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Olarticoechea : « En 90, Maradona faisait ce qu’il pouvait, pas ce qu’il voulait »

Propos recueillis par Antoine Donnarieix
Olarticoechea : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>En 90, Maradona faisait ce qu&rsquo;il pouvait, pas ce qu&rsquo;il voulait<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Milieu gauche de l’Argentine, Julio Olarticoechea faisait partie du 3-5-2 concocté par Carlos Bilardo lors des Coupes du monde 1986 et 1990. Si le chapitre mexicain s’est conclu sur des larmes de bonheur, l’édition italienne s’est bouclée par un statut de finaliste au cœur lourd. Entretien rétro avec l’ancien Nantais.

Bonjour Julio ! Avant de replonger dans cette Coupe du monde, raconte-nous d’abord cette préparation au mondial… Est-ce que tu sentais une forme de relâchement liée au fait d’avoir déjà touché le Graal quatre ans avant ? Il y avait la volonté de procéder à un changement générationnel, car nous savions que quoi qu’il arrive, notre statut de champion du monde nous qualifiait d’office pour le prochain mondial. Pendant ces quatre années, Bilardo souhaitait tester des jeunes joueurs comme Roberto Sensini ou Néstor Fabbri pour s’adapter à son système de jeu. Mais ces nouveaux devaient aussi montrer leurs capacités à répondre rapidement aux exigences de Bilardo, sinon il ne les sélectionnait plus. À la fin de l’année 1989, je me souviens que Bilardo avait déjà décidé de sélectionner Néstor Lorenzo pour des raisons extra-sportives. Il était parvenu à passer les douanes britanniques malgré des problèmes de papiers pour rejoindre le rassemblement de l’équipe nationale alors que Caniggia et Traulio n’étaient pas passés pour les mêmes raisons… Cela avait plu à Bilardo de voir autant de détermination. En cela, les échecs durant les Copa América 1987 et 1989 (l’Argentine avait respectivement terminé quatrième et troisième de ses deux éditions, N.D.L.R) étaient dus en partie à ce changement d’effectif. Aussi, les transitions entre clubs et sélection étaient très dures. Je me souviens qu’en 1987, j’avais dû voyager de Nantes à Buenos Aires sans consacrer de temps à ma famille. Mentalement, ce n’était pas la meilleure option, puisque quarante jours d’immersion complète nous attendaient derrière. Je ne parle que de ma propre expérience, mais cela a beaucoup joué dans ma tête.

À titre personnel, tu n’avais joué que cinq minutes durant les trois derniers matchs préparatoires contre l’Autriche (1-1), la Suisse (1-1) et l’Israël (2-1). Comment tu expliques ce faible temps de jeu ? Ce processus de test sur les nouveaux joueurs est en réalité resté d’actualité jusqu’au démarrage du mondial. Bilardo me connaissait, il savait exactement ce dont j’étais capable. Notre travail en tant qu’anciens consistait à accompagner les jeunes, comme nous l’avions fait en Australie en 1988 (défaite 4-1, N.D.L.R). Ces trois matchs amicaux devaient les mettre en route pour le début du tournoi.

Diego ne faisait pas ce qu’il voulait, mais ce qu’il pouvait.

Pour cette Coupe du monde, vos quartiers étaient à Trigoria, dans la banlieue romaine. Comment se passait votre préparation sur place ? C’était compliqué car à la différence de 1986, notre effectif était composé de joueurs blessés ou en méforme physique. Par exemple, Diego Maradona avait des soucis au niveau de sa cheville et cela inquiétait la fédération. Mais il n’était pas le seul : Burruchaga et Giusti avaient des soucis musculaires, Ruggeri souffrait d’une pubalgie et aurait dû se faire opérer en temps normal… Dans le but de protéger son ossature, Bilardo avait décidé que les anciens ne s’entraîneraient que l’après-midi, au contraire du reste de l’effectif qui devait aussi s’exercer le matin.

En train de tacler Roberto Donadoni

Il y avait un peu Diego et les autres. En tant que star de l’équipe, est-ce que tu te souviens si Diego avait droit à un traitement particulier lors de ses entraînements ? Il ne faisait pas ce qu’il voulait, mais ce qu’il pouvait. La vérité, c’est qu’il était très fatigué et qu’il avait besoin de repos, il travaillait souvent seul avec des machines en salle de sport pour réparer son pied et il trouvait cela très frustrant.

