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Mejdaline Mhiri : « Au-delà de Pierre Ménès, c’est tout un système qui doit être remis en cause »
Dans la foulée de la diffusion du documentaire Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste de Marie Portolano et Guillaume Priou, Mejdaline Mhiri, co-présidente de l'association « Femmes journalistes de sport », veut continuer à se battre contre les inégalités et le sexisme dont les journalistes sportives sont victimes.
Qu’as-tu pensé du documentaire Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste de Marie Portolano et Guillaume Priou ? J’ai été ravie de le voir, il dénonce beaucoup de choses. Évidemment, en une heure, tout n’a pas été dit. On constate bien que pour travailler à la télévision, il faut correspondre à certains critères : être blonde et avoir un physique qui plait aux hommes. Le documentaire est très intéressant, et il faut aller au-delà, c’est pour cela qu’on a créé une association. Nous devons nous battre sur de nombreux sujets. Depuis plusieurs jours, on reçoit beaucoup de messages de la part de femmes qui ont décidé de quitter le journalisme parce qu’elles avaient subi du sexisme de manière trop répétée à leurs débuts. Certaines nous ont même expliqué qu’elles étaient « trop foncées pour passer à l’antenne »…
La diffusion de ce documentaire peut-elle faire peur aux jeunes filles qui veulent se lancer dans le journalisme ?Peut-être que cela peut avoir cet effet-là. Celles qui subissent le sexisme dès leur demande de stage alors qu’elles sont encore étudiantes doivent être soutenues. L’une des membres de notre association a d’ailleurs vécu une situation de ce genre. Alors qu’elle avait demandé un stage dans une rédaction sportive, le journaliste, qui avait 15 ans de plus qu’elle, ne répondait pas à sa demande, mais lui envoyait des textos tard le soir en lui disant qu’il voulait l’embrasser, il lui a demandé si elle était vierge et d’autres questions assez dures. Cette situation participe déjà à l’éloignement des jeunes femmes du journalisme sportif. Grâce à l’association, nous pouvons les soutenir et les aider. Nous devons faire preuve de solidarité et aller dans les rédactions pour dire : il faut embaucher plus de femmes. On veut donner envie aux femmes de faire ce métier.
Qu’as-tu pensé de la défense de Pierre Ménès ? Je n’ai pas écouté sa réaction en direct, car je travaillais pour l’association. Cela ne m’intéressait pas beaucoup. On sait que Pierre Ménès a un comportement horrible avec ses collègues. Je ne vais pas commenter ses excuses plus que ça, car je ne les ai pas regardées. Ce que je retiens, c’est que la parole des femmes se libère et qu’il y a besoin d’écouter tout cela. Au-delà de Pierre Ménès, c’est tout un système qui doit être remis en cause parce que s’il n’y avait que lui, ce serait un abruti dangereux et un homme dans son coin. C’est la partie émergée de l’iceberg, car il est loin d’être le seul. Le problème est bien au-delà.
Le timing est plus que parfait pour lancer l’association des Femmes journalistes de sport (FJS) avec la publication d’une tribune dans Le Monde… Cela faisait plusieurs semaines qu’avec cinq consœurs, on avait eu l’idée de se réunir et de créer une association composée de femmes journalistes de sport parce qu’on est nombreuses à avoir une histoire à raconter. On voulait lier la création de notre association à la sortie de ce documentaire. On ne savait pas comment il allait être pris. Depuis quelques jours, ça fait le buzz et c’est tant mieux. On est surprises que les gens soient surpris. Dans notre profession, la part de femmes représente 10%, et l’ambiance est particulière. L’an dernier, trois journalistes avaient pris la parole (Clémentine Sarlat, Tiffany Henne et Andréa Decaudin, NDLR) pour dénoncer ce qu’elles avaient subi dans leur rédaction. Cela allait du sexisme ordinaire au pur harcèlement moral et sexuel. C’est le panel de ce qu’on retrouve dans la profession. Quand on a lancé l’association, on a eu beaucoup de retours positifs de la part de nos consœurs. La création de cette association était nécessaire et attendue. De nombreuses personnes ont fait un don à l’association, notamment pas mal d’hommes. Il y a des hommes honnêtes et sincères et d’autres qui veulent se racheter une bonne conscience. L’association fait sens pendant cette période. On a besoin de soutien, qu’on nous écoute et le plus important : on a besoin de changements. Quels sont les objectifs de l’association ?Notre objectif est de créer un observatoire pour être capable de se compter, de savoir combien on gagne, à quels postes nous avons accès, etc. On veut établir des chiffres bien précis pour savoir si dans cinq ou dix ans la situation aura évolué. Beaucoup de gens nous disent : « On voit de plus en plus de filles à la télé. » Selon l’Union des journalistes de sport, on serait 300 pour 3000 journalistes sportifs. Cela représente 10%, c’est ridicule. Il faut davantage de femmes embauchées dans les rédactions et dans les postes de direction. Chaque femme n’est pas une féministe, mais cela participera au changement de cette ambiance de vestiaire qui a été dénoncée dans le documentaire. On veut également créer un annuaire, car de nombreux chefs d’entreprise pensent qu’il n’y a pas de journaliste sportive sur le marché. On veut aller voir un maximum de décideurs, on veut intervenir dans les écoles de journalisme pour expliquer aux étudiantes que le métier de journaliste est ouvert à toutes et qu’elles peuvent s’éclater dans ce métier qui est absolument magnifique.
Propos recueillis par Analie Simon