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« Mettre la tenue des Girondins était un rêve »

Propos recueillis par Maxime Brigand et Florian Cadu
«<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Mettre la tenue des Girondins était un rêve<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Il y a plus de vingt ans, la crinière blonde de Lilian Laslandes débarquait sur le championnat de France. Parfois loin de son Médoc natal, toujours proche des tribunes. Retour en trois actes, d'Auxerre à Bordeaux en passant par Sunderland, sur quinze ans de foot français. Deuxième partie, en marine et blanc.

Le 9 mai 2015, la place de la République de Bordeaux disait au revoir à Lescure. Comment avez-vous vécu ces adieux ?Le fait que ce soit les Ultramarines qui aient organisé tout ça, d’être contacté parmi les anciens, c’était déjà quelque chose de fort. La fin de Lescure, c’est clairement une page qui se tournait. Ce jour-là, je suis arrivé en voiture par un parking d’où l’on ne voyait pas la place encore. Quand je suis sorti du parking, tout était encore caché par des bâches. J’ai été accueilli par les chefs des ultras, des mecs de la sécurité. Et là, quand tu te retrouves devant 8 000 personnes, tu ressens des frissons partout. C’est des moments que tu ne peux pas oublier. Surtout que sur scène, on m’avait demandé d’expliquer un moment particulier, une anecdote, et j’avais raconté le couloir d’avant le Bordeaux-OM de janvier 99 où, à quelques minutes de la rencontre, Sylvain Wiltord s’était déguisé en pompier, alors que les Marseillais arrivaient. Les mecs nous prenaient pour des fous. Surtout que Canal était déjà venu nous voir à l’hôtel pour qu’on les chambre un peu. On avait l’habitude après chaque repas de se mettre autour d’un café, certains fumaient leur cigarette. Là, on avait eu l’idée de demander au barman de nous amener du champagne, de mettre des flûtes, du whisky, du coca, les mecs avaient exagéré la fumée à l’image. Histoire de leur faire croire qu’on préparait notre match comme ça alors qu’on jouait le titre.

Ce jour-là, sur la place, la foule commence à chanter votre chanson « Lilian Laslandes, Lilian Laslandes quand le virage chantera et le but tu marqueras pour la joie de tes ultras » . Qu’est-ce que vous ressentez à ce moment-là ? Déjà, le fait d’avoir une chanson, c’est quelque chose de fou. Mon aventure bordelaise avait super bien commencé, j’arrivais d’Auxerre et j’étais un enfant du pays, donc j’étais attendu au tournant, même si j’avais déjà une belle carte visite. Revenir sur ses terres, ce n’est jamais facile. J’ai eu l’avantage d’avoir un premier match idéal où je marque à la 90e minute sur un coup franc de Gralak repoussé par Barthez. Ce jour-là, on avait gagné 1-0 contre Monaco. Pendant les cinq dernières minutes du match, j’étais ailleurs, même plus sur le terrain. Tout est revenu quand la pression est retombée totalement, que les larmes avaient fini de couler, je pensais à tout et n’importe quoi… Aux amis, aux copains, à des personnes qui n’étaient plus là… À la fin, Jean-Pierre [Papin, ndlr] vient me taper sur l’épaule et c’est à ce moment-là que je me suis demandé ce qu’il s’était passé pendant ces cinq minutes. Il y a des choses comme ça qui sont indescriptibles. Comme la joie d’un but. Je pense avoir toujours rendu aux supporters cette joie, toujours. C’est cette soirée, dans le local des ultras, qu’ils ont commencé à chanter ma chanson. L’entendre dans le local et dans le stade, c’est différent et encore plus fort.

J’ai connu des joueurs qui étaient meilleurs que moi, mais qui n’ont pas forcément connu ce que j’ai vécu, des personnes bridées à quatorze ans, alors que de mon côté, j’ai vécu ma jeunesse jusqu’à 17-18 ans.

D’où est venu cet amour des Girondins ?Je suis du Médoc, donc depuis tout petit. Au départ, je supportais Saint-Étienne, mais toute ma famille était pour Bordeaux. Je me suis mis à aimer les deux et je suis passé du côté Girondins à 12 ans. J’allais au stade tous les samedis avec mon père, mon grand-père, dans l’ancien stade où il y avait la piste, la Juve… C’est des moments que j’ai vécus en tant que supporter. Mes profs m’ont raconté plus tard qu’à l’école élémentaire, je répétais déjà que je voulais être footballeur pro. Dès que l’école était finie, j’allais jouer au foot, dans la cour j’organisais les matchs. Et ensuite, un brin de chance m’a fait basculer du bon côté. J’ai connu des joueurs qui étaient meilleurs que moi, mais qui n’ont pas forcément connu ce que j’ai vécu, des personnes bridées à quatorze ans, alors que de mon côté, j’ai vécu ma jeunesse jusqu’à 17-18 ans.

