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Medjahed : « En Algérie, le football local a régressé »

Propos recueillis par Victor van den Woldenberg
6 minutes
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Ancien entraîneur du club de l'ASM Oran qu'il a quitté en fin de saison dernière, Nabil Medjahed profite de son temps libre pour ne rien louper de cette CAN. Avant le match des Fennecs face au Sénégal, le tacticien français d'origine algérienne revient sur le parcours chaotique des Verts et les conditions de formation de la première division locale. Un championnat qu'il connaît bien pour y avoir coaché plusieurs équipes depuis 2007.

Comment évaluez-vous le niveau de jeu de cette CAN ?Pour moi, deux équipes ont l’air de sortir du lot : le Sénégal et le Ghana. Ce sont deux équipes différentes. Le Ghana peut s’appuyer sur un collectif fort, c’est une formation homogène qui pratique un très beau football. Offensivement, c’est aussi très efficace. Sur ce point-là, le Sénégal dispose aussi de très très bons joueurs qui sont capables de faire la différence à n’importe quel moment. Ce sont ces deux équipes qui me semblent les mieux armées pour gagner cette CAN. Après, concernant le niveau de jeu, il est aussi conditionné par l’état des pelouses, qui sont parfois catastrophiques. Ce qui ne permet pas forcément aux équipes de développer leur football.

En dehors des pelouses, quelles sont les autres raisons qui font que certaines équipes, et notamment l’Algérie, n’arrivent pas à évoluer à leur meilleur niveau ?Concernant le niveau de jeu global, cela est surtout dû au fait que certains joueurs sont techniquement en dessous. Pour l’Algérie, il y a aussi un problème de stabilité. En dix-huit mois, l’équipe nationale a connu trois sélectionneurs. C’est trop. Vahid Halilhodžić avait mis en place quelque chose de vraiment convenable qui fonctionnait, notamment lors de la dernière Coupe du monde et de ce huitième de finale référence face à l’Allemagne. Ensuite, Christian Gourcuff est arrivé avec de bonnes idées. Il a instauré une nouvelle méthode de travail, une nouvelle conception de jeu. Les résultats étaient là, mais il a démissionné. Après, il y a eu Milovan Rajevac, mais c’était un entraîneur qui ne correspondait pas du tout à la sélection et il est parti lui aussi. Et aujourd’hui, on a Georges Leekens, qui représente encore une autre vision du jeu. Une sélection ne peut pas fonctionner de cette manière.

Comment le pays a-t-il vécu ces changements d’entraîneurs et la nomination de Georges Leekens au poste de sélectionneur, arrivé il y a trois mois ?

Leekens, il a déjà travaillé avec l’Algérie et n’a pas réussi. On a vu qu’il était hors circuit, surtout à travers ses choix tactiques.

Personnellement, j’étais très satisfait du travail de Vahid Halilhodžić. Sous sa direction, défensivement, l’équipe était très solide. C’était cohérent dans tous les secteurs du jeu. Gourcuff a poursuivi un peu le travail de Vahid en apportant de l’efficacité offensive. Après, le choix déterminant, il s’est fait dans la nomination de Milovan Rajevac, un entraîneur qui ne correspondait pas du tout à la mentalité du football algérien. Leekens, il a déjà travaillé avec l’Algérie et n’a pas réussi. On a vu qu’il était hors circuit, surtout à travers ses choix tactiques.

Notamment ceux effectués contre la Tunisie ?Tactiquement, on a vu que nos adversaires étaient déjà mieux en place que l’Algérie. On peut aussi lui reprocher certains changements comme celui de Brahimi en seconde période, l’un des créateurs de cette équipe, capable d’amener le danger. À l’inverse, certains joueurs, comme Bentaleb à la récupération, qui n’y étaient pas, sont restés sur le terrain. Sans parler de Sofiane Hanni, le buteur, qu’on n’a pas assez utilisé. Après, ces avis sont les miens et il faut respecter les choix du sélectionneur.

