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Mendilibar : « Cette crise sanitaire est venue bousculer nos esprits »

Propos recueillis par Antoine Donnarieix
7 minutes
Mendilibar : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Cette crise sanitaire est venue bousculer nos esprits<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Sevré de football depuis le 10 mars dernier et une défaite à Ipurua contre la Real Sociedad (1-2), le club d’Eibar s’apprête à reprendre une saison de Liga perturbée par la pandémie du Covid-19. L'entraîneur de l’équipe, José Luis Mendilibar, fait le bilan de cette période trouble et s’avance vers le monde d’après.

Avant ce déconfinement, il y a eu le confinement. Comment avez-vous occupé votre temps libre durant cette période ? Je me considère comme un privilégié. J’ai la chance de vivre dans mon village de naissance, à quelques kilomètres d’Eibar. J’ai une maison avec un petit jardin, c’est très agréable pour rester confiné. J’ai un chien, je le sortais tous les matins et soirs pour le faire gambader. La vérité, c’est que nous allions acheter de temps en temps à manger, mais en restant très vigilants sur les comportements à adopter. Si j’avais vécu ce confinement dans un appartement d’une grande ville avec une mobilité réduite, cela aurait été bien différent.

Qu’est-ce qui vous a le plus manqué ? Le fait de passer du temps avec les amis et les collègues, d’entretenir la relation humaine. Se parler derrière un écran, c’est bien, mais rien ne vaut la discussion en face à face. Ma famille était là pour me permettre d’interagir, mais mon quotidien professionnel me manquait énormément. Regarder du football ne me manquait pas plus que ça. En revanche, être avec les joueurs et leur parler, c’est vraiment irremplaçable. Aller à l’entraînement pour entraîner une équipe, ce n’est pas que venir, s’entraîner et repartir. L’approche est beaucoup plus profonde et complexe : tu vas établir le contact avec tes joueurs, discuter de tel ou tel sujet, organiser tes ateliers sur la pelouse comme dans le gymnase… La magie du football, je la ressens à travers le quotidien.

Il y a un mois de cela, je t’aurais répondu que le championnat ne pouvait pas redémarrer.

À titre personnel, est-ce que vous avez eu des doutes sur le fait que la Liga reprenne cette saison ? La pandémie s’est développée de manière ultra rapide. Il y a un mois de cela, je t’aurais répondu que le championnat ne pouvait pas redémarrer, car nous étions confinés et sans grande possibilité d’action. Cela semblait évident. Mais tout est revenu très vite : les bars sont accessibles, nous pouvons nous réunir en groupes de douze ou quatorze personnes, les cinémas ne vont pas tarder à rouvrir… Aujourd’hui, il y a toujours des morts, mais les chiffres ne sont plus aussi alarmants que ceux publiés en avril.

Quand on fait la comparaison avec l’arrêt définitif de la Ligue 1, est-ce que cette reprise en Liga est une décision que vous trouvez juste ?Le football est un sport de contact. Dès lors, il ne devient plus compatible avec une possible propagation du virus… En ce qui concerne le monde professionnel, nous sommes très contrôlés : nous avons déjà effectué quatre séries de tests, et la Liga s’apprête à accélérer ce processus avec de nouveaux tests quarante-huit heures avant chaque rencontre. À ce niveau-là, nous vivons dans une bulle à l’écart du quotidien de la société. À vrai dire, cela nous fait bizarre de passer toutes ces étapes aussi rapidement.


Vous avez pu constater l’état de forme de votre effectif avec un processus sur les règles de distanciation sociale liées à la propagation du virus. Quels changements constatez-vous par rapport au groupe que vous aviez à votre disposition en mars ? Paradoxalement, le moment où nous avons dû arrêter le championnat à cause de la pandémie était sans doute une bonne nouvelle pour l’équipe. Nos résultats étaient mauvais (cinq points pris sur vingt et un possibles, N.D.L.R.), nous avions beaucoup de doutes… Avec les entraînements que nous effectuons, c’est un peu de l’expérimentation au jour le jour. Mais sur le plan mental, je crois que cela va nous aider à mieux reprendre. Les deux prochains matchs contre deux gros adversaires vont être essentiels pour savoir dans quel état nous nous trouvons. Sur le plan de la durée, nous allons jouer onze matchs en cinq semaines, soit une rencontre toutes les soixante-douze heures. C’est une folie, un rythme exceptionnel que même les plus grandes équipes ne connaissent pas. Là-dessus, je crains beaucoup concernant les blessures à venir… Jusqu’à présent nous avons été épargnés, mais la course n’a pas encore démarré.

