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Ode au Roi Stanis, recordman de buts en un match
Ce week-end a lieu le huitième tour de la Coupe de France. L'occasion de revenir sur une page d'histoire folle de la compétition. Lors de l'édition 1942-1943, l'attaquant du RC Lens, un certain Stefan Dembicki, dit Stanis, inscrivait 16 buts lors d'un seizième de finale contre un club amateur. Un record jamais battu depuis.
Pour trois buts marqués en un match, on parle d’un triplé, ou d’un coup du chapeau. Pour quatre buts, il s’agit d’un quadruplé, ou d’un « poker » . Cinq buts, un quintuplé. Mais quel mot utilise-t-on lorsqu’un joueur inscrit 16 buts en un match ? Impossible, aurait-on tendance à penser. Et pourtant, un tel cas de figure s’est déjà produit en match officiel. C’était en plein pendant la Seconde Guerre mondiale, le 11 décembre 1942, lors d’un seizième de finale de Coupe de France entre le RC Lens et les amateurs d’Auby-Asturies, une cité ouvrière voisine de Douai. Ce jour-là, les Lensois, sans pitié, démolissent leurs adversaires et s’imposent 32-0. Si pratiquement tous les joueurs lensois marquent, un élément se détache. Il s’appelle Stefan Dembicki, mais les supporters le connaissent sous le nom de Stanis. Pas un, ni deux, ni trois, ni quatre buts pour lui, mais bien 16 pions. Et comme en géométrie, un polygone à 16 côtés est un hexakaidécagone, appelons-ça un hexakaidécaplé. En plein conflit mondial, c’est une véritable page d’histoire qu’écrit Stanis. En effet, jamais aucun joueur n’avait inscrit 16 buts lors d’un match de niveau professionnel. Et jamais aucun autre joueur, après lui, n’y parviendra.
Le casseur de filet et hareng saur
L’histoire de Stanis est d’autant plus cocasse que, quelques mois avant d’inscrire son hexakaidécaplé, il était… prisonnier de guerre. De fait, lorsque la guerre éclate en 1939 et que le football est mis sur pause, il s’engage pour l’armée française. Mais un an plus tard, en 1940, il est fait prisonnier par l’armée allemande. Il sera détenu pendant près de deux ans, et c’est finalement son ancien employeur, les Houillères du bassin du Nord et du Pas-de-Calais (HBNPC), qui parviendra à obtenir sa libération en 1942, mettant en avant son indispensabilité au nom de l’effort de guerre. Libéré, il retourne à sa vie d’avant et redevient footballeur à Lens, son club depuis 1934. Mais ces évènements semblent lui avoir apporté de nouvelles motivations.
Le championnat de France, qui est alors un championnat de guerre (pas d’attribution de titre national), est divisé en deux groupes : le groupe Nord et le groupe Sud. Lens fait – évidemment – partie du groupe Nord et, avec un Stanis en feu, va littéralement écraser la concurrence. Les Sang et Or vont réaliser une saison 1942-1943 de haute volée, et Stanis n’est pas étranger à cette réussite. Lens termine en tête du groupe Nord avec 13 points d’avance sur son dauphin (alors que la victoire ne valait que deux points), et 98 buts marqués en 30 matchs. Sur ces 98, 41 sont inscrits par le buteur lensois, dont la puissante frappe de balle lui vaut le surnom de « casseur de filet ». C’est dans ces conditions que les Lensois affrontent, en seizièmes de finale de Coupe de France de « Zone interdite » , les amateurs d’Auby-Asturies. Avant la rencontre, Albert Hus, un dirigeant de l’époque, motive ses troupes : « Pour chaque but inscrit, ce sera un hareng saur pour l’équipe ! » Promettre de la bouffe en temps de guerre et de privation de nourriture fut une lumineuse idée. Affamé, Stanis en colle 16, ses coéquipiers aussi, et le soir du match, c’est un festin de 32 magnifiques harengs saurs qui attendent les héros.
Un boulot à la mine, et un nom trop compliqué
Une curiosité demeure toutefois à propos du bien-nommé Stanis. En cette saison 1942-1943, le bonhomme aurait planté, en tout, 76 buts en 40 matchs toutes compétitions confondues. L’année suivante, avec l’EF Lens-Artois (équipe fédérale créée par le régime de Vichy), 48 en 35 rencontres. Soit en deux années, 124 buts en 75 matchs, des statistiques à faire pâlir Erling Haaland. Pourtant, lorsque l’on regarde le classement des joueurs ayant marqué au moins 100 buts dans l’histoire du championnat de France, pas la moindre trace de Stanis. Comment cela se fait-il ?
Retour en arrière : fils de mineur, Stefan Dembicki est né en 1913 à Marten en Allemagne, d’une famille polonaise. Ses parents s’installent en France dans les années 1920 et Stefan, très jeune, part travailler à la mine. Parallèlement, il commence aussi à jouer au football. Joueur trapu (1,72 m pour 80 kg), mais rapide, il fait ses armes à l’AS Sallaumines au début des années 1930, puis rejoint la réserve de Lens en 1935. L’année suivante, il est naturalisé français et intègre l’équipe première, alors qu’il bosse toujours pour les compagnies minières de la région. C’est à ce moment-là que John Galbraith, son entraîneur, décide de le rebaptiser « Stanis », car il trouvait que « son nom était trop compliqué ». Soit. Lens est alors en D2, et la première saison de Stanis chez les pros est un succès : 23 buts en 30 matchs, et un RC Lens qui termine en tête et décroche sa montée.
Lors de sa première saison en D1, il marque 14 buts, puis 16 l’année d’après. Mais son ascension est interrompue par la guerre. Période où, après sa captivité, il va marquer un nombre de buts incalculable, ceux-ci n’étant toutefois pas comptabilisés dans les statistiques officielles. La Division 1 nationale reprend ses droits en 1944-1945, saison au cours de laquelle Stanis marque 17 fois. Suivront deux autres saisons à 18 et 15 buts, avant une relégation en D2 au terme de l’exercice 1946-1947. Stanis ne reverra plus jamais la Division 1. En tout et pour tout, il n’aura donc disputé que cinq saisons officielles dans l’élite du foot français, pour un bilan de 80 buts en 139 matchs. Loin, donc, de ses 225 pions totaux avec le RC Lens.
Les histoires de Père Castor
Une fois les crampons définitivement raccrochés ( « à 36 ans et avec deux côtes cassées », comme il le raconte avec humour lors d’une interview disponible sur le site de l’INA), Stanis retrouve un emploi d’électricien, toujours aux Houillères.
Non loin du stade Bollaert, il tient également, à partir des années 1950, un bar-tabac où les supporters lensois adorent le côtoyer et l’écouter. Le bar-tabac va également servir de billetterie et de siège à plusieurs associations de supporters sang et or. Et c’est toujours avec plaisir et nostalgie que Stanis racontait aux plus jeunes ses exploits, et notamment ces 16 buts inscrits un jour de décembre 1942. « Nous n’avons fait qu’attaquer et shooter ! Toute la ligne offensive marqua, sauf Siklo (Ladislas Smid, NDLR). Pourtant, chacun de nous fit le maximum pour lui permettre de sauver son honneur. Le meilleur joueur adverse ? Le gardien ! » Décédé le 22 septembre 1985, Stanis demeure, 36 ans après sa mort, le recordman absolu du nombre de buts marqués en un seul match pro. Et qu’on se le dise : ce record-là n’est pas près de tomber…
Par Éric Maggiori