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Olivier Giroud, statut de sir
Pour la première fois depuis l'Euro, Olivier Giroud, rappelé pour pallier le forfait de Karim Benzema, est de retour à Clairefontaine. Problème : à en croire Didier Deschamps, de passage en conférence de presse lundi, imaginer voir les deux attaquants dans la même pièce s'apparente de plus en plus à une utopie. La raison ? Un sac de nœuds que le sélectionneur range sous une histoire de « statuts ».
Il suffit de suivre les entrées et les sorties au musée Grévin pour s’en rendre compte : les statues et les statuts sont deux mots aussi proches orthographiquement que symboliquement. Quand la réplique de Cyril Lignac faisait son apparition mi-janvier dans la collection parisienne, pour entériner encore peu plus le concept du « gourmand croquant » si cher aux Français et aux téléspectateurs de M6, celle de Vladimir Poutine, elle, était démembrée quelques semaines plus tard, pour les raisons que vous connaissez. Certains parleront de culture de l’instant, d’autres avanceront pragmatiquement que les murs d’un musée ne sont pas toujours extensibles, mais les plus fins observateurs reconnaîtront que ces allées et venues sont seulement calquées sur les aléas du temps et de la société. C’est comme ça, et c’est aussi valable pour le football de sélection. Olivier Giroud et Karim Benzema en sont la preuve vivante.
Dans cette grande exposition qu’est l’équipe de France, les places sont tout aussi chères et, depuis que le Lyonnais et le Savoyard fréquentent la maison bleue, c’est le même jeu de chaises musicales qui s’y dispute. Certes, les deux bougs ont bien partagé 19 sélections et la bagatelle de 598 minutes communes, mais leurs histoires internationales respectives s’écrivent en miroir. Olivier Giroud s’est ainsi taillé son costume de bomber n°1 de la génération Deschamps pile au moment où le Madrilène en a été banni pour des affaires extra-sportives, avant que le premier ne rentre dans le rang dès le retour acté du second, à la veille de l’Euro. Au mieux, les deux se sont effleurés, le temps d’une tape dans la main pour un remplacement, le champion du monde ayant systématiquement pris la suite de Benzema, dont deux fois sur blessures*, lors de ses rares apparitions estivales. Rebelote cette semaine pour la rentrée 2022 des Bleus : il a fallu attendre le forfait du bourreau du PSG pour voir le Milanais de 35 ans être enfin rappelé par Didier Deschamps. Une convocation que ce dernier avoue être « évidemment liée à la blessure de Karim ».
Chambre à part
Faut-il donc faire une croix sur une future cohabitation entre ces deux grands champions, que finalement rien n’oppose vraiment à part de vieilles légendes urbaines à base de F1 et de karting ? Si l’on ne s’en tient qu’au terrain, les deux hommes n’ont rien d’incompatible, et on aurait bien pu les imaginer combiner pendant de longues saisons en pointe. Mais ce qui coince dans cette collab’, d’après les propos de Didier Deschamps ce lundi en conférence de presse, c’est une histoire de « statut ». « Pour un joueur qui a un statut et qui a mérité de l’avoir, s’il se retrouve avec moins(d’importance, de crédit, de temps de jeu, de confiance, d’exposition, etc.)tout en restant dans le groupe, c’est très difficile à vivre, pour ne pas dire impossible, expliquait le sélectionneur ce lundi à Clairefontaine. Ça peut avoir des conséquences psychologiquement, sur lui-même et sur le groupe aussi. » Les mots sont aussi forts que confus, mais traduisent tous la même idée : « Olivier a fait partie de cette équipe de France qui a été très performante. Elle a été aussi très performante sans lui. C’est un joueur qui est resté sélectionnable, il fait partie des 23 pour ces deux matchs-là, ne me demandez pas pour le futur. »
Par ces déclarations, Didier Deschamps exprime plusieurs choses sans les dire frontalement. D’abord, avec Benzema et Giroud dans une seule et même liste, il y aurait toujours un coq de trop dans la basse-cour des attaquants. « Il y a la concurrence évidemment. Ce n’est pas seulement :« Si c’est Karim, ce n’est pas Olivier. »Ça va plus loin que ça », piétinait le Basque, comme s’il marchait sur des œufs. Ensuite, cela confirme à demi-mot qu’Olivier Giroud n’avait pas particulièrement bien vécu son déclassement pendant l’Euro. Ainsi, les images d’un Giroud tendu, voire renfermé, lors des séances de décrassage à Munich et Budapest s’expliquent sous un autre jour. Enfin, cela suppose aussi toute l’estime et le respect que Didier Deschamps accorde à son vieux soldat. Il sait ce qu’il lui doit de toutes les campagnes passées, et voir ce cadre vivre sa fin d’aventure comme un vulgaire roi Lear n’est humainement pas acceptable pour lui. En d’autres termes, les anciens combattants ne servent pas de décor : on les décore.