Pour vous, ça a été un avantage ?J’ai pu vivre des choses que d’autres n’ont pas vécu. Le centre de formation, je l’ai aperçu en arrivant à Auxerre parce que j’avais signé stagiaire pro. Les mecs avaient une sortie par semaine, pour aller au ciné. Alors quand t’as 13-14 ans, tu préfères être encadré, mais plus tard, quand les filles commencent à te convoiter, comment ça se passe dans la tête ? Donc pour certains, ce n’est pas passé, alors qu’ils étaient très doués. Le contexte familial a aussi son importance.

Quelle est la différence majeure entre le titre de 99 avec les Girondins et celui de 96 avec l’AJA ?À Auxerre, c’était davantage un travail de trois ou quatre ans. C’est la concrétisation d’un groupe qui s’était formé depuis un petit moment. Moi, je suis entré en cours de route et j’avais été parfaitement intégré. Tout le monde savait comment le club fonctionnait. Les anciens m’avaient expliqué d’entrée comment faire pour les négociations de contrat, d’apprendre à être patient, et Guy Roux était droit là-dessus. C’était sa force.

Comment s’est passé votre transfert d’Auxerre à Bordeaux ?Je sortais d’une belle saison. C’était celle juste après le titre. Encore une fois, tout s’est joué sur une discussion avec Guy Roux. Courbis venait de m’appeler, et pour moi, c’était Bordeaux, Michel Pavon, Micoud… Le club sortait d’une belle saison et il voulait juste ajouter deux choses : Diawara derrière et moi devant. Je vais voir Guy Roux et il me dit : « Lilian, avec ce que tu as apporté ici, t’as pas à t’inquiéter. Discute avec eux, on s’occupe du reste. » Je rencontre Courbis à Paris, il me présente le projet et je lui donne mon accord. Je suis parti en vacances tranquille, il restait deux ou trois millions à négocier. Une fois le truc réglé, j’apprends que Courbis s’en va à Marseille. Pour lui aussi, c’était son club de cœur, donc je comprenais la situation. C’était son rêve.

Le rêve a continué ensuite. La première saison, je mets quatorze buts, le président m’avait fixé une prime à quinze et il me la donne quand même pour l’ensemble de mon boulot sur et en dehors du terrain .

Guy Stéphan prend donc le relais pour quelques mois. Comment on se prépare à porter enfin les couleurs de ses rêves ?J’arrive dans une équipe super sympa avec Ramé, Saveljić… J’étais en train d’accomplir un rêve. Dès les premiers matchs amicaux, à l’entraînement, en mettant la tenue des Girondins, tu t’identifies enfin. Pendant toute la préparation, je mettais un but par match, donc c’était parfait. Le rêve a continué ensuite. La première saison, je mets quatorze buts, le président m’avait fixé une prime à quinze et il me la donne quand même pour l’ensemble de mon boulot sur et en dehors du terrain.

C’est l’année où Triaud prend seul la présidence. Quelle relation aviez-vous avec lui ?Comme aujourd’hui, mais il avait un peu plus de libertés au départ. À cette époque, il avait davantage la possibilité de dire non à certaines recrues. Les méthodes étaient différentes. On a senti une cassure quand M6 est arrivé au club en fait. Avant, on allait en cuisine, dans les bureaux, on disait bonjour à tout le monde. Dès qu’ils sont arrivés, on a eu interdiction de le faire. Nous, on continuait à faire ce qu’on avait l’habitude de faire, mais c’était différent. Il y avait le sportif et les bureaux.

Comme une fin de l’esprit de famille que vous évoquiez tout à l’heure…Clairement. Au départ, en plus, on avait les vestiaires sous le château, on montait par les escaliers. Après, on a eu un nouveau local qui nous éloignait toujours un peu plus des bureaux. On faisait toujours l’effort d’y aller, mais c’était différent.

