Que reste-t-il du gamin que vous étiez à Saint-André-Treize-Voies en Vendée ?
Il me reste les souvenirs d’un enfant qui débute le football dans un tout petit club. À cette époque, on commencait à jouer au foot assez tard, beaucoup plus que maintenant. Il n’y avait pas toutes les catégories de jeunes que l’on a maintenant, pas de débutant, poussin, benjamin… On rentrait dans un club à 13-14 ans. Saint-André-Treize-Voies était alors un petit village de 1000 habitants, mais on s’amusait beaucoup et on tenait la dragée haute à de nombreuses équipes du département. Chaque joueur garde, je pense, de très bons souvenirs de ses premiers moments de football.
Justement, à 60 ans aujourd’hui, quel regard global posez-vous sur la carrière que vous avez eue ?
Vous savez, à 14-15 ans, devenir footballeur était déjà l’un de mes rêves, mais pas le seul. C’étaient les débuts de l’écologie, donc je voulais aller aussi là-dedans, ou m’occuper d’une réserve naturelle. À aucun moment, à cette époque, je n’aurais pensé pouvoir avoir une carrière aussi riche dans le football. C’est arrivé plus tard. Mes premiers vrais souvenirs de ballon, c’est la Coupe du monde de 1970 au Mexique quand j’avais 15 ans avec la victoire du Brésil de Pelé. C’était le moment où pour moi, le football, c’était encore le ballon dans ma ferme.
Comment c’était le football pour un jeune au début des années 70 ?
Sans véritable arrière-pensée, on se laissait aller. On n’avait pas de plan de carrière, on jouait au foot pour s’amuser, on était porté par la vague. Et à côté de ça, mes parents me poussaient à faire des études, à aller au moins jusqu’au bac. J’ai continué mes études secondaires à La Roche-sur-Yon. C’était la priorité, une question de sécurité parce qu’à l’époque, avec ce diplôme, tu trouvais du travail très rapidement, ce qui n’est plus du tout le cas. Aujourd’hui, ce n’est qu’un passage.
Aviez-vous un modèle, un joueur qui vous faisait rêver plus qu’un autre ?
Bien sûr, et en réalité, plusieurs. Pelé en faisait partie, mais ce que je me rappelle surtout, sur la télévision de La Roche-sur-Yon, ce sont les matchs de Coupe d’Europe de l’Ajax Amsterdam. Je suis un fan inconditionnel de Johan Cruijff, c’était mon modèle absolu, une sorte d’idéal. Et à 17-18 ans, à mes débuts, je me suis beaucoup inspiré de Marius Trésor et Henri Michel, que j’ai retrouvés ensuite sur le terrain en équipe de France ou à Nantes.
Comment vous êtes-vous retrouvé à Nantes ?
Je suis arrivé en 1972 à 17 ans. Je suis originaire de la côte Atlantique et, à ce moment-là, Nantes avait une très bonne image, c’était l’un des clubs phares du championnat de France. J’avais également été approché par Angers et Rennes lors des matchs de sélections avec la région. Saint-Étienne m’avait même proposé de venir faire un stage et si je n’étais pas allé à Nantes, je serais peut-être devenu un autre joueur. Un Vert.
Comment s’est passée votre intégration ?
Très bien, il y avait déjà eu une grosse pré-sélection entre 15 et 17 ans. J’ai retrouvé Loïc Amisse par exemple et on vivait chez l’habitant. Moi, j’étais avec Omar Sahnoun, il n’y avait pas de centre de formation comme maintenant. La Jonelière est arrivée bien plus tard. Là, il y avait deux chambres et on allait souvent dans un café à côté avec les plus vieux comme Raynald Denoueix. Il y avait des tournois de billard, c’était une autre époque, on se retrouvait souvent après les matchs. Les stagiaires se mélangeaient avec le groupe pro, il n’y avait pas de différence. C’était l’esprit club et on était très libres dans notre comportement, dans notre vie, tout en restant hyper sérieux pour le foot.
Dès votre arrivée, vous avez surtout fait connaissance avec l’entraîneur : José Arribas.
José était quelqu’un d’hyper exigeant, d’excessif parfois même. C’était terrible. À côté, Coco Suaudeau était dur, mais pas autant. Je me rappelle un match amical quand j’avais 17 ans contre l’équipe professionnelle. Je jouais avec la réserve et j’ai raté plusieurs relances de suite. Arribas ne m’a pas lâché pendant plus de trois mois ! Coco me rassurait, me disait que ça allait passer. Si le jeu à la nantaise a été formé et inventé par José Arribas, il n’y a pas de secret.