Faire mentir l’histoire
Pour se justifier, Didier Deschamps s’est appuyé sur « l’historique », sans pour autant donner de noms. De grands joueurs internationaux auraient précédemment mis en difficulté l’institution à cause de leur rétrogradation dans le groupe France. De tête, il y aurait l’exemple de Thierry Henry pendant la Coupe du monde 2010. Si c’est le cas auquel pensait Deschamps, il se trompe sur un point essentiel : le recordman de buts en équipe de France a traversé toute sa carrière dans la position de titulaire indiscutable, et ce, partout où il a sévi. À l’inverse, Giroud, qui rêve toujours de recoller aux 51 buts internationaux d’Henry (il est aujourd’hui à 46 pions, NDLR) et attend de pouvoir s’expliquer frontalement avec son capitaine de navire, a expérimenté à plusieurs reprises la concurrence féroce, les doutes et les matchs passés en tribune. C’est son histoire. Et il se trouve qu’il a toujours trouvé les ressources et les opportunités pour s’en défaire, comme cette Ligue Europa qu’il avait fait sienne lorsqu’il était le deuxième choix de Sarri à Chelsea ou la dernière campagne de Ligue des champions où il avait brillé malgré son dossard de troisième option dans l’esprit de Lampard puis Tuchel. Des Blues qu’il avait d’ailleurs rejoints pour gratter le temps de jeu qu’il avait perdu à Arsenal – un club où là encore son statut avait été égratigné. Idem cet été : s’il a mis les voiles vers l’AC Milan, c’est justement pour répondre encore et toujours aux critères de sélection, tout en sachant qu’il faudrait prendre la concurrence de Zlatan Ibrahimović à bras-le-corps. Encore un succès de ce côté-là.
Bref : Giroud est un combattant qui ne lâchera jamais. Avant son retour lundi à Clairefontaine, le « phénix grenoblois » avait rappelé à Europe 1 à quel point sa dévotion aux Bleus lui était chevillée au corps : « L’équipe de France est un fil rouge tout au long de ta carrière. Ça reste du bonus, c’est un cadeau. Ça ne se fait pas de refuser une sélection. Donc si le coach m’appelle, je répondrai présent comme je l’ai toujours fait. C’est pour ça que je n’ai jamais déclaré officiellement que je voulais arrêter. » Au château de Clairefontaine, il a retrouvé son grand pote Hugo Lloris et a déjà pu déplorer les absences de Léo Dubois et Benjamin Pavard, ses autres proches dans le groupe. Mais du haut de ses 110 sélections, il connaît trop bien les ficelles pour se sentir à l’écart. Son interview dans les colonnes de L’Équipe en atteste. « À un moment donné, un statut peut évoluer. Il faut s’avoir s’adapter, jure celui qui se compare à « un caméléon ». Le coach peut compter sur moi. Quel que soit le rôle qu’il me donnera. On verra ce qu’on se dit et de quoi l’avenir sera fait. Pour l’instant, je ne me projette pas plus loin que ces deux matchs, mais je serai toujours présent et disponible pour la sélection. Il y a un deuxième titre de champion du monde à aller chercher. » Face à la Côte d’Ivoire ou l’Afrique du Sud, Antoine Griezmann, fidèle acolyte des belles années, n’aura besoin que de quelques minutes pour retrouver ses automatismes avec lui. Et puis, il n’y aura plus qu’à attendre que Kylian Mbappé daigne cette fois-ci lui adresser ses passes pour se rapprocher du record d’Henry. Pour la suite, qu’il soit remplaçant, complément ou binôme de Benzema au Qatar, laissons le temps à la FFF de pousser les murs pour qu’enfin les deux puissent s’épanouir ensemble.
Par Mathieu Rollinger
* Giroud avait remplacé Benzema contre la Bulgarie (49e) et contre la Suisse (94e) à la suite d'une blessure de Benzema, et contre la Hongrie (76e) pour des raisons « tactiques ».