Je me rappelle, une fois, avant un déplacement à Marseille, d’être allé dire à Baup que je ne me sentais pas bien et qu’il fallait faire jouer Kaba Diawara. Et Kaba a marqué deux buts. J’étais vraiment content pour lui parce que c’était aussi un mec super sympa

Les Girondins pour vous, c’est aussi l’histoire d’une rencontre avec Sylvain Wiltord. Comment s’est passée cette fusion ?Lui était arrivé un an après moi, en 98. Avant, je jouais avec Papin. Il arrivait de Rennes. C’était un garçon bon enfant, qui s’amusait beaucoup dans la vie aussi. Et sur le terrain, c’était la même chose. Notre complicité s’est rapidement installée. Dès le premier match contre Paris, on marque tous les deux, et Benarbia marque le troisième. Pareil lors du deuxième match. On avait un réel plaisir à jouer ensemble, surtout avec Jo et Ali derrière. C’était soit l’un, soit l’autre. Il n’y avait aucune jalousie, et si un jour, on était moins bien, on acceptait de laisser la place. Je me rappelle, une fois, avant un déplacement à Marseille, être allé dire à Baup que je ne me sentais pas bien et qu’il fallait faire jouer Kaba Diawara. Et Kaba a marqué deux buts. J’étais vraiment content pour lui parce que c’était aussi un mec super sympa. Et le reste de la saison, ce n’était que du plaisir.

Justement, on retient aussi une image. Ce but contre l’OM, en janvier, où vous ratez votre retourné et qu’il retombe sur la tête de Wiltord qui marque. Il vient vers vous, vous saute dans les bras.Ma relation avec Sylvain était forte, mais pas plus qu’avec les autres. On se retrouvait parfois en dehors, plus tard dans la soirée, au restaurant. Sylvain aimait bien sortir aussi. J’ai jamais été chez lui, mais certains matins, à l’entraînement, on se chambrait quand on voyait la voiture de l’un ou de l’autre en sortant de boîte. J’ai vraiment apprécié jouer avec lui.


Quelle était votre importance dans l’ambiance du groupe ? Dans un entretien, il y a quelques mois, Souleymane Diawara expliquait par exemple être allé dans votre établissement pour se remettre les idées à l’endroit lors d’une période de doutes à Bordeaux.Je ne me suis jamais caché. J’ai l’impression qu’une équipe doit être un groupe d’hommes avant tout, sinon on met des pointeuses, on pointe et on se casse après l’entraînement. On a besoin de se connaître dans l’adversité, dans la joie, dans la peine. Tu dois connaître le mec avec qui tu joues, et moi, j’étais pareil. Je voulais vivre ma vie et d’autres garçons aussi. Micoud ou Michel Pavon étaient plus réservés, mais ils le faisaient aussi par moments. Baup et Triaud étaient au courant. À la fin des matchs, ils nous disaient en rigolant de faire attention. Dans le groupe, Sylvain mettait aussi l’ambiance, mais sur le terrain, il assurait. On ne faisait pas attention à notre poids, si on voulait manger McDo, on le faisait. C’était nous. Reste qu’à l’entraînement, on se donnait des défis. Quand je vois certains exercices aujourd’hui, je pourrais encore les faire maintenant. Pour moi, le jeu cache beaucoup de choses. Sur le plan physique, tu ne peux pas mentir.

On dessine une vraie bande de potes dans ce titre, dans cette génération. Quelle image retenez-vous de cette saison, de cette fête ?Il faut comprendre qu’on a tourné avec quelque chose comme dix-sept joueurs à peine. On avait la chance, le plaisir de se retrouver ensemble, de se chambrer. Je me rappelle un match important qu’on gagne et après, on va au restaurant. On sort le soir, et le lendemain, on arrive dans le vestiaire un peu fatigués. Élie Baup commence à parler, et je commence à m’assoupir un petit peu. Et là, Michel Pavon frappe un petit coup dans les mains et fait sortir tout le monde du vestiaire. Je me réveille, seul dans le vestiaire donc, et en arrivant sur la pelouse, tout le monde m’attend pour m’applaudir. Des conneries comme ça, il y en a des paniers à raconter. Baup savait que sur le terrain, on faisait les efforts. Tu te permettrais de faire ça sans assurer derrière, ça ne serait pas passé.

Qu’est-ce qui a cloché lors de votre aventure anglaise ensuite ?Mes rapports avec le coach, Peter Reid. Quand je suis arrivé, j’étais le deuxième plus gros salaire du club. Nial Quinn commençait à avoir mal au dos et Sunderland m’avait recruté pour le remplacer. Ils m’avaient promis du beau football. Sauf que quand mon père vient me voir pour le premier match de championnat… Boom, boom, de longs ballons devant. À la fin du match, mon père me demande : « T’es sûr que ça joue au ballon ? » J’étais aussi surpris que lui parce qu’en amical, on avait tapé le Celtic, les Rangers et avec la manière.