La situation dans laquelle s’est mise la sélection n’est-elle pas aussi due à une formation trop peu existante ?

Mis à part le Paradou AC, qui domine largement la deuxième division cette saison, et peut-être le NA Hussein Dey, très peu de clubs investissent dans la formation.

Bien sûr, même si l’État algérien et la Fédération ont investi énormément de moyens dans les structures de formation ces dernières années. Le centre technique national de Sidi Moussa inauguré en 2011 en résulte. Mais mis à part le Paradou AC, qui domine largement la deuxième division cette saison, et peut-être le NA Hussein Dey, très peu de clubs investissent dans la formation. Beaucoup sont très en retard par rapport au niveau professionnel.

Où se situe le niveau de jeu du championnat local ?Les deux meilleurs championnats sur ces vingt dernières années, et de loin, ce sont ceux de l’Égypte et de la Tunisie. Avec peut-être aussi celui du Congo, qui a récemment émergé grâce aux prestations du TP Mazembe. Le contexte politique de ces pays fait que ces championnats ont parfois un peu été mis de côté au détriment de celui de l’Algérie, mais l’écart reste grand. Par rapport au moment où je suis arrivé en Algérie en 2007, où il y avait de la cohérence, le football local a régressé.

Malgré cela, le championnat de D1 algérienne permet-il encore l’éclosion de jeunes talents ?Des joueurs algériens qui évoluent au pays et qui sont pétris de qualités, il y en a. Mais malheureusement, comme je l’ai dit, il n’existe pas réellement de cellules de recrutement qui permettent de repérer les jeunes talents. Sur ces dix dernières années où j’ai travaillé en Algérie, très peu de joueurs locaux ont pu s’imposer et s’expatrier. De tête, je citerais Rafik Halliche avec Soudani, Slimani et Bensebaini plus récemment, justement formé au Paradou, qui évolue aujourd’hui à Rennes. C’est Gourcuff qui l’a ramené.

Attendiez-vous plus de Riyad Mahrez ?

On ne peut pas compter que sur Mahrez.

Sur le premier match, il est à créditer d’une très bonne performance. Il sauve son équipe en marquant un doublé. Contre la Tunisie, il m’a semblé très fatigué, il passe au travers. Après, ce n’est pas seulement à lui de tirer toute l’équipe vers le haut. On ne peut pas compter que sur lui. Mais en règle générale, l’Algérie a trop misé sur ses individualités et pas assez sur son collectif. Et puis il faut voir dans quel contexte l’Algérie est entrée dans cette CAN. Carl Medjani, le capitaine de la sélection, a été écarté, tout comme Sofiane Feghouli, le vice-capitaine, sous prétexte qu’il ne disposait pas d’assez de temps de jeu. Donner le brassard à Mandi, un joueur très jeune, c’est une faute. Brahimi ou Mahrez l’auraient plus mérité vis-à-vis de leur expérience.

D’autant plus qu’en Algérie, la sélection nationale jouit d’une énorme cote de popularité, la pression populaire est très présente.Le football en Algérie, il est vécu de la même façon qu’au Brésil. Quand l’équipe nationale joue, les véhicules ne circulent pas. L’engouement populaire est incroyable, et je pense qu’il est normal que la population attende plus de cette équipe. Peu importe le résultat, face au Sénégal, il faudra faire mieux que contre le Zimbabwe ou la Tunisie.

Vous les sentez capables de l’emporter ?Cela me paraît irréaliste. Et je vois encore moins la Tunisie perdre contre le Zimbabwe. Le Sénégal va peut-être faire tourner son effectif, mais même sur le banc, le sélectionneur Aliou Cissé dispose de joueurs de calibre international. Ce sera compliqué pour l’Algérie, qui a hypothéqué ses chances dès la première mi-temps de sa rencontre inaugurale face au Zimbabwe. Le football n’est pas une science exacte, mais je ne crois pas au miracle.

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Propos recueillis par Victor van den Woldenberg

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