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Mediapro : Maxime Saada sort le bazooka
Maxime Saada, président du directoire du groupe Canal+, était auditionné ce jeudi matin par l’enquête parlementaire sur les droits TV. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a lâché les lions. Tout le monde en a pris pour son grade, de Didier Quillot à Vincent Labrune, Jaume Roures de Mediapro, Amazon, les acteurs du football français, tout le monde.
Non, pour Maxime Saada, le football français n’a pas la prétention à valoir plus d’un milliard d’euros. En 2018 comme aujourd’hui, la valeur structurelle de la Ligue 1 devrait plus tourner autour des 650 millions d’euros. C’est en tout cas comme cela que le président de Canal a commencé son exposé liminaire devant les députés Régis Juanico et Cédric Roussel, membres de l’enquête parlementaire chargée de faire la lumière sur le fiasco de Mediapro. Selon Saada, la France n’a pas une culture foot forte et comparable à l’Espagne, l’Italie, l’Angleterre ou le Portugal. « À l’étranger, les JT majeurs des premières chaînes traitent au moins dix minutes par jour des sujets foot. Combien sur TF1 ou France TV ? En France, on a un seul quotidien sportif, en Espagne on en a cinq. En France, le service public va déplacer les finales de coupes pour diffuser Fort Boyard. Au niveau du palmarès européen, on est comparable à l’Écosse, pas à l’Angleterre, l’Espagne ou l’Italie. »
Quillot, Labrune, Roures : tous responsables
Concernant l’échec de Mediapro en France, Saada désigne deux coupables : la Ligue, par l’intermédiaire de son ancien directeur général exécutif Didier Quillot, et Jaume Roures, président de Mediapro. D’abord, en 2018, Saada admet que la LFP a bouleversé l’organisation de l’appel d’offres en réduisant les exigences de garanties financières, « ce qui aurait permis d’attirer de nouveaux acteurs pas forcément solvables ». Là où l’ensemble des championnats étrangers demandent des garanties ou des acomptes, la France a fait le choix délibéré de renoncer à de telles exigences, prenant ainsi le risque de voir débarquer Mediapro, « alors qu’ils venaient de perdre l’appel d’offres italien après une décision de justice ».
Autre point cité, l’opacité des lots vendus lors des appels d’offres. « On ne peut pas miser sans savoir ce que l’on va diffuser. Il faut fixer d’avance les affiches pour savoir ce qu’on va pouvoir diffuser en fonction de nos mises. » Autrement dit, Saada reconnaît qu’il ne peut pas prendre le risque de payer autant et de surenchérir sans connaître précisément ce qu’il va payer et diffuser. Les affiches devraient être précisées en amont, au moment des appels d’offres.
Ensuite, l’absence de dialogue avec la LFP a été mise en avant. Alors que Canal discute régulièrement, d’après Saada, avec les acteurs du Top14, de la Formule 1, de la Moto GP ou du golf, les dirigeants de la Ligue rechigneraient à accueillir Canal et à écouter les propositions du groupe. « Quand Vincent Labrune m’a reçu et que je lui ai fait un certain nombre de propositions pour améliorer la valeur structurelle de la Ligue 1, on a cru que je remettais en cause leur gouvernance. » Pourtant, Saada en a fait, des propositions : « Nous avons proposé l’organisation d’un all-star game, de mettre des caméras dans les vestiaires, de mettre des micros sur les arbitres.[…]Nous avons soumis l’idée de démarrer plus tard la saison, mettre plus de matchs en début d’après-midi, éviter de mettre des grandes affiches à des dates peu compétitives, de renforcer la production de documentaires, avoir accès aux archives… »
Mediapro, le fossoyeur du football français ?
Enfin, Saada a vraiment une dent contre Jaume Roures. Le président de Mediapro n’aurait pas joué le jeu et aurait seulement tenté de rembourser son investissement dans le football français via Canal. « En 2018, vendredi, on perd les droits, samedi on prend contact avec beIN et Mediapro pour mettre en place des contrats de sous-licence. Je rencontre Roures plusieurs fois, on discute de schémas et il me propose de créer une chaîne ensemble.[…]De chaque côté, à Canal et à Mediapro, pendant un an, on travaille sur la création d’une chaîne diffusée par Canal et produite par Mediapro. Les négociations ont été bloquées par le montant exigé par Mediapro. Ils demandaient entre 474 millions d’euros et 662 millions d’euros.[…]En gros, Roures voulait nous faire payer le milliard voulu par la LFP et profiter des rentrées financières des abonnés.[…]La prise de contact de diffuser Mediapro sur Canal est faite par Canal, par nous. Dès le début, nous étions ouverts au dialogue, contrairement à ce qu’a dit Roures. On relance même en août. Sans nouvelle, jusqu’au 27 août où Mediapro exige des garanties inatteignables.[…]Roures voulait garantir 1,5 million d’abonnés dès la première année, avec une caution de 400 millions d’euros payée par Canal. »
L’audition, qui a duré plus d’une heure, a été très instructive. Maxime Saada a terminé son speech sur une critique d’Amazon, nouvel acteur américain qui augmenterait les risques d’une « invisibilisation » du football français. Entre les lignes, on devine surtout la peur de Canal de perdre l’ensemble des droits en 2024, si Amazon se positionne sur l’intégralité de la Ligue 1.
Par Pierre Rondeau