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Nagatomo, Little Buddha
A l'heure où le Japon connaît la pire catastrophe de son histoire après Hiroshima et Nagasaki, Yuto Nagatomo fait honneur à son pays en s'imposant à l'Inter Milan. Une ascension éclaire, pour un joueur qui arpentait encore les rues illuminées de Tôkyô il y a moins d'un an.
Débarquer dans le monde du football avec le nom d’un astéroïde, c’est déjà s’imposer avec un profil intéressant. Drôle d’ironie, Yuto Nagatomo, homonyme de l’astéroïde 8932 Nagatomo, a été propulsé sous les projecteurs à la vitesse d’une météorite. Arrivé à Cesena en août dernier dans l’anonymat le plus complet, il fait désormais partie intégrante, sept mois plus tard, du projet de Leonardo à l’Inter. Un destin hors-norme, presque comparable à celui d’Hidetoshi Nakata, premier joueur nippon à avoir acquis le statut de star dans le championnat italien. Mais à l’inverse de son prédécesseur aux cheveux orange, Nagatomo a tout du profil-type de l’anti-star. Un type humble, tout gentil, qui ne s’affiche pas avec des veline (qui feraient de toutes façons une tête de plus que lui, sans les escarpins) et qui semble tout gêné lorsqu’il s’agit de répondre aux questions des journalistes.
« Bon match, bon match » s’efforce-t-il de dire à tout journaliste dans un italien hésitant. Et surtout, un joueur qui se dope aux prunes salées lorsque d’autres utilisent des substances peu recommandées pour se donner un petit coup de gégène. « Les umeboshi, prunes salées, sont très utilisées dans la cuisine traditionnelle nippone. Elles sont riches en acide citrique et aident à combattre la fatigue. Je les prends toujours, avant chaque match » a-t-il écrit sur son blog, au lendemain du match remporté face au Genoa, au cours duquel il inscrit son premier but en Serie A. Un but qu’il fête avec le salut japonais, repris par tous ses coéquipiers. Il n’en faut pas plus pour faire naître la Nagatomania à Milan.
Manga et marketing
En engageant Nagatomo, Massimo Moratti sait déjà une chose : le marché japonais est un marché lucratif dans le football. A la fin des années 90, Luciano Gaucci, alors président de Perugia, déclare qu’il a réalisé « le plus beau coup de sa vie en faisant signer Nakata » . Avant lui, en 1994, Kazuyoshi Miura avait tenté sa chance au Genoa, sans grand succès. Nakata ramène avec lui un look de manga, des gestes et une attitude, qui font mouche en Italie. Un raccourci indirect et économique, en alternative à des stratégies publicitaires et promotionnelles, qui auraient coûté des sommes astronomiques. Avec Nagatomo, l’Inter entend bien suivre le même filon. Rapide, doté d’une bonne technique, le petit Japonais n’a pas forcément l’étoffe de certains de ses coéquipiers, de Sneijder à Eto’o, mais apporte avec lui toute une énergie et un marketing accessible à un nouveau public. Il n’est d’ailleurs pas étonnant qu’au mois de février, le maillot le plus vendu n’ait pas été celui d’Eto’o, de Maicon ou de Zanetti. Mais bien le numéro 55 de Nagatomo. A côté de cela, dès la signature du joueur lors des derniers jours du mercato hivernal, le club nerazzurro reçoit des dizaines de demandes d’accréditation de la part de la presse nippone, et une requête officielle de traduction en japonais du site de l’Inter.
Aussi tôt dit, aussi tôt fait. Le 4 février 2011, plus de 11.000 internautes, connectés en direct d’Asie, assistent à la présentation du joueur via le service Live du portail interiste. « Ce n’est pas un business quantifiable, mais le niveau d’attention du monde japonais envers le football a augmenté parallèlement au niveau technique des joueurs. Néanmoins, acheter un joueur japonais ne peut pas devenir une affaire indépendamment de ses qualités. Personne n’investit les yeux fermés, même s’il y a le logo « Made in Japan ». Bien entendu, à choisir entre un Japonais et un Européen qui ont le même rôle, le même âge et les mêmes caractéristiques techniques, alors l’engagement d’un joueur japonais a un plus fort attrait, car, s’il est bien géré, il ne peut apporter que des revenus supplémentaires » explique Oberto Petricca, avocat, agent et consultant, qui s’est occupé, entre autres, des transferts en Italie de Nanami (Venezia, 1999), Nakamura (Reggina, 2002), Yanagisawa (Sampdoria, 2003) ou encore Ogasawara (Messina, 2006).
Préparation culturelle
Mais alors, Nagatomo n’est qu’un leurre pour attirer l’intérêt (et les yens) des fans de l’autre côté du Pacifique ? Non. Loin de là. Avant même d’arriver à Cesena à l’été 2010, Nagatomo s’était imposé comme l’un des leaders du FC Tokyo (72 matches, 5 buts, en 3 saisons) et de l’équipe nationale du Japon. En Afrique du Sud, il participe à tous les matches de son pays, sorti en huitièmes par le Paraguay. Quelques mois plus tard, il est à nouveau là lors de la Coupe d’Asie disputée au Qatar. C’est d’ailleurs lui qui offre à Tadanari Lee le but décisif qui donne le titre au Japon lors de la finale face à l’Australie. A son retour triomphal en Italie, il apprend immédiatement son transfert à l’Inter. Sorte de consécration après la consécration. « Nagatomo réussira à l’Inter, car il est le reflet du football japonais d’aujourd’hui : un jeune bien préparé culturellement, qui a étudié à l’université et qui se dédie à son travail. A 21 ans, un joueur japonais a déjà assimilé la technique, la tactique et la culture » témoigne Alberto Zaccheroni, sélectionneur italien de l’équipe japonaise.
Armé de ses prunes salées et d’un immense sentiment de vindicte positive en réponse à la tragédie qui se déroule ces jours-ci dans le nord-est du Japon, Nagatomo se prépare à une fin de saison haletante. Il sait qu’il aura un rôle prépondérant à jouer, et ce dès le mois d’avril, lorsque l’Inter devra jouer le coup à fond sur les trois tableaux. Que la puissance de Sangoku soit avec lui.
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Eric Maggiori
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