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Michaël Pereira : « Le petit pont sur Iniesta, je l’ai fait pour être visible »
À 34 ans, Michaël Pereira a l'essentiel de sa carrière derrière lui. De ses débuts en région parisienne à ses années en Turquie en passant par le grand saut en Liga au début des années 2010, le milieu français de Kocaelispor (D2 turque) retrace avec lucidité son parcours.
Michaël, tu as 34 ans, une bonne centaine de matchs en Liga et une carrière remplie, le tout sans passer par un centre de formation. Comment as-tu réussi à percer ?J’ai fait quatre ans au Bourget où j’ai passé de belles années. Le directeur sportif m’a permis de faire pas mal d’essais à l’époque. Mais que ce soit Amiens, Lens ou Lille, je n’ai jamais été pris. Pour être honnête, j’avoue que je manquais un peu de physique. Peut-être que je n’ai pas répondu à leurs attentes non plus, mais quand tu fais des essais, ce n’est pas simple. Tu débarques de nulle part, on ne te fait pas forcément jouer à ton poste. Tu viens pour une journée, tu fais tes tests athlétiques dans de sacrées installations : détente sèche, sprints, des choses que je n’avais jamais faites. Tu vois les mecs avec toi : ils volent. Finalement, je suis resté en amateur et j’ai filé à Villepinte, une ville de football. J’avais 18 ans, ils commençaient à payer un peu, il y avait des beaux terrains pour les matchs et les entraînements. Je fais une bonne saison et je pars au Blanc-Mesnil, en DH. Et c’est là que j’ai vraiment commencé à bosser : séances de musculation, séances intenses d’entraînement, mises au vert…
Tu débarques ensuite à l’UJA Alfortville et tu casses la baraque avant de faire un grand saut direction la Liga. Comment ça s’est opéré ?Quand j’étais en CFA à Alfortville, j’avais des propositions d’Auxerre et du Havre, mais j’ai refusé pour l’Espagne. Je vais d’abord au Deportivo La Corogne qui voulait me prêter à Oviedo pendant deux ans, mais on a refusé avec mon agent de l’époque. Pour recontextualiser, à l’époque, je performais en CFA, et le Deportivo voulait m’intégrer dans son équipe réserve, qui jouait dans l’équivalent de la CFA. Je visais plus haut. Finalement, je pars à Majorque où tout se goupille vite. Je m’entraîne partiellement avec les pros et je fais une première apparition dans le groupe en avril 2010 au sein d’une grosse génération (Aritz Aduriz, Borja Valero, Fernando Varela Ramos…). L’été suivant, je fais une belle présaison avec les pros et je signe quatre ans.
Passer d’Alfortville à Majorque, c’est un sacré gap…Clairement, je pensais connaître le football, alors que pas du tout. Pour l’anecdote, quand j’arrive en Espagne, je n’ai pas de valise. Elle était dans un autre vol, il y a eu un problème… Bref, j’arrive dans les vestiaires sans même mes crampons. Les gars ont dû avoir l’image du mec qui vient du bled. Mais il y a trois ou quatre joueurs qui m’ont mis vraiment à l’aise et m’ont aidé à m’intégrer. Le coach m’aimait bien et m’a laissé un mois et demi pour progresser tactiquement, que ce soit avec ou sans ballon, les pressings, boucher les lignes de passes, les coulissements… Même si je savais déjà faire ça, il y avait des détails que je n’avais pas, surtout qu’en Espagne, ça va très vite. Exemple : je ne faisais jamais de toro en France, du coup les premières fois je restais un quart d’heure au milieu.