Et vous avez connu Jean-Claude Suaudeau qui entraînait aussi la réserve à l’époque. Quelle différence avez-vous ressenti entre les deux hommes ?
Il était plus mesuré, pas aussi difficile à encaisser. Coco a évolué avec son temps et il était plus proche de nous dans l’âge, il jouait encore avec nous à ce moment-là, il était entraîneur-joueur, lui milieu gauche, moi juste derrière. Il nous faisait moins peur, il y avait plus de proximité. C’était également un génie pour son temps, mais José était vénéré, Coco son héritier.
Dans une interview à So Foot en 2005, Coco Suaudeau affirmait de nouveau que, selon lui, la génération championne de France en 1983 (le troisième titre de Bossis avec le FC Nantes, ndlr) était plus forte que celle de 1995 ?
Dans la tête de Suaudeau, l’équipe de 83 a toujours été la meilleure. C’est comme ça. Après, je trouve que c’est compliqué, voire impossible de comparer. C’est comme lorsque l’on essaye de comparer Maradona avec Pelé, Zidane avec Platini ou Messi avec je ne sais qui. Le débat est compliqué, voire ridicule, car il y a une différence d’époque. On était juste, je pense, plus maîtres de notre sujet en 1983, mais on reste avec les champions de 95 les deux équipes les plus belles de l’histoire du FC Nantes avec celle de 1966.
Au même moment, très rapidement, vous découvrez l’équipe de France avec qui vous partez en Argentine pour la Coupe du monde en 1978. Une compétition marquée par un contexte particulier, celui de la dictature militaire, et il y a des menaces de boycott. Vous vous retrouvez là-bas dans l’hôtel des Italiens qui vous photographiaient pendant les séances d’entraînement…
C’était incroyable, une époque de fous. On logeait à l’Hindu Club au même étage que la sélection italienne. On était même venus avec les dirigeants de la Ligue et de la Fédération qui étaient en vacances à l’hôtel. Sur le moment, tout ça nous paraissait logique. On avait voyagé en Concorde, c’était le seul élément qui sortait de l’amateurisme complet dans lequel on a vécu pendant ce Mondial. Pour nous tous, 78 c’était une finalité. J’étais dans la chambre avec Patrice Rio qui jouait aussi à Nantes. Il faisait tellement chaud qu’on mettait les matelas par terre pour échapper au chauffage qui était à fond. Les conditions étaient indignes, mais c’est aussi ce qui faisait le charme.
Il y a notamment ce fameux match contre la Hongrie (3-0) à Mar del Plata où vous jouez avec un maillot rayé vert et blanc.
Notre intendant s’était complètement planté. Il était formidable, mais ce jour-là, il n’avait pas reçu de fax à temps, et nous, comme les Hongrois, on avait nos jeux de maillots blancs. Incroyable, on était en tort, et une équipe locale (le Club Atlético Kimberley ndlr) nous avait filé des maillots. C’était un symbole de notre Coupe du monde au final.
Et quatre ans plus tard en Espagne, c’est le président de la Fédération du Koweït qui descend au bord de la pelouse pour faire annuler un but…
Aujourd’hui, les gens regrettent souvent les erreurs d’arbitrage, mais il y a de la bonne foi. Mais là, lorsqu’un président de Fédération, frère de l’émir, descend et fait annuler un but, on avait atteint des sommets. L’arbitre était un Russe, monsieur Stupar. Il m’avait même refusé un but pour un hors-jeu complètement imaginaire. J’ai encore en image Michel Hidalgo sur le banc en short avec son T-shirt rayé. Je ne l’ai jamais vu dans un état pareil, il était hors de contrôle, ça dépassait l’entendement.
1982, c’est aussi pour vous l’installation aux côtés de Marius Trésor, votre modèle de jeunesse.
Je jouais surtout à cette époque sur un côté, en tant que latéral, à gauche ou à droite. Marius était le patron de la défense à côté de Christian Lopez. Il y avait aussi Patrick Battiston et Manuel Amoros. On était un ensemble complet, au niveau et on s’offrait tous une confiance réciproque. Après, Marius, c’était Marius. Je l’ai remplacé lorsqu’il a pris sa retraite avant l’Euro 84.