L’un de nos joueurs nous a expliqué qu’il préférait travailler chez lui, car sa femme était enceinte. La semaine suivante, il est finalement venu s’entraîner, mais il jouait avec la peur au ventre…

Les joueurs sont-ils inquiets eux aussi ?En Allemagne, il y a déjà des blessures liées à la reprise rapide des efforts. Mais eux, ils ne jouent que le week-end… Chez nous, cela va être encore plus intense. Aucun de mes joueurs de champ ne va faire onze matchs en intégralité, cela me paraît impossible. Nous allons devoir nous adapter de la façon la plus intelligente possible. Ajouté à cela, il existe aussi une inquiétude liée à la pandémie. Au départ, c’était le pire. Six joueurs devaient entrer sur la pelouse pour s’entraîner individuellement, puis six autres joueurs pouvaient se partager l’autre moitié du terrain. C’était irréel. L’un de nos joueurs nous a expliqué qu’il préférait travailler chez lui lors de la première semaine car sa femme était enceinte. La semaine suivante, il est finalement venu s’entraîner, mais il jouait avec la peur au ventre… Cette crise sanitaire est venue bousculer nos esprits.

Vous allez démarrer ce nouveau cycle à huis clos au centre d’entraînement de Valdebebas. Au-delà de l’aspect purement sportif, à quel type de rencontre vous attendez-vous ? Le rythme de la partie ne sera pas aussi intense que d’habitude parce que chaque équipe va posséder des incertitudes sur sa capacité physique à tenir 90 minutes. Travailler les oppositions à l’entraînement, ce n’est pas du tout la même chose que se préparer avec des matchs amicaux. Il y aura cette crainte de savoir comment cela va se passer, mais ce sentiment sera aussi partagé par notre adversaire. Le danger majeur sera d’éviter les blessures en chaîne. Sans public et rythme, la qualité du spectacle risque d’être fortement amoindrie pour une rencontre de Liga.

D’un point de vue pratique, comment comptez-vous faire pour être certain de ne rien attraper durant votre déplacement alors que vous vous rendez dans un lieu de passage ? C’est très compliqué. Par exemple, je sais que nous n’avons pas le droit de manger dans un lieu public avec plus de vingt personnes. Au-delà, il faut manger séparément. Sur les corners, c’est le même concept : comment faire cohabiter tous les joueurs dans un espace aussi réduit ? Bien sûr que nous faisons des tests, mais nous allons voyager en avion, dans l’aéroport de Madrid, en bus, puis les joueurs vont se changer dans le vestiaire et se doucher dans des lieux qui ne sont pas autant contrôlés que nous le sommes… Comment mes joueurs vont-ils se doucher après le match : collectivement ou séparément ? Je ne le sais même pas. Malgré cela, je pense qu’il faut relativiser : certaines personnes reprennent le travail et sont bien plus exposées que nous.

L’argent prédominerait-il sur tout ? Je ne veux pas y croire, et nous allons surmonter cette crise.

Il y a au moins une bonne nouvelle dans tout ce bazar : les accolades lors des buts sont de nouveau autorisées. Comment est-ce que vous voyez ce football de l’après ? Plutôt arrêter complètement le football que de ne pas célébrer ensemble les buts ! La célébration collective, c’est l’essence même du football et c’est pour cela que nous nous passionnons pour ce sport. Les premiers matchs ressemblaient davantage à une déshumanisation du football qu’à autre chose, cela ne peut pas rendre les gens heureux. Est-ce qu’à présent, nous jouons au foot uniquement par simple intérêt économique ? L’argent prédominerait-il sur tout ? Je ne veux pas y croire et nous allons surmonter cette crise. Le football se joue dans le but de faire vibrer les supporters, ça ne changera jamais. Nous avons l’envie de redonner du plaisir aux personnes qui regardent le football par passion, même si cela doit se faire via la télévision dans un premier temps.

La Liga souhaite devenir le premier championnat à autoriser du public dans l’enceinte à compter du 28 juin avec un respect des distances en tribunes. Quel est votre avis sur cette question ? Sans public, le match est équivalent à l’entraînement. Même le footballeur ne se comporte pas de la même manière avec ou sans public… C’est absolument vital pour notre sport. Attendons encore un peu, mais si la situation sanitaire continue de s’améliorer à partir du cinquième ou sixième match, nous envisagerons des stades remplis au tiers. Ce serait déjà une meilleure situation.

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