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Nicollin, mon taulier, ce héros…

Par Rico Rizzitelli
Nicollin, mon taulier, ce héros…

Le président historique de Montpellier est mort ce jeudi à la suite d'un malaise cardiaque dans un... restaurant gardois. Retour sur la vie romanesque d’un dirigeant unique où les paradoxes et les contradictions tiennent une place de choix.

Comme Stéphane Paille, Louis Nicollin aura eu le mauvais goût de mourir le jour de son anniversaire (dommage pour lui), et comme pour l’ancien Sochalien, la nouvelle est tombée en fin d’après-midi (dommage pour nous). Tout le monde n’a pas l’opportunité de s’en aller à l’aube, façon David Bowie. Le président historique du Montpellier la Paillade Sport Club (74 ans) semblait tellement increvable qu’il n’est même pas sûr que les gazettes sportives du pays aient prévu des nécrologies à l’avance. Pour les moins de cinquante ans, « Loulou » est dans le game depuis toujours, une balise indéracinable du foot français, au flow irrépressible. « Il voulait souvent avoir raison et alors le moteur s’emballait, se souvient Pierre Mosca, l’ancien entraîneur de Montpellier (1987/89). Quand il était allé trop loin et qu’il se retrouvait seul, il se sentait tout mal. »

Il rate son bac trois fois et fréquente les prostituées

L’existence de l’ancien président de la Fédération française de joute et de sauvetage nautique (sic) a suivi jusqu’au bout le sillage paternel, dont il disait que « sa manière de parler faisait honte à [s]a grand-mère » . Né dans la Drôme, Nicollin grandit à Saint-Fons, de l’autre côté du périph’ lyonnais, à quelques encablures de Gerland. Son père Marcel le destine à reprendre le business familial, une entreprise de ramassage de poubelles, fondée en 1949. Viré de chez les jésuites en 4e, il intègre le cours Pascal, une boîte privée qui prépare au bac où il échoue trois fois. Il préfère traîner dans la rue et fréquenter les prostituées du coin. « Nos pères se connaissaient et on était potes depuis l’enfance. Je suis comme né dans le groupe Nicollin. Tous les étés, le sien le collait au cul des camions pour charger les poubelles à 4 heures du matin » , assure Gilbert Varlot, entré en « religion » depuis 1964 et ancien DG du troisième groupe du secteur (300 millions d’euros de chiffre d’affaires et 5000 salariés aujourd’hui). « L’ironie, c’est que ce samedi 1er juillet, ça aurait fait cinquante ans jour pour jour que nous sommes arrivés à Montpellier. On y a fait nos vies, on s’est mariés, nos enfants y sont nés » , poursuit-il la voix cassée. Descendu pour développer l’entreprise, le duo se pique bientôt de balle ronde et monte une équipe corpo en 1969, la Formation sportive de nettoiement (!), qui devient bien vite championne de France. « À ce moment-là, Montpellier, c’était un peu le désert, rappelle Jacky Novi, international et figure historique du Nîmes Olympique, le club phare de la région et rival historique. Ils sont vraiment partis de rien. »

En août 1974, le club corporatif fusionne avec le Montpellier-la Paillade Sport Club Littoral, un club de DH en déshérence qui joue à la Mosson, « en plein cœur d’une cité de 30 000 habitants. Un peu comme si l’OL jouait à Vénissieux » , s’emballe Gilbert Varlot, le natif de Saint-Fons (Rhône). S’ensuivent une multitude d’exploits en Coupe de France (dont une demi-finale en 1980 après l’élimination des Verts de Platini) et des montées : en D3 en 1976, en D2 en 1978, puis la D1 en 1981. « La montée en puissance de la Paillade a coïncidé avec l’émergence de Georges Frêche à la mairie de la ville (1977-2004). Si les débuts ont été un peu difficiles, les deux hommes se sont vite retrouvés sur leurs ambitions pour la ville » , se souvient Pierre Mosca. L’accès au paradis ne dure qu’un an, le temps de goûter à un fruit longtemps convoité avant de redescendre au purgatoire. Qu’importe, l’expansion de la métropole languedocienne autour d’Antigone et du quartier d’affaires du Millénaire booste les velléités de l’ancien Lyonnais. La Paillade reste encore cinq ans en D2, mais Nicollin est déjà un hiérarque du foot français. À la fin de la décennie, il devient même un temps l’intendant de l’équipe de France de son ami – et sélectionneur – Michel Platini. « Il ne laissait personne derrière, avance René Girard, le Gardois qui mènera le club au titre de champion en 2012. Comme Claude Bez (le président de Bordeaux des années 1980, ndlr), c’était un gars entier, brut, qui disait ce qu’il avait à dire sans s’occuper des conséquences. Un type un peu vieux jeu avec qui il suffisait de se taper dans la main et qui n’avait qu’une parole. Cela ne les a pas empêchés tous les deux de réussir dans le monde moderne. »

