de ses parents à Barbès, Ba demande à Mazouz « de poursuivre sa route au hasard des rues endormies de la capitale » . Mazouz raconte : « Nous avons roulé des heures sans but. » Châtelet, Montparnasse, Opéra… Dans un troquet parisien, Djetou se prend une cuite. Le lendemain aussi, et le jour d’après, et encore d’après… Version confirmée par Djetou himself : « Je suis resté une semaine à Paris. Tous les jours, je rentrais à 6h du matin, ivre mort, défoncé à l’alcool. » Lamouchi, lui, erre dans la capitale avec un pote dont il ne se rappelle plus le nom : « J’avais l’impression d’être un boxeur coincé par un poids lourd dans un coin du ring. J’étais K-O, retenu par les cordes avec un adversaire qui continue de cogner, de cogner et de cogner encore. »

Pendant ce temps-là, les yeux rougis par les larmes, Laigle vit 300 kilomètres de solitude, comme le titre du chapitre où le Ch’ti raconte son retour vers son Pas-de-Calais natal, entre tristesse et culpabilité en songeant à tous les sacrifices réalisés par ses parents pour sa réussite. « Je n’oublierai jamais les yeux de ma mère. Elle a été profondément marquée.(…)J’avais beau lui expliquer, elle ne comprenait pas mon exclusion. » À l’Est, Lionel Letizi rentre à Metz avec un troisième larron dans son taxi. Le visage si pâle du gardien inquiétait tellement Henri Émile, que l’adjoint de Jacquet a demandé à l’agent de sécurité des Bleus issu du groupe de protection de la police nationale (GPPN), de faire le trajet avec le Messin. Letizi : « Je suis arrivé, cuit. J’ai ouvert la porte et je me suis retrouvé devant le boîtier de l’alarme. Impossible de me rappeler le code. La sonnerie a retenti en pleine nuit, réveillant tout le quartier. »

Des cicatrices et des destins brisés

Vingt ans après, que reste-t-il de cette nuit du 22 au 23 mai 1998 ? Des cicatrices. Lionel Letizi regrette de ne pas avoir attiré la lumière médiatique quand il le fallait ; la débâcle sud-africaine reste le seul souvenir de Nicolas Anelka en Coupe du monde ; Pierre Laigle vend des parcelles de terrain dans la banlieue lyonnaise et voit dans sa carrière un « porteur d’eau » . Il en reste aussi des destins brisés. Martin Djetou a connu une descente aux enfers entre salaires impayés en Italie et Pôle emploi ; la pépite de l’AC Milan Ibrahim Ba n’a plus joué qu’une petite dizaine de matchs officiels après l’été 1998 ; Sabri Lamouchi a vécu une dépression de presque trois ans et refusé en 2017 le poste de sélectionneur de l’équipe de France espoirs pour fuir les démons de Clairefontaine. Au petit matin qui suivait La nuit des maudits, Lamouchi compostait son billet de train sur un quai de la gare de Lyon à Paris : « Si mon épouse, enceinte, ne m’avait pas attendu à Alès, j’aurais pris un billet d’avion pour le bout du monde. »

La nuit des maudits, par Karim Nedjari, éditions Fayard, 18€

Dans cet article :
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Par Florian Lefèvre

Propos de Karim Nedjari recueillis par FL, toutes les autres citations sont issus de La nuit des maudits.

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