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Mundialito : Amnésie internationale
En 1980, l'Uruguay accueille une compétition unique, réunissant l'ensemble des nations championnes du monde, à l'exception de l'Angleterre. Un évènement effacé de la mémoire officielle, la faute à une relation trop encombrante entre le tournoi et la sanglante dictature uruguayenne.
Après l’Argentine 1978, l’Uruguay 1980. Le football comme formidable instrument d’effacement des tâches de sang qui maculent la vitrine des dictatures militaires. La victoire finale conçue par les pouvoirs martiaux comme une validation de leurs options réactionnaires. Impulsé par Joao Havelange, le président de la FIFA dont la durée du règne n’a pas grand chose à envier à la crème des dictateurs (1974 à 1998), le Mundialito se déroule à Montevideo du 30 décembre 1980 au 10 janvier 1981. Pour le pouvoir uruguayen, la Celeste se doit alors de renouer avec son passé glorieux pour mieux conditionner son peuple. Pour mieux oublier qu’un habitant sur 450 a été emprisonné lors de l’opération Condor.
La compétition célèbre les 50 ans de la première Coupe du Monde, organisée et remportée par l’Uruguay. Elle réunit les nations championnes du monde, à l’exception de l’Angleterre qui préfère décliner l’invitation et laisser sa place à la Hollande, double vice-championne du monde en titre. Les six participants (Uruguay, Italie, RFA, Brésil, Argentine, Hollande) sont répartis en deux poules de trois.
Jets de pierres
En terme de qualité de jeu, le groupe B, composé de l’Argentine, de la RFA, et du Brésil, se distingue. Dirigée par César Menotti, l’Aliceleste avec Diego Maradona et Ramon Diaz aux avant-postes débute sa compétition en dominant la RFA (2-1). Vient ensuite le moment d’en découdre avec le Brésil : les deux grands voisins se quittent sur un match nul (1-1). El Pelusa inscrit alors le seul but de sa carrière face aux auriverde. Diego, déjà la gueule grande ouverte, s’en prend au public uruguayen, qui s’amuse à jeter des pierres sur les joueurs argentins en pleine rue.
Dans le groupe A, l’Uruguay domine facilement la Hollande et l’Italie (deux fois 2-0). Pour l’anecdote, le seul but des azzuri lors du Mundialito sera inscrit par Carlo Ancelotti face aux Pays-Bas (1-1). Comme en 1930, l’Uruguay et l’Argentine semblaient partis pour se retrouver lors de l’ultime rencontre. Finalement, c’est à une redite de la finale de la Coupe du Monde 1950 à laquelle les dirigeants militaires uruguayens assisteront. Lors de son dernier match de poule, le Brésil de Telê Santana éparpille la RFA (4-1) et passe devant l’Argentine à la différence de buts.
« Nous sommes des clowns de luxe »
Un mois exactement avant le coup d’envoi du Mundialito, la dictature avait concédé une lourde défaite, quand la population avait rejeté à 57% une réforme constitutionnelle visant à légitimer le régime. Un résultat qui ouvre la voie à un lent processus d’ouverture politique, qui aboutira en 1984, avec le retour à la démocratie. La politique escorte étroitement le Mundialito. « Marquer un but contre la dictature » demandaient des affiches collées clandestinement au moment du référendum. Certains joueurs de la Celeste comprennent aussi parfaitement de quoi et de qui ils sont l’instrument.
Le gardien remplaçant, Fernando Alvez, livre ainsi cette analyse : « En ce moment, nous accomplissions un travail social, nous sommes des clowns de luxe, et nous n’allons pas nous contenter de la gloire d’une médaille, nous voulons tirer le maximum de nos dirigeants, qu’ils nous récompensent concrètement, en nous offrant une voiture à chacun par exemple. Nous comprenons très bien que notre victoire relève de l’affaire d’Etat » .
Champion des champions
En finale, le 10 janvier, l’Uruguay réalise un bis du Maracanazo en l’emportant sur le même score (2-1), le scénario hitchcockien en moins. La victoire est fêtée bruyamment par une population qui considère aussi la compétition comme un refuge, un exutoire. Comme en Argentine, en 1978, la victoire finale fut célébrée conjointement par les prisonniers politiques et leurs gardiens. En Ururguay, on se considère alors comme « le champion des champions » . « Sur le moment, la population a vraiment vécu avec enthousiasme le Mundialito, se rappelle l’opposant, Marcelo Estefanell, alors derrière les barreaux,mais elle a rapidement préféré l’oublier, car son souvenir est lié à celui de la dictature » . L’amnésie frappe aussi la FIFA, pourtant à l’origine du tournoi, qui ne reconnaît pas le Mundialito comme une compétition officielle.
Par Marcelo Assaf et Thomas Goubin