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Maryan Wisniewski : « Mbappé doit éviter de devenir trop bon »

Propos recueillis par Julien Duez
10 minutes
Maryan Wisniewski : « Mbappé doit éviter de devenir trop bon »

« Vous avez du temps, j'espère. Parce que des souvenirs, j'en ai plein. » À quatre-vingts ans, Maryan Wisniewski coule des jours tranquilles dans sa maison de Carpentras. La carrière de ce Nordiste de naissance suffirait à remplir plusieurs bouquins sur le football d'une autre époque. Parmi ses plus grands faits d'armes, sa convocation en équipe de France à dix-huit ans et deux mois, un de moins que Kylian Mbappé, un ailier comme lui. Le record tient toujours, mais pas question pour autant de rester scotché dans le passé.

Vous savez qu’à un mois près, votre record du plus jeune joueur appelé en équipe de France (et encore vivant) tombait ?(Il éclate de rire.) Super, il y au moins une trace que je laisse ! Mais cela finira par venir, les records sont faits pour être battus. Kylian Mbappé est un joueur très talentueux et je lui prédis un bel avenir.

Vous connaissez un peu son profil ?Oui, je suis l’AS Monaco à la télé avec grand plaisir. C’est une équipe très agréable à regarder cette année, le jeu qu’elle propose est largement au-dessus du lot. Quand une passe arrive en retrait au niveau du point de penalty, il y a toujours deux ou trois gars qui sont prêts à la reprendre. Même le Paris Saint-Germain n’est pas aussi fort. Pourvu que ça dure !

Au milieu des années 1950, vous comptiez parmi les talents précoces du championnat de France. Mais à quoi ressemblait votre vie dans l’Artois, loin du faste de Monaco ?Vous savez, des talents comme moi il y en avait plein dans la cité ouvrière où j’habitais. Sauf qu’ils n’ont jamais osé partir tenter leur chance. Comme tout le monde, je travaillais dans le secteur minier. Mais attention hein, pas au fond ! Je ne suis descendu qu’une fois pour voir et j’ai vite compris qu’il n’y en aurait jamais de deuxième. Moi, j’étais dans les bureaux. Je m’occupais de l’inscription des ouvriers aux camps de vacances de la compagnie. Tous les matins de 8 à 10h, avant l’entraînement, puis de nouveau l’après-midi. D’ailleurs, la retraite que je touche chaque mois correspond à mes dix ans passés là-bas. Et franchement, ce n’est pas terrible.

J’étais au bataillon de Joinville, là où étaient casernés tous les sportifs professionnels. J’y ai passé trente-deux mois, c’était une période agréable, peu contraignante. De plus, la construction des locaux n’était pas complètement terminée, donc nous allions déjeuner aux studios Saint-Maurice tout proches, avec les vedettes de cinéma de l’époque. Difficile de se plaindre, non ?

En 1955, vous êtes appelé en sélection à tout juste dix-huit ans. Quel souvenir en gardez-vous ?Je ne suis pas le style de gars qui saute au plafond. Mais sans être prétentieux, je sais aussi que je n’étais pas mauvais à l’époque. Ma carrière professionnelle a commencé à Lens à l’âge de seize ans. Le premier à m’avoir vu en bleu, c’était un journaliste de L’Équipe, Gabriel Hanot (connu également pour avoir contribué à créer la Coupe d’Europe des clubs champions et le Ballon d’or, ndlr). Un véritable monsieur ! Lorsque je suis arrivé, je connaissais déjà la plupart des joueurs, puisque nous jouions les uns contre les autres en championnat. Mon intégration s’est faite très facilement, tout le monde a été très gentil avec moi.

Lors de la préparation à Clairefontaine, Mbappé a dû, comme les autres nouveaux, pousser la chansonnette à table en guise de bizutage. C’est quelque chose que vous avez également vécu ?Pas du tout. À mon époque, cela n’existait pas. En même temps, l’équipe venait d’être rajeunie, j’imagine que cela a dû jouer. De manière générale, nous ne vivions pas de longues périodes ensemble comme c’est le cas aujourd’hui. Le championnat ne s’arrêtait pas pour les matchs internationaux, qui avaient souvent lieu le mercredi. Le jeudi matin, nous étions déjà tous de retour dans nos équipes respectives.

On souligne parfois le caractère indiscipliné des jeunes joueurs professionnels. Vingt ans après son abrogation, pensez-vous qu’il faille rétablir le service militaire pour leur apprendre la discipline ?Pensez-vous, non ! Les temps ont changé, aujourd’hui les joueurs sont encadrés différemment à travers leur formation. Quand j’ai commencé, les sélections de jeunes n’existaient pas. On jouait en junior ou chez les A, c’est tout. Aujourd’hui, il y a un tri qui s’opère à travers les différents échelons et l’encadrement est très poussé, ce qui aide les gamins à développer leur maturité. Pas besoin de les envoyer à l’armée pour ça.

