N’Golo Kanté-Paul Pogba, binôme invincible de l’équipe de France

Leur dernière fête commune a eu lieu à Lisbonne, contre le Portugal en novembre 2020. Ce jour-là, N’Golo Kanté et Paul Pogba sont titularisés ensemble pour la 26^e fois de leur carrière. Et comme d’habitude, l’équipe de France échappe à la défaite en cognant les Lusitaniens sur la plus courte des marges. Grâce à un but du joueur de Chelsea, tant qu’à faire. Que le champion d’Europe en titre se rassure, il n’est pas la première victime du binôme. Loin, très loin de là. Car voilà cinq ans que les Bleus sont invaincus lorsque leur doublette est alignée d’entrée, avec 77% de victoire (20 succès en 26 rencontres) contre 68% le reste du temps (26 succès et 7 défaites, en 38 parties).

Le baptême avait eu lieu le 29 mars 2016 au Stade de France, face à la Russie (4-2). Avec une ouverture du score de… Kanté. Sur une action initiée par… Pogba. Comme si l’histoire était destinée à être écrite, comme s’ils étaient faits pour se trouver. Depuis, la sélection de Didier Deschamps a atteint la finale de l’Euro 2016 et remporté la Coupe du monde 2018. Tout sauf un hasard (même si le Londonien n’était pas considéré comme un titulaire lors du championnat d’Europe), au même titre que l’absence de revers lorsque le duo est aligné la feuille de match ne constitue pas une coïncidence. En réalité, cette invincibilité s’explique assez facilement et prend sa source dans des constats évidents.

Destinés à cohabiter

D’abord, il suffit de mettre les deux hommes côte à côte et de les regarder évoluer pour formuler une vérité indéniable : Pogba et Kanté sont complémentaires, tant du point de vue physique que dans leur jeu. Pendant le Mondial 2018, Blaise Matuidi l’expliquait dans des propos relayés par Eurosport : « C’est plus que naturel comme duo, ils se complètent super bien. Les deux couvrent beaucoup de terrain, ils font un boulot énorme. NG est dans son registre défensivement, c’est un maître et un monstre de la récupération. Paul possède cette finesse technique, mais, avec les années, il a appris à évoluer défensivement. Les deux ont la capacité à trouver rapidement les attaquants à la récupération du ballon, Paul avec sa qualité de passe et de jeu long qui font de lui un joueur différent. »

25 – L’équipe de France ?? avec Paul Pogba & N’Golo Kanté titulaires :? Nul Victoire25 matchs – 19 victoires, 6 nuls, 0 défaiteComplémentaires. pic.twitter.com/RCMnSn9eM3

— OptaJean (@OptaJean) October 13, 2020

Impression confirmée par Michel Dussuyer, qui a rencontré les Bleus sur le banc de la Côte d’Ivoire à la fin de l’année 2016 et qui est l’un des rares entraîneurs à ne pas avoir perdu face au duo titularisé (0-0) : « C’est clair, leur complémentarité saute aux yeux. Ce ne sont pas les mêmes gabarits, l’un est grand et l’autre petit. Et ils ne disposent pas des mêmes aptitudes, Kanté ayant évidemment des qualités de récupération rarement observées chez un autre joueur, quand Pogba peut se concentrer sur ce qu’il aime avec N’Golo « derrière » lui : sa touche technique, sa projection vers l’avant et son timing de la passe. Quand ils se retrouvent à leur état de forme optimale, ça fait forcément une sacrée doublette. »

« Ce duo garantit tout simplement l’équilibre de l’équipe »

Sélectionneur du Luxembourg, qui a lui aussi réalisé l’exploit de tenir tête à l’EDF du binôme en septembre 2017 à Toulouse (0-0), Luc Holtz va encore plus loin : « Pour moi, ce sont eux qui ont guidé l’équipe vers le sacre mondial. Je pense que dans l’esprit de Didier Deschamps, ce duo garantit tout simplement l’équilibre de l’équipe. Sa formation doit attaquer efficacement tout en gardant une stabilité défensive, et c’est à eux qu’incombe cette grande responsabilité. À ce niveau-là, ils sont essentiels. Raison pour laquelle leur invincibilité ne me surprend pas, c’est grâce à eux que l’équipe de France est aussi réaliste dans ses résultats malgré le manque de spectacle que certains peuvent lui reprocher. »

