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Michel Platini : une icône ne devrait pas faire ça
L’image de Michel Platini ne cesse de s’écorner. L’ancien héros des Bleus, entre Kopa et Zidane, imaginait sûrement cheminer tranquillement vers les sommets de la FIFA avec le soutien de son pays natal. Or, depuis son éviction, les affaires se multiplient autour de lui, et les dernières révélations de Mediapart dessinent même le visage d’un personnage qui se pense au-dessus des lois.
« Tu vas voir, ça va être très simple. Il va te dire :« Voilà, qu’est-ce que je peux faire pour vous ? Vous représentez le patrimoine de la France », etc. Je ne suis pas inquiet du tout. » Les propos de Jacques Vendroux, éternelle figure du journalisme sportif, au sujet d’Emmanuel Macron, afin de rassurer son grand ami Michel Platini, ressemble à un pur et simple constat d’impunité. On ne touche pas au patrimoine national tout de même. Pour mémoire, l’ex-président de l’UEFA se trouvait et se trouve toujours sous le coup d’une enquête préliminaire pour « corruption » menée par le Parquet national financier (PNF) – en train de devenir le croquemitaine juridique des puissants -, pour son rôle dans l’attribution de la Coupe du monde au Qatar. Et ce sont les écoutes téléphoniques ordonnées par ce fameux PNF et révélées par Mediapart qui lui valent aujourd’hui de se retrouver une nouvelle fois dans l’œil du cyclone.
Brassard d’immunité
Or le coin fort du fameux carré magique ne supporte pas d’être ainsi poursuivi. Il y perçoit presque un crime de lèse-majesté. Passe encore que la justice suisse, dans la foulée des règlements comptes autour de la présidence de la FIFA (d’ailleurs, Michel Platini a porté plainte contre Gianni Infantino pour « trafic d’influence » ), lui fasse des misères pour une petite bagatelle de 2 millions de francs suisses (soit environ 1,8 million d’euros) réclamés avec un peu de retard (on est tête en l’air parfois). Mais pas la France, son pays, celui qui lui doit tant…
Ainsi sa garde à vue en 2019 n’a pas été du tout digérée. Pour qui le prend-on ? Peu importe le droit ou l’indépendance de la justice, la plaisanterie avait trop duré. Il a donc cherché à régler le problème en s’adressant à la seule autorité digne de lui, le président de la République, afin d’être « blanchi ». Cependant, depuis l’abolition de la monarchie absolue, le chef de l’État n’en a pas le pouvoir, du moins selon un texte aussi secondaire que la Constitution. La démarche n’aboutira pas. En revanche, et il s’agit peut-être du plus inquiétant et révélateur sur le fonctionnement de nos institutions, Michel Platini bénéficiera de deux messages de soutien de la part du président jupitérien, le dernier le 7 novembre 2019, peu de temps après sa garde à vue, sur les ondes de RTL. « Je sais que les dernières années ont été dures, que les blessures ont parfois été profondes, que le sentiment d’injustice aussi est là. Et au fond, si j’avais un message, c’est ce message d’admirateur, ce message de remerciement, et ce message qui consiste à vous dire, vous avez encore plein de choses à apporter au football français et aux jeunes Français. »
Saint-Michel
Michel Platini voulait entrer dans la légende, dans les annales de l’histoire de France. De basses et veules considérations matérielles occultent désormais son rôle de défenseur du football, tel un prophète qui défend l’inscription du football au patrimoine de l’UNESCCO pour le protéger de l’argent et des rapaces de la Superligue. « Il faut faire en sorte que ça reste un jeu, et que ce jeu soit au-dessus de tout ce qu’il se passe », disait-il à ce sujet. Une posture qui résiste de moins en moins à l’épreuve des faits. Certes, le joueur était protégé dans notre mémoire collective (y compris de l’épisode de « la caisse noire des Verts » ). Il enrobait de son aura protectrice l’homme politique et d’affaires qu’il est devenu. Même le journaliste insoumis François Ruffin confiait de ne pas avoir pu écrire sur lui dans Le Monde diplomatique après l’avoir tant admiré sur le terrain. Seulement, les défauts dans le miroir se multiplient. On découvre incidemment en pleine guerre d’Ukraine l’existence d’un cadeau – un Picasso – de la part de l’oligarque russe Alicher Ousmanov, alors l’un des principaux sponsors d’Arsenal, aujourd’hui blacklisté dans l’ombre de Poutine. Un cadeau certes officiellement reçu « en juin 2016 et donc après le vote d’attribution du Mondial 2018 » pour le 61e anniversaire de Michel Platini, qui avait retourné son soutien au fil du temps en faveur de la Russie. Aucune naïveté.
Les affres et travers de Michel Platini s’avèrent de fait malheureusement le lot commun du football mondial et européen, au sein desquels les batailles d’influence et les enjeux économiques concernent et corrompent tout le monde (Infantino profita aussi des largesses russes). L’honnêteté y devient sûrement presque soupçonnable. La réaction de Michel Platini tient donc autant du péché d’orgueil (d’où sa menace de quitter la France si le travail des juges continuait de lui pourrir la vie) que d’une banale tentative de faire jouer, entre gens du même monde, ses relations afin d’arranger les choses. Il doit être assez étrange, et ce, pour n’importe quel dirigeant d’une multinationale, sportive ou non, de découvrir l’existence d’un État de droit…
Par Nicolas Kssis-Martov