Un matin, je suis arrivé à l’entraînement et il a annoncé le groupe. Je n’y étais pas, il m’a demandé de prendre un ballon et de m’entraîner tout seul. Il me disait que j’allais jouer et, dix minutes avant le match, alors que j’étais prêt, massé, il me disait d’enfiler mon costume parce que ça m’allait mieux et j’allais en tribunes.

C’était la découverte du kick and rush Oui, car au bout de trois matchs, le coach nous demande d’aller presser le gardien à trois attaquants. Je réfléchissais et, à un moment, je vais le voir et lui explique que ce n’est pas possible. Moi, j’avais été habitué en France à dire ce que je pensais. J’avais essayé de m’intégrer, j’apprenais l’anglais, j’avais fait des sorties golf, karting, paintball, avec le groupe. Sur le moment, ça se passait bien, mais dans le vestiaire, les mecs s’en foutaient. Le coach m’a répondu : « Eh, petit Français, c’est pas toi qui vas m’apprendre à faire jouer mon équipe. » De suite, j’ai compris. Quinn était encore au club, et moi, je ne pouvais pas jouer comme lui. Ce n’était pas moi. Un matin, je suis arrivé à l’entraînement, et il a annoncé le groupe. Je n’y étais pas, il m’a demandé de prendre un ballon et de m’entraîner tout seul. Il me disait que j’allais jouer et, dix minutes avant le match, alors que j’étais prêt, massé, il me disait d’enfiler mon costume parce que ça m’allait mieux et j’allais en tribunes. J’ai appelé mon agent pour l’avertir qu’au prochain manque de respect, j’allais en coller une au coach. Le jour où ça a recommencé, j’ai pris le maillot, je l’ai mis par terre et je l’ai piétiné. Je lui ai fait comprendre que celui-là, je ne le remettrais jamais. Je suis allé voir le président et je lui ai dit que c’était fini pour moi.

C’est à ce moment que Cologne arrive ?Via leur coach Ewald Lienen qui parlait français. Cologne cherchait un buteur, et comme avec Sunderland, ça ne se passait pas super bien, je les ai rejoints en stage en Espagne. J’ai marqué plusieurs fois en amicaux, et au retour du stage, Lienen est viré. J’ai compris que j’étais retombé dans une nouvelle galère. Au bout de trois matchs, où on était remontés un peu au classement, on prend les gros et on replonge. Je me blesse à l’ongle, un petit truc, et je m’étais fait un strap. Les dirigeants viennent me voir pour me dire que dans tous les cas, je ne serais pas là la saison suivante, qu’il fallait que je me fasse examiner par un assureur pour que ça soit l’assurance qui me paie et pas eux. J’appelle mon avocat pour m’assurer que je serais payé tout en partant en avril au lieu de fin mai. On signe les papiers, je rentre à Bordeaux et je profite de l’été pour me préparer à revenir à Sunderland. Je reviens en Angleterre et dès le premier entraînement, ça recommence. Le ballon, les entraînements tout seul… Je laisse passer deux-trois jours et je vais voir le coach pour lui expliquer qu’un membre de ma famille est en mauvaise santé, que je dois rentrer à Bordeaux. Ce qui n’était pas vrai. J’arrive là-bas, je vais voir un docteur pour qu’il me fasse un papier expliquant que je suis en dépression nerveuse, que je ne peux pas reprendre l’avion. Il envoie les papiers par fax en Angleterre. Dans ce bras de fer, Sunderland était obligé de me payer. Mais je m’en foutais de l’argent : ce que je voulais, c’était un club.

C’est donc l’été 2002. Vous vous préparez tout seul avant de rebondir en France, à Bastia.J’étais en vacances au bord de la mer, je sortais le soir avec mes copains, et mon agent m’a appelé pour me dire que Gili allait me téléphoner. C’était Bastia, et moi, ça me branchait. Je le préviens que je bosse de mon côté, mais que je sors aussi un peu. Il me demande : « Combien de temps pour te préparer ? » Il y avait une trêve internationale, donc ça tombait bien. Au moment de signer mon contrat, l’un des dirigeants du Sporting écarte ma main et me dit : « Regarde le contrat que t’as en Angleterre et regarde ce qu’on te propose ! » C’était un truc comme 70 000 F. Carrément moins qu’en Angleterre, quoi. Mais j’avais pas besoin de plus pour vivre tranquillement en Corse et payer mes impôts. J’ai signé, la Corse ça me plaisait, j’avais besoin de me retrouver.

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