Le calva avec les éboueurs, la bise à Mitterrand

Jusqu’au bout, Louis Nicollin sera resté un paradoxe ambulant : un gars de la petite bourgeoisie lyonnaise qui a fait prospérer l’entreprise familiale de ramassage de poubelles de façon exponentielle sans jamais vraiment être accepté par la nomenklatura du 6e arrondissement ou des grandes artères de la presqu’île, entre Rhône et Saône ; un chef de meute caractériel qui ne cesse de se réconcilier avec les siens et un patron façon IVe République toujours à la recherche du consensus ( « mon père m’a toujours appris à partager le gâteau avec ceux qui ont contribué à sa réussite » , disait-il) ; un franc-maçon simultanément brutal et florentin, aussi à l’aise avec les éboueurs de son entreprise pour boire un calva au matin qu’à claquer la bise à François Mitterrand, un soir de finale de Coupe, en dehors de tout protocole ; un mécène discret et désintéressé et un homme de réseau, condamné trois fois par la justice entre 1996 et 2003 à de la prison avec sursis et à de lourdes amendes. Un dirigeant capable de traiter Pedretti de « tarlouze » , avant de signer un partenariat avec le Paris Foot Gay ; un président atrabilaire et injuste avec ses entraîneurs le jour ( « d’une fidélité absolue » , contredit Henryk Kasperczak, coach dans l’Hérault entre 1990 et 1992) et un homme « délicieux qui aimait bien passer pour un gros lourd » , selon un proche, la nuit. Sa façon à lui d’être élégant, sans doute. Mieux, le plus vieux président de club de football professionnel en exercice jusqu’à hier, Montpelliérain d’adoption et de cœur, a quitté la scène à Garons, dans les faubourgs de… Nîmes. Comme si le destin se plaisait à rappeler tout ce que Nicollin et Montpellier doivent à la cité gardoise. Des premiers joueurs enrôlés dans l’équipe corpo (Betton, Auger…) jusqu’aux innombrables Crocodiles qui ont contribué aux montées de la Paillade dans les 70’s (Ouattara, Landi, Luizinho… en passant par les internationaux nîmois Mézy et Vergnes). Plus fort encore, c’est l’entraîneur franco-algérien Kader Firoud (dix-huit années dans le Gard entre 1955 et 1978) qui fait monter la Paillade en 1981 ; c’est Michel Mézy qui lui donne son premier titre, la Coupe de France 1990 ; c’est enfin René Girard, son successeur dans les cœurs gardois la décennie suivante, qui offre à Montpellier son premier titre de champion de France en 2012. « Des Nîmois dans le contexte montpelliérain, c’est peut-être le cocktail parfait » , évalue ce dernier.

Des punchlines et un barbecue au Koweït

Peut-être n’y avait-il plus de place pour Louis Nicollin dans le monde d’Emmanuel Macron, des présidents-délégués en costards Gucci ( « il les exécrait » , selon le même proche) et des actionnaires lointains, forcément de passage. À l’heure de Bielsa, Ranieri, Emery ou des Garcia, lui embauche Michel Der Zakarian. Sa manière à lui d’être fidèle à l’héritage de son père, marchand de charbon à la fin des années 1940 devenu par la grâce (?) d’une grève des éboueurs à Lyon, patron du ramassage des déchets auprès du maire de la ville, Édouard Herriot. « Il avait coutume de dire que Montpellier avait été la dernière équipe française championne de France » , racontent de concert Varlot et Girard. Pas sûr que le titre de l’AS Monaco, le mois dernier, l’ait fait changer d’avis.

De Louis Nicollin, on se souvient d’innombrables punchlines, mais aussi de coupures de presse sépia et d’images plus ou moins lointaines : le « Loulou » affûté qui présente le duo Paille-Cantona à l’été 89 qui doit tout casser (il renouvellera l’opération dix ans plus tard avec Loko-Pedros-Ouédec, sans plus de succès) ; celui qui régale devant un barbecue lors de la tournée des Bleus au Koweït un an plus tard ; le président qui intime à ses joueurs d’arrêter d’applaudir les joueurs d’Auxerre, vainqueurs de la Coupe de France 94 ; son interview le soir du titre 2012 à Auxerre, pendant l’interruption du match après la victoire du PSG, où les minutes les plus importantes de sa vie s’égrènent lentement jusqu’à la délivrance ; celui qui trône dans sa manade à Marsillargues (Hérault), acheté avec l’argent de Suez quand il a vendu 36% de son groupe en 1992 et où il a pu installer son musée perso du sport et tant d’autres encore. « De toutes les pièces de son musée, innombrables, celle dont il est le plus fier, c’est une photo de lui lors de la finale de la Coupe de France avec un drapeau lyonnais où il fête la victoire de l’OL de son pote Fleury Di Nallo contre Nantes, le champion de France » , rapporte un ami.

Bigger than life

Toute sa vie, Louis Nicollin aura cherché à brouiller les pistes, à dissimuler on ne sait quel démon. Sa femme Colette expliquait dans L’Équipe en 2014, un peu dépitée : « Mon mari aime faire croire qu’il n’a pas d’éducation alors qu’il en a beaucoup. Il ne veut pas montrer le fond de sa personnalité et se cache derrière ses boutades et ses illogismes. Il joue un jeu, vous l’avez compris. » Il sera quand même fidèle à quelques principes intangibles, à une gouaille toute rabelaisienne qui perpétuait une tradition française à l’oral et un sens indéfectible de la convivialité. « Il m’a foutu une paix royale, promet Henry Kasperczak, depuis la Pologne. Quand j’ai mis Valderrama sur le banc pour la première fois de la saison contre Manchester United(1/4 de finale de la C2 1991, ndlr), il n’a rien dit et m’a laissé faire. Il venait chez nous avec sa femme déguster du caviar et de la vodka, et depuis, il nous a invités à ses 70 ans ou au quarantième anniversaire du club. » Le Montpellier Hérault et ses nombreux soldats devront désormais faire sans leur homme-lige et survivre à la mort d’un homme bigger than life. Ils n’ont pas tous moins de cinquante ans…

Dans cet article :
Arnaud Souquet : « Les Américains mangent tout le temps, c’est infernal »
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Par Rico Rizzitelli

Tous propos recueillis par RR

Loulou Nicollin (1943-2017)
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