Cette histoire d’équilibre et de protection défensive majeure, Samuel Umtiti ne l’a d’ailleurs jamais cachée pendant la compétition (toujours pour Eurosport) : « Kanté est sur tous les ballons, ça nous soulage énormément. Paul, physiquement, nous aide également sur tous les matchs et ça nous allège un peu. » Autrement dit, le volume de jeu de la doublette permet aux Bleus de n’être quasiment jamais dépassés et de rendre les partenaires meilleurs tout en laissant planer une dangerosité constante sur l’adversaire avec notamment des transmissions laser. Surtout, l’un profite de l’autre en se divisant les tâches, sans oublier de se filer souvent des coups de main (encore davantage dans un schéma en 4-2-3-1 avec deux milieux et un Antoine Griezmann tournant autour d’Olivier Giroud, plutôt que dans un 4-3-3) : de manière grossière, Kanté s’occupe de ratisser large et de récupérer la sphère en étant constamment sur le dos de l’ennemi, alors que Pogba finit de tisser la toile en interceptant et en brillant par ses projections.

Sans oublier leurs personnalités respectives complètement opposées qui auraient pu les éloigner, mais qui les a paradoxalement et au contraire rapprochés. Ainsi, le discret et timide Kanté n’a aucun problème à laisser les lumières au plus fantasque Pogba, dont le caractère et la folie sont primordiaux dans la vie du groupe français, qui raffole de ses deux coqueluches. « NG a toujours été comme ça, il est réservé et très calme. On parle et on se donne des conseils, notre relation est assez spéciale. C’est un mec en or et très attachant, on rigole beaucoup », appréciait par exemple le Mancunien, en 2018.

Densité, va craquer

Mais alors, l’EDF est-elle vraiment inarrêtable quand elle est portée par ses deux porte-bonheurs (régulièrement blessés, malheureusement) ? Pas totalement, puisque les Ivoiriens de Dussuyer s’en étaient bien sortis en amical. « J’avais opté pour un milieu à trois très travailleur, à savoir une triplette Cheick Doukouré-Serey Dié-Franck Kessié. L’objectif, outre les attendre sans être trop bas, consistait à limiter au maximum l’expression de leur entrejeu et à le contourner ensuite par des contre-attaques rapides malgré une possession de balle largement en leur faveur », rembobine le technicien, aujourd’hui à la tête du Bénin. Une tactique qui avait plutôt fonctionné, la dimension physique de Kessié et ses potes ayant particulièrement embêté un trio Kanté-Pogba-Adrien Rabiot en manque d’espace dans les quarante derniers mètres. Avec, en bonus, des occasions sur des transitions rapides (huit frappes tentées pour les Éléphants, contre dix concédées) dont un poteau.

De son côté, face à une équipe qui ressemblait beaucoup plus à celle couronnée lors du dernier Mondial, le Luxembourg de Luc Holtz avait encore davantage pris soin de couper les possibilités de la redoutable ligne NG-PP. « On avait cherché à densifier à fond le cœur du jeu, l’idée étant vraiment de fermer l’axe du terrain, confie le coach des Roud Léiwen (Lions rouges).J’avais donné la consigne à mes attaquants de venir gêner les transitions de base vers eux, et nos deux milieux défensifs devaient également les forcer à jouer horizontalement quand ils avaient la balle. On les a donc obligés à passer par les ailes, et à combiner avec les latéraux. »

Résultats : après 34 tirs (dont seulement 9 cadrés) et mille centres essayés (dont 17 ratés par Layvin Kurzawa), la France concédait le nul en éliminatoires du Mondial 2018. À l’époque, Holtz avait déjà repéré un des circuits qui ferait bientôt le bonheur de son confrère Deschamps : « On voulait à tout prix que leurs milieux aient une liberté d’action réduite, et surtout éviter les situations où Pogba cherche en profondeur Kylian Mbappé dont la vitesse fait très mal. C’est aussi ça, la réussite de Kanté-Pogba : leurs qualités sont superbement adaptées au jeu de Mbappé, qui s’en retrouve magnifié. Kanté récupère, Pogba lance et Mbappé termine : circuit classique ! » Messieurs, prière d’être présents pour l’Euro qui arrive.