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Mexique : Guillermo Ochoa, pour l’amour de la Coupe du monde
Grâce à ses performances lors des Coupes du monde précédentes, Memo Ochoa est devenu l'emblème de la sélection mexicaine à l'international. Sa carrière en club n'a toutefois jamais été à la hauteur de ses éclats mondialistes. Décryptage d'un paradoxe.
Les Coupes du monde passent, comme le temps, mais lui est toujours là, fidèle au poste. À 37 ans, Memo Ochoa va à nouveau s’installer dans les buts du Mexique pour son cinquième Mondial, le troisième dans la peau d’un titulaire. Il y a bien entendu eu 2014 et sa prestation mémorable contre le Brésil, puis 2018, avec 25 arrêts – deuxième total le plus important de la compétition – dont une parade sur un coup franc de Toni Kroos pour préserver l’avantage du Tri face à l’Allemagne (1-0) ; des performances spectaculaires qui en ont fait une sorte de coqueluche globale. Pourtant, depuis quatre ans, que sait le monde de Memo Ochoa ? Pendant qu’Alisson ou Ederson sont scrutés chaque semaine, que le statut de Keylor Navas au PSG continue de faire débat, ou que Dibu Martínez est devenu une valeur sûre pour l’Argentine, lui a quitté le Standard de Liège et l’Europe en 2019.
« Le meilleur gardien du monde pendant trois semaines »
Revenu à l’América, le club de ses débuts, il est une tête d’affiche au sein d’un football de deuxième ordre. Sacré champion du Mexique en mai dernier (tournoi de fermeture), dix-sept ans après son premier titre en club, il a aussi raflé une nouvelle Gold Cup (2019) et est monté sur la troisième marche du podium des Jeux olympiques de Tokyo (2021). Pas de quoi accaparer les regards à l’international. Pourtant, l’annonce de la participation de « Memo » a suscité un vent de sympathie et d’enthousiasme évident. En dessous des tweets en anglais, français ou espagnol, à son sujet, des commentaires dithyrambiques le comparant à Manuel Neurer, Lev Yachine, ou anticipant une mise en échec de Robert Lewandowski, la star de la Pologne, premier adversaire de la sélection verte. « Pendant trois semaines, Guillermo Ochoa va redevenir le meilleur gardien du monde », a même titré le site Sportbible.
Une telle cote rappelle à quel point la Coupe du monde est une compétition à part dans le récit de l’histoire du football, comment elle marque la mémoire collective au fer rouge. Pour les fans neutres, Memo est désormais devenu une attraction dont on savoure les prestations à un rythme olympique. « C’est un gardien très spectaculaire, extraordinaire par son explosivité, analyse Thierry Barnerat, instructeur FIFA et analyste vidéo de Thibaut Courtois. Et sa relative petite taille (1,85 mètre) rend plus impressionnantes ses parades, là où Neuer a parfois à peine à bouger. » Pour Memo, la Coupe du monde a pourtant longtemps été un trauma. Troisième gardien en 2006, à seulement 21 ans, il s’était avancé vers 2010 avec des certitudes. Sans s’expliquer plus que cela, le sélectionneur Javier Aguirre l’avait toutefois relégué sur le banc en Afrique du Sud, pour lui préférer Oscar Pérez, 37 ans et 1,75 mètre.
Gardien de l’América, le club le plus médiatique et titré du Mexique, Ochoa est alors une star dans son pays. Il enchaîne les apparitions dans des spots publicitaires, sort avec des jeunes femmes du show-biz et apparaît même dans une telenovela. Mais il est aussi un nom qui divise. Une partie du Mexique, assez nombreuse, puisque l’América est au moins autant détesté qu’aimé, l’accuse de bénéficier d’un traitement de faveur. Jouer dans le club détenu par Televisa, grand groupe de télécommunications très influent au sein de la Fédération mexicaine, lui vaudrait ses sélections, bien plus que ses performances. Et ses ratés, notamment sur sortie aérienne, amènent régulièrement de l’eau au moulin de ses détracteurs. Au cœur de débats trop enflammés, Ochoa comprend qu’il va devoir quitter son pays pour franchir un palier et devenir indiscutable en sélection.
Les paradoxes d’Ochoa
En 2011, le PSG est sur le coup, mais c’est le moment où cinq joueurs du Tri sont testés positifs au Clembutérol, dont l’infortuné gardien. La poisse semble le poursuivre, mais l’AC Ajaccio accourt à sa rescousse. Memo passe du stade Azteca à François-Coty. Pari risqué, mais gagnant. À la fin de son bail en Corse, il y aura le Mondial 2014 et cet arrêt à la Gordon Banks face à Neymar. Déjà intéressés avant le Mondial, Liverpool ou l’AC Milan sont des destinations évoquées, mais c’est pourtant à Málaga que le Mexicain atterrit. Le retour sur terre est si violent qu’il va passer la majeure partie de sa saison sur le banc, à regarder Carlos Kameni. Comment expliquer un tel contraste entre sa popularité globale et le standing de ses employeurs européens ? « En fait, je trouve qu’il a un profil à la Anthony Lopes, amorce Thierry Barnerat. Les deux ne sont pas grands, ils ont cette même qualité pour jaillir, mais ils sont aussi un peu trop impulsifs, feu follet, dans les situations de profondeur médiane ils ont trop tendance à vouloir aider, même quand cela n’est pas nécessaire. Leur taille joue aussi contre eux, poursuit le spécialiste,car ils ne dégagent pas la force naturelle de Neuer ou de Courtois, qui prennent beaucoup de place, et puis leur visibilité, sur un corner, par exemple, est aussi moins bonne. »
De temps à autre, Memo rechute, d’ailleurs. La dernière fois, c’était le mois dernier, en demi-finales du tournoi d’ouverture, face à Toluca. Une sortie à l’aveugle, presque incompréhensible, sur un coup franc excentré. « L’aérien, c’est lire et anticiper, décrypte Barnerat, et pour moi, Ochoa manque un peu de repères, on le voit anticiper, faire le premier pas, mais sans vraiment savoir où il va aller. » Au pied, là où on attend aussi un gardien aujourd’hui, le Mexicain n’est pas non plus un virtuose, même s’il s’est amélioré avec le temps. « Techniquement, il a les deux pieds, mais sa lecture du jeu est trop souvent déficiente », synthétise Barnerat. Reste qu’aujourd’hui, malgré ses défauts, le statut de titulaire de Memo Ochoa avec El Tri n’est plus discuté, sauf par d’indécrottables anti-americanistas. Les sélectionneurs passent (le Mexicain Miguel Herrera, le Colombien Juan Carlos Osorio, aujourd’hui l’Argentin Gerardo Martino) et l’ex-dernier rempart d’Ajaccio, qui va jouer son 132e match international face à la Pologne, semble indéboulonnable. La récompense de sa ténacité. « Même s’il n’est pas au niveau que demandent des clubs du top 5 européen, la longévité est toujours signe de qualité, et sa carrière est admirable », conclut Barnerat. Viva Memo !
Par Thomas Goubin