Dans le livre Maradona d’Alexandre Juillard, tu expliquais aussi qu’il était « lessivé par sa vie à Naples, ses sorties, la drogue et les voyages ». On ne peut pas vraiment dire non à Diego… Comment se passaient ses sorties à Rome ? De ce que je sais, il se tenait tranquille et n’avait pas le temps de sortir en discothèque. Bien entendu, il avait encore des problèmes personnels à régler dont celui de la drogue, mais les résultats suivaient toujours, car le Napoli venait d’être sacré champion d’Italie. Le souci, c’est que Diego n’avait aucun temps de récupération possible, il devait enchaîner avec le mondial. Et puis bon, tout le monde sait que Diego n’était pas un expert dans le domaine de la préparation physique et l’hygiène de vie… Ce n’était pas un grand professionnel.

La cocaïne, c’était un sujet tabou pour Diego avec vous ? Nous savions très bien qu’il avait un problème là-dessus. Dans nos rapports, je n’ai jamais voulu faire d’allusion à cela avec lui, c’était une thématique très personnelle et sensible. Il avait sans doute plus de facilité à en discuter avec d’autres coéquipiers eux aussi concernés par ce sujet. Plus tard, Batista s’était notamment exprimé publiquement sur cette addiction. En tant qu’athlète, ils se sont rendu compte que cela les desservait plus qu’autre chose. Malheureusement, à l’époque, la cocaïne était un produit très à la mode, il y avait du vice là-dedans.

Sur l’action, je suis très proche du bidon d’eau… La vérité, c’est que je suis très heureux de ne pas avoir bu dedans !

Lors de la défaite face au Cameroun à Milan (0-1), tu n’es toujours pas titulaire. C’est la première fois que l’équipe championne du monde s’incline en match d’ouverture de Coupe du monde. Est-ce que vous vous attendiez à un match aussi surprenant ? Le match d’ouverture réunit à peu près tous les facteurs auxquels un footballeur doit faire face : la pression, l’anxiété, l’attente… Les vétérans avaient été prévenus par Bilardo de son désir de commencer avec les jeunes pour nous laisser plus de temps afin de nous préparer pour les matchs décisifs. Mais parmi les jeunes joueurs en place lors de ce match, plusieurs d’entre eux ont mal géré cette pression. Cette défaite a tout remis en question. Nous n’avions plus le droit à l’erreur, et Bilardo effectue cinq changements dans le onze de départ contre l’URSS. Je me souviens encore de sa phrase mythique avant le deuxième match : « Si nous perdons ce match-là et que nous rentrons en Argentine éliminés dès le premier tour, je préfère que l’avion s’écrase plutôt que de mettre un pied dans l’aéroport à Buenos Aires ! » Tu voyais dans ses yeux qu’il était sincère. Même si j’ai malheureusement blessé notre gardien Pumpido (remplacé par Sergio Goycochea, N.D.L.R.), nous l’avons emporté. Sans ce match d’inauguration qui s’est quand même terminé à neuf contre onze, penses-tu que nous aurions assisté à un Mondiale aussi violent et défensif ? En ce qui nous concerne, cela nous a tout de suite mis le couteau sous la gorge. Après le Cameroun, nous avons dû affronter de nombreuses équipes qui nous attendaient pour jouer la contre-attaque à plein régime. Par exemple, j’ai le souvenir que la Roumanie était une équipe de ce type, très roublarde et capable de profiter d’un moment d’inattention. De fait, nous avons dû nous adapter et rester sur nos gardes, car cela s’est joué à chaque fois de façon très serrée quand tu observes nos résultats.

Contre le Brésil, il y a cette fameuse histoire du bidon d’eau au somnifère que Branco aurait bu durant le match, une version que Bilardo n’a jamais confirmée, mais jamais infirmée non plus. Qu’est-ce que tu sais de cette histoire ? Il y a parfois des choses qui ne doivent pas sortir du vestiaire, mais qui finissent tout de même par se savoir parce qu’il y a un désaccord avec certaines stratégies. Je faisais partie de cette catégorie, car je n’aime pas gagner de manière aussi polémique. Sur l’action, je suis très proche du bidon d’eau… La vérité, c’est que je suis très heureux de ne pas avoir bu dedans ! (Rires.)

L’unique but du match se fait grâce à la connexion Maradona-Caniggia. Comment expliquer qu’ils étaient particulièrement proches ? Quand deux artistes collaborent sur le terrain, il n’y a pas besoin de beaucoup de temps pour comprendre qu’il existe une interaction particulière. Tu sens qu’ils étaient capables d’exploiter le moindre espace pour faire la différence. Sur la fameuse action qui amène au but, le commentateur sent le but arriver, il y a une forme de fluidité. Même en dehors de l’entraînement, Diego et Claudio partageaient beaucoup de temps ensemble durant la concentration du mondial. L’un allait dans la chambre de l’autre, et vice versa. Cela participait à les rendre encore plus compatibles.

Quand j’avais besoin d’écouter un nouveau disque, je passais dans la chambre de Diego. C’était une vraie discothèque, il avait tout.