On va devoir reparler de ce petit pont que tu as mis à Iniesta en 2010… Cette action a-t-elle eu une incidence sur ta carrière ? Mon agent s’en sert beaucoup. (Rires.) Le geste est beau, mais je le fais surtout pour me faire remarquer. Je n’étais pas titulaire à l’époque, et c’était compliqué pour moi d’avoir du temps de jeu devant des mecs qui sont internationaux. Parfois, tu cherches juste une action pour te mettre en valeur. Et pour moi, ce petit pont a du sens parce que c’est dans le jeu, mais je le fais surtout pour être visible, qui plus est sur Iniesta ! D’ailleurs, j’avais pris son maillot à la fin du match, je commence à partir et il me dit : « Et le tien ? », mais tout était nouveau pour moi ! La vidéo, je l’ai encore. C’est le Camp Nou, le Barça, un champion du monde quand même.
Iniesta ne t’en a pas voulu ?Non, ça va ! (Rires.) Franchement, c’est des crèmes, les mecs. Au Barça, ils étaient cools, à part peut-être Jordi Alba. Là où c’était chaud en revanche, c’était le Real Madrid. Avec eux, c’était bagarre sur bagarre, surtout avec la génération portugaise de Pepe, Coentrão, Ronaldo, Mourinho. À Barcelone, c’était plus tranquille, en même temps à l’époque, ils t’en mettent cinq, le taf est fait, ils rentrent chez eux et basta. Ils étaient tellement forts.
Tu as pu côtoyer des sacrés gaillards à l’époque, mais il y en a un en particulier qui t’a subjugué ?Plusieurs à vrai dire. Déjà Cristiano Ronaldo. La manière dont il bosse, sa volonté de gagner et marquer, c’est exceptionnel. Messi c’est différent, lui tu as l’impression que c’est un don, et peu importe ce que tu fais, tu n’atteindras jamais son niveau. Sinon, Kaká m’a impressionné à l’époque. On ne dirait pas, mais physiquement, c’est un monstre, grand et puissant. Il y aussi Modrić et Iniesta, qui m’ont également impressionné. Combien de fois je suis rentré au duel avec eux sans jamais avoir l’opportunité de leur prendre la balle. Ils dictent le tempo. La manière dont ils font disparaître le ballon, dont ils anticipent tout, voient tout avant toi, c’est incroyable.
Comment as-tu géré cette nouvelle vie en Liga, d’un point de vue personnel ?J’ai grandi en tant qu’homme à Majorque. Je suis venu avec ma femme, qui était ma fiancée à l’époque, sans penser rester aussi longtemps. Ma famille y est encore d’ailleurs, mes trois enfants sont nés là-bas. Quand j’étais à Paris, j’étais dans la débrouillardise, le football amateur, la grisaille… Je viens d’Othis, une ville à la campagne en Seine-et-Marne, donc ce n’était pas facile, et quand tu déboules à Majorque, tu vois le futur plus tranquillement. Après, j’ai toujours été assez tranquille sur ma vie, je suis quelqu’un d’assez discret qui ne veut pas de problèmes.
Cette nouvelle notoriété n’a pas été trop difficile à accepter ?Quand j’arrive, c’est le début de la rivalité CR7-Messi, ça prend une ampleur folle, et moi, je me suis recroquevillé petit à petit. Quand tu as une notoriété qui grandit, tu fais des interviews, t’es en une des journaux, tu as de plus en plus « d’amis » , tu rentres dans le show biz, tu signes des contrats, tu crées des embrouilles dans le vestiaire… Et paradoxalement, plus tu as « d’amis » , plus tu t’isoles. Je me suis beaucoup coupé de ma famille parce que je leur disais qu’ils ne pouvaient pas comprendre ce monde-là. Finalement, c’était une grosse erreur. Le football, c’est tout pour moi, mais tu te dis aussi que le jour où le football va s’arrêter, comment tu vas faire ? Et quand Majorque est descendu, tous ces « amis » ont disparu d’un coup. C’est là que je me suis rendu compte de l’importance d’une famille. J’ai passé plus de temps avec mes enfants, mes parents, à me livrer plus sur mes sentiments, parler plus avec ma femme sur mon métier. J’ai pris le football d’une autre manière, et ça m’a fait du bien. Finalement, on n’a pas réussi à remonter, et j’avais le choix entre prolonger à Majorque, mais en D2, ou partir loin des caméras. Et j’ai pris de loin ma meilleure décision en allant en Turquie, à Yeni Malatyaspor. J’ai découvert autre chose. Ce qui compte au football, ce n’est pas la notoriété, il vaut mieux être la tête du rat que la queue du lion.