Est-ce que vous vous êtes servi de cette expérience pour l’apporter à Marcel Desailly que vous avez accompagné en défense à ses débuts à Nantes dans les années 90 ?
Un petit peu, mais vous savez, Marcel n’était pas quelqu’un qui avait vraiment besoin d’être accompagné. J’avais 34-35 ans, lui 23, et je ne suis pas sûr que je lui ai beaucoup servi. Avec Marius, ils étaient faits pareils, deux mecs costauds et très solides défensivement. Pour moi, ce sont les deux plus grands défenseurs centraux de l’histoire du football français.
Quel est votre meilleur souvenir chez les Bleus ?
Je n’ai pas encore réussi à définir si c’est le meilleur ou le pire, mais c’est certainement le plus grand de tous. Bien sûr, Séville, le 8 juillet 1982, contre la RFA. Ce sont des moments que l’on veut vivre dans une carrière, tout était incroyable. Et ce, malgré mon échec lors de la séance de tirs au but. Comment est-ce possible que plus de 30 ans après, des gens de tous les âges viennent encore nous en parler ? Chacun se souvient où il était précisément ce soir-là. Certains nous racontent qu’ils étaient en vacances, d’autres qu’ils avaient 10 ans. On m’arrête encore souvent dans la rue pour parler de foot et très rapidement on arrive sur le match de Séville.
On a encore les images en tête de vos chaussettes baissées, comme celles de Marius Trésor.
Oui, les fameuses ! C’est une habitude que j’avais prise à Nantes, je pense que c’était pour éviter les crampes. Laurent Blanc faisait ça aussi après, les baisser plus bas que les protège-tibias. C’est avant tout psychologique, on était plus à l’aise comme ça, on se sentait moins comprimé, mais ça montrait aussi, le plus souvent, notre état de fatigue. Quand on les baissait, c’est que physiquement, on déclinait.
Votre carrière, c’est aussi une signature au Matra Racing de Lagardère, comment ça s’est fait ?
Pour tout vous dire, au départ, je ne devais pas y aller. Je devais signer au PSG qui, cette saison-là, fut champion de France, alors que je remportais le titre en D2 avec le Matra. Je m’étais mis d’accord sur un contrat de trois ans avec Borelli, mais plusieurs parties n’arrivaient pas à tomber d’accord, des soucis avec je ne sais qui pour je ne sais quoi. Mon agent a alors étudié les autres propositions. J’ai failli signer en Angleterre, à Tottenham. On était même allés à Londres avec mon épouse, et un contrat de trois ans m’attendait. Mais j’avais peur de vivre là-bas, surtout que le camp d’entraînement était à une heure de Londres. Et le Matra s’est présenté, j’ai senti que ça pourrait être ma dernière ambition, mon dernier challenge à long terme, donc j’ai signé pour quatre ans. Je pense que le projet, malgré quelques succès, a échoué parce que le football français n’était pas préparé au genre de gestion que Lagardère imposait. Un homme d’entreprise qui investit dans le foot, ça choquait à l’époque, et ma signature avait foutu le bordel.
Justement, il était comment, Jean-Luc Lagardère ?
Tout le monde a pensé que c’était un escroc quand il a investi au Matra en 1977. Mais c’était un vrai passionné depuis longtemps. Il était partenaire, avec Europe 1, du RC Lens et de Nantes. Il voulait même reprendre le FCNA un moment. On a fait plusieurs matchs de Coupe d’Europe avec lui, c’était un vrai fou de sport. Mais à l’époque, c’était quelque chose d’inconnu au-delà des erreurs de gestion qui ont tué le club.
Aujourd’hui, vous fêtez vos soixante ans. Comment vous voyez le foot dans six dizaines d’années ?
C’est difficile, en tout cas, je ne serai plus là pour le voir. Il y aura beaucoup plus de rythme, on verra un football peut être exceptionnel, mais sûrement plus virtuel. Aujourd’hui, tous les joueurs sont similaires et ont beaucoup de vitesse, avec une certaine classe. Les joueurs ne feront plus un mètre quatre-vingt-cinq, mais deux mètres, seront encore plus puissants. Le temps sera réduit pour la conservation du ballon, mais il y aura encore des Messi, des Pelé, des Maradona pour nous faire rêver.
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