Concrètement, comment se passait votre temps libre ? Ah, c’était agréable… Nous avions le droit de voir notre famille une fois par semaine, cela nous permettait d’organiser des repas collectifs dans un esprit de fête. Le reste du temps, nous avions le droit d’aller faire quelques courses privées. J’aime bien la musique, donc j’ai acheté quatre ou cinq CDs pour les écouter dans ma chambre ensuite. Diego était fan de musique, il affectionnait particulièrement la cumbia. Mais il avait acheté plus de cinquante albums ! Quand j’avais besoin d’écouter un nouveau disque, je passais dans sa chambre. C’était une vraie discothèque, il avait tout. Je lui empruntais, j’enregistrais ce que j’aimais et j’en offrais aussi aux autres coéquipiers. J’étais un peu le disc-jockey ! (Rires.) Dans mes disques préférés, j’aimais bien Phil Collins. J’ai d’ailleurs son concert live à Paris en 2004, je le garde précieusement.

Vous battez la Yougoslavie à Florence en quarts, puis lors de la demi-finale contre l’Italie à Naples, tu donnes le ballon d’égalisation à Caniggia. Quel sentiment tu ressentais sur la pelouse à ce moment-là ? Nous nous sentions capables de le faire, malgré toute cette ambiance très hostile envers nous. Ces sifflets nous transcendaient pour aller chercher ce que tout le monde ne voulait pas voir se produire dans le stade. C’était vraiment incroyable, car toute la presse italienne donnait l’Italie championne du monde avant l’heure… J’avais pris un carton jaune contre la Yougoslavie et Bilardo, en prévision de la demi-finale, m’avait fait sortir pour que je ne sois pas expulsé. Finalement, nous avons réalisé notre meilleur match du tournoi ce soir-là. D’une certaine manière, nous nous sentions champions du monde. Quand l’arbitre siffle la fin du match, j’ai senti un stade sous le choc. Perdre un mondial à domicile quand tu es l’Italie, c’était une douleur terrible. J’ai le souvenir qu’au retour du bus à Trigoria, des fans italiens nous attendaient dehors pour nous insulter et montrer leur rage. Cela allait au-delà du football, c’était une question d’honneur pour une partie de l’Italie réfractaire à Maradona.

Entre la demi-finale et la finale, Lalo, le petit frère de Diego, s’était fait arrêter au volant de l’une de ses Ferrari sans les papiers du véhicule. Maradona avait dû intervenir face à la police… Est-ce que cela a perturbé Diego pour aborder ce dernier match ?Non, ce n’était pas assez grave pour influer sur le mental de Diego. Il était juste trop cuit physiquement après une saison marathon. Cela s’est passé à 200 mètres de notre centre d’entraînement. La police était censée nous protéger, mais cette fois-ci, ils avaient décidé de coller une amende… J’ai entendu parler de cette affaire après coup.

Sans Diego, nous sommes tous japonais. Diego savait faire la différence, et sans lui, l’Argentine était voué à sa perte.

Tu as terminé ta Coupe du monde comme tu l’avais commencée : sur le banc de touche. Qu’est-ce que tu retiens de cette finale contre l’Allemagne ? Comme Giusti, Batista et Caniggia, j’avais pris un deuxième avertissement contre l’Italie et j’étais suspendu. Quatre joueurs de ce calibre en moins, c’était un énorme handicap. Nous étions affaiblis entre les absences et la fatigue, sans oublier le soutien unanime de l’Italie envers l’Allemagne. Les problèmes physiques que nous connaissions en début de tournoi s’étaient amplifiés, Ruggeri avait dû sortir à la mi-temps, car son corps ne pouvait plus suivre… Globalement, nous ne sommes jamais vraiment entrés dans ce match.

Finalement, l’Argentine est vice-championne du monde sans aucun but de Maradona… Quand vous avez entendu dire qu’il avait porté le maillot de la sélection pour la dernière fois, qu’est-ce que ça vous a fait ? C’était une décision prise sur le coup de l’émotion. Voir Diego terminer sa carrière sur des pleurs, l’Argentine ne pouvait pas l’accepter. Il existe une expression qui dit que sans Diego, nous sommes tous japonais. Diego savait faire la différence, et sans lui, l’Argentine était vouée à sa perte.
Comment s’est passé le retour à Buenos Aires ? C’est sans doute le plus incroyable de tout ce tournoi. Quand nous sommes arrivés à Ezeiza, j’ai vu plus de monde présent à l’aéroport qu’à notre retour en 1986. Notre statut, notre parcours et nos galères avaient ému tellement d’Argentins qu’ils sont venus en masse pour nous remercier des émotions que nous avions pu leur procurer. Normalement, tu mets une demi-heure pour aller de l’aéroport vers le centre-ville en bus. Nous avons mis cinq heures ! C’était comme la fin d’un beau roman.

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Propos recueillis par Antoine Donnarieix

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