Comment se passe l’intégration en Turquie ?Ma femme ne voulait pas que j’aille là-bas. Deux mois avant que je signe, il y avait eu un attentat à l’aéroport d’Istanbul, et trois jours après mon arrivée officielle, un coup d’État. Sur le coup, je ne comprends pas ce qu’il se passe, c’était un bordel total dans le pays. On commence le championnat sans retransmission télé et sans sponsor. Ma famille a voulu me rejoindre, mes enfants ont intégré une école turque, soi-disant école anglaise, mais ils n’avaient que deux heures d’anglais par semaine, donc au bout de quelques mois, ils sont retournés à Majorque. On a été séparés quasiment un an et demi, on était à plus de trois heures d’avion, c’était difficile. Mon fils qui avait six mois à l’époque, je ne l’ai vu que deux ans sur ses cinq aujourd’hui. Ce n’est pas évident, mais d’autres ont le même problème en étant militaire ou médecin, ou travaillent à l’étranger. Donc je n’ai pas à me plaindre non plus.
Tu fais trois ans en Turquie où ça se passe bien, et derrière tu débarques au CFR Cluj ?Exactement. À la fin de la saison, on se qualifie pour la Ligue Europa, mais un changement de coach me coûte ma place. Je rebondis à Cluj, double champion en titre de Roumanie. Pour être franc, jamais je n’aurais pensé mettre les pieds en Roumanie. Le cadre de vie était incroyable. Je suis venu en Roumanie avec plein de préjugés qu’on peut avoir en France, et même si le pays a des problèmes, Cluj c’est la deuxième ville du pays, très peu de chômage, ville dynamique et universitaire : fantastique. Bon, il fait un froid de canard là-bas, mais mes enfants ont surkiffé ! On a passé le confinement dans les meilleures conditions possibles. Et le club était au top aussi, c’est également pour ça que j’ai signé chez eux. Ça fait du bien de gagner des matchs, remporter des trophées et rentrer chez soi la tête haute.
En parlant de trophées, il faut nous expliquer cette célébration à l’aéroport. Ah oui, c’est une tradition, ça ! (Rires.) C’était pour la Supercoupe de Roumanie, les mecs avaient déjà fait ça l’année d’avant. Pour célébrer, ils se placent sur le tapis roulant et l’annonce dans l’aéroport dit « attention, un bagage en approche » et les mecs arrivaient avec la Coupe. C’est génial.
Après deux ans, tu retournes finalement l’été dernier en Turquie, en D2 à Kocaelispor. Quelle a été la réaction de ta famille ?Comme je n’ai signé qu’un an, ils l’ont bien pris. Je ne voulais pas déménager tout le monde. Je suis à 40 minutes de l’aéroport d’Istanbul et je sais que mes enfants ont besoin de stabilité, donc j’ai préféré les laisser à Majorque avec leurs amis et la famille. C’était le mieux pour eux.
Et le futur, à partir de l’été prochain ? Tu t’imagines encore en Turquie ?Ah le futur, le futur… Si le corps le permet et que cela n’altère pas mes relations familiales, je continue là-bas pour un ou deux ans de plus. Le football me plaît ici. Il faut rester dans son marché. Ici j’ai une belle image, une petite notoriété. Chaque joueur a son marché naturel, il faut s’y tenir.
La nourriture est un bon argument pour rester en Turquie aussi ?La bouffe en Turquie, c’est un gros problème, et encore je ne suis pas un grand mangeur. Mais comparé à la Roumanie, c’est tellement mieux. (Rires.) La nourriture peut briser des carrières en Turquie, c’est un autre délire. C’est incroyable et pas cher en plus pour la quantité que tu as ! C’est compliqué dans la tête de tenir.
Par Fabien Gelinat