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OM/PSG sur Canal+ : la fausse bonne idée ?
C’est le président de Canal+ qui l’a annoncé sur son compte Twitter mercredi : le Classico OM-PSG sera diffusé sur la chaîne cryptée. C’est le retour de l’affiche du dimanche soir sur Canal. Bonne nouvelle pour les abonnés... mais pas vraiment pour le football.
Depuis lundi et l’échec de l’appel d’offres exceptionnel, la Ligue devait trouver une solution. Elle avait maintenu la diffusion des matchs sur la chaîne Téléfoot, malgré la rupture du contrat entre elle et Mediapro, et subissait les foudres de Canal+, qui avait attaqué la procédure de vente auprès de l’autorité de la concurrence. Vincent Labrune s’était donné 48 heures pour trouver une solution, il en allait de la survie pure et simple du football français : sans aucune recette droits TV, avec des stades vides et des revenus commerciaux exsangues, les risques de faillite s’accumulaient dangereusement. Il avait alors décidé d’entamer des procédures de gré à gré, autrement dit, des négociations directes avec les partenaires sur les lots de Mediapro. L’objectif était de pouvoir, a minima, dégager des liquidités rapidement, obtenir des fonds, même sur la seule fin de saison ou quelques journées.
Seulement, ce protocole était encore inédit dans le football français et on ne savait pas vraiment comment cela allait se passer. Rien n’est précisé ou indiqué dans le règlement officiel de la LFP, et la loi, à travers le code du sport, impose que les droits de diffusion soient mutualisés afin de garantir un partage des dotations équitable. Ainsi, par déduction, le gré à gré ne devait concerner que les lots invendus lors du dernier appel d’offres, peut-être sur toute la fin de saison. D’ailleurs, il y a quelques semaines, lorsque la fin de Téléfoot avait été actée pour le 31 janvier, France Télévision, M6 et TF1 s’étaient positionnés pour diffuser le Classico OM-PSG du 7 février. Une source proche du dossier avait déclaré qu’il ne s’agissait que d’une « posture communicationnelle », un moyen de satisfaire la réputation des trois chaînes… mais que la Ligue n’avait reçu aucune proposition écrite et officielle et que, bien évidemment, puisque les droits sont mutualisés, « on ne pouvait acheter que par lot et non par club ». Pourtant, cette philosophie a évolué depuis mercredi ! Canal+ s’est octroyé les droits en codiffusion du seul match OM-PSG. Pour la modique somme de 3 millions d’euros, selon le média Les Jours, le match phare de la 24e journée sera sur la chaîne cryptée. La boîte de Pandore a été ouverte, le loup est entré dans la bergerie, c’est le début de la segmentation et de l’individualisation des droits.
Un geste envers Canal+ ?
Pour beaucoup, cette annonce a surtout comme intérêt, au-delà de garantir la diffusion de la rencontre à un public bien plus large que les seuls 300 000 abonnés Téléfoot, de satisfaire Canal+ et Maxime Saada en pleine période de négociation des droits TV. C’est un moyen de dire « continuez à être le partenaire historique et positionnez-vous sur les lots. La preuve, nous vous accordons la diffusion du Classico pour seulement 3 millions d’euros ». D’ailleurs, d’après Étienne Moatti, journaliste à L’Équipe, « la Ligue avait concrètement reçu des propositions chiffrées de nombreuses chaînes pour ce seul match, parfois à des montants supérieurs, mais a choisi Canal, en prévision des futures négociations ».
Seulement, l’autre effet de ce choix est d’acter, par jurisprudence, l’individualisation des droits, la possibilité faite et accordée de pouvoir choisir non plus la diffusion par lot, mais par club, par match et rencontre spécifique. Avec cette décision, les diffuseurs – Canal+ comme tous les autres – découvrent qu’ils ont le droit de demander non pas les lots A, B ou C, mais les lots Paris Saint-Germain, Olympique de Marseille ou Olympique lyonnais. Voire même seulement les derbys Lyon-Saint-Étienne ou les affiches particulières. Aujourd’hui, par du gré à gré, Marseille-Paris sur Canal+, et demain ? Paris-Monaco du 21 février sur TF1 ? Marseille-Lyon du 28 février sur M6 ? Et tous les autres ? Qui voudra des Dijon-Metz ou des Nîmes-Brest ? Et surtout à quel prix ?
Si les grandes affiches sont prisées et vendues à plus de 3 millions d’euros, à combien seront vendues les rencontres moins prestigieuses et moins médiatiques ? Et s’il n’y a pas de repreneur, doit-on en déduire que ce sera écran noir ? Ou ces rencontres seront-elles maintenues gratuitement sur Téléfoot ? La chaîne du foot restera-t-elle encore en ligne toute la saison, comme cela a été évoqué cette semaine ?
Une croissance probable des inégalités
Autre point d’inquiétude : le partage des droits TV. Car, avec ce début d’un semblant d’individualisation, qu’adviendra-t-il du partage et de la redistribution ? Pour l’instant, et cela est inscrit dans la loi, on le répète, les droits sont mutualisés et assurent une dotation équitable avec une part égalitaire à 50%. Seulement, si les droits peuvent être vendus par club, individuellement, cela va fatalement donner l’idée aux grosses équipes d’exiger plus. Si Lyon, Paris et Marseille trustent 70 à 90% des audiences, il sera logique, selon eux, d’exiger l’équivalence en droits TV et de toucher 70% des droits.
C’était précisément le souhait de Jean-Michel Aulas, le président de l’OL, dans une interview donnée au quotidien économique Les Échos, le 4 décembre dernier : « On pourrait imaginer[…]une répartition des droits plus conforme à la réalité économique, avec des recettes liées aux audiences de chacun. » Pour quelle(s) conséquence(s) ? Si les écarts grossissent entre les trois géants médiatiques et tous les autres, à quoi ressemblera notre championnat de France dans quelques années, post-crise économique ? Quel sera intérêt de suivre une ligue avec trois équipes touchant jusqu’à 70% des droits et toutes les autres ne récupérant que des miettes ? Est-ce l’intérêt de la Ligue 1 française d’assurer un spectacle en souffrance et inintéressant ? Comme quoi, si elle est forcément réjouissante sur le coup pour les abonnés, la solution trouvée pour diffuser le Classico de dimanche sur Canal+ fait surtout naître un nombre considérable d’interrogations pour le moins inquiétantes…
Par Pierre Rondeau