Racontez-nous votre période militaire justement.J’étais au bataillon de Joinville, là où étaient casernés tous les sportifs professionnels. J’y ai passé trente-deux mois, c’était une période agréable, peu contraignante : entraînement le matin et l’après-midi, match contre des équipes militaires le mercredi et le jeudi, puis retour dans nos clubs le week-end pour le championnat. De plus, la construction des locaux n’était pas complètement terminée, donc nous allions déjeuner aux studios Saint-Maurice tout proches, avec les vedettes de cinéma de l’époque. Difficile de se plaindre, non ? Et puis j’ai aussi fait partie de l’équipe de France militaire avec laquelle j’ai gagné le championnat du monde en 1957. C’était en Argentine, et cette année-là, nous étions au-dessus de tout.

En 1958, vous participez à la Coupe du monde en Suède où la France termine troisième. Mais votre service n’est pas encore terminé.Effectivement, j’avais été détaché pour l’occasion, alors que mon régiment était parti pour un stage de quatre mois en Algérie. J’avais vingt ans, j’étais le plus jeune de l’équipe et également le seul militaire, je devais donc rentrer immédiatement à Joinville. Mais au retour du tournoi, fin juin, j’ai rencontré une fille à Paris. Nous nous sommes éclipsés trois-quatre jours, je vous passe les détails. Pendant ce temps-là, mon commandant envoyait des télégrammes chez mes parents pour savoir où j’étais. Quand je suis retourné à la maison, les gendarmes m’ont embarqué jusqu’à la caserne et j’ai fini au trou pendant trois semaines !

La Coupe du monde 58 en Suède, nous aurions pu la gagner si Robert Jonquet ne s’était pas blessé contre le Brésil. À l’époque, il n’y avait pas de remplacements et nous avons joué une heure à dix. Contre Pelé, c’était intenable.

Pas terrible comme récompense.Ah, c’est sûr que c’est loin des primes d’aujourd’hui (rires) ! Je ne suis sorti de prison que pour le 14 juillet. On m’a appris à marcher au pas pour l’occasion, car nous défilions devant le général de Gaulle. Dans le public, une partie nous applaudissait, car ils pensaient que nous étions des paras à cause de notre béret. Mais de l’autre côté, de la chaussée, on voyait notre insigne et on se faisait traiter de planqués parce que nous avions un régime spécial.

Et puis il y a eu l’Algérie.Un passage obligatoire à l’époque. En 1958, la situation était explosive et la veille de mon départ, j’ai demandé à mon commandant la permission d’aller saluer mes parents. À l’époque, on ne savait jamais si on allait revenir. Permission refusée à cause de mon séjour en prison. Alors je suis allé voir un capitaine corse à qui je ne parlais jamais d’ordinaire : « Mon capitaine, je demande la permission d’aller dire au revoir à mes parents avant de partir en Algérie. » Un copain m’attendait déjà dehors avec une voiture pour m’emmener. « Tu me donnes ta parole que tu seras là demain matin ? » J’ai promis et il m’a laissé retourner chez moi. Mais mes parents étaient partis à la mer et je ne les ai jamais vus.

Comment s’est passé votre temps là-bas ?Pour être honnête, très calmement. Sur les deux mois et demi que j’ai passés là-bas, c’est le retour qui a été le plus agité. L’équipe qui avait participé à la Coupe du monde allait rencontrer De Gaulle. Mon chef est venu me chercher pour m’informer que je devais repartir en quatrième vitesse. Nous avons sauté dans sa jeep et parcouru les trente kilomètres qui nous séparaient de l’aéroport d’Alger, où l’armée avait affrété un avion spécialement pour moi. J’étais seul avec les deux pilotes ! En atterrissant à Vélizy-Villacoublay, on m’a emmené directement à l’Élysée et nous avons pu voir le général tous ensemble. Ma carrière militaire s’est terminée comme ça.

Revenons au Mondial suédois. Cela constitue votre meilleur souvenir ?Ah cette Coupe du monde… C’était un fameux bordel. Déjà, les amicaux de préparation étaient très mauvais. Nous avions remporté un match au Parc des Princes contre une sélection de joueurs du Racing et du Stade français (2-1), mais je soupçonne l’arbitre de nous avoir offert un penalty pour que nous ne soyons pas ridicules. Au retour, les supporters sont venus secouer notre bus en signe de mécontentement. Albert Batteux a alors décrété que nous étions atteints moralement et a décidé de nous donner congé pour la première semaine de préparation. « Allez à la pêche ! » , disait-il. Mais les anciens n’étaient pas d’accord et nous nous sommes finalement entraînés et avons enchaîné les matchs amicaux contre des équipes de division d’honneur. Je me rappelle une victoire 22 à 0. Très facile, mais elle nous a redonné le sens du but. C’est ce qui a fait que nous étions aussi forts en Suède. D’ailleurs, nous aurions pu la gagner, si Robert Jonquet ne s’était pas blessé contre le Brésil (en demi-finale, ndlr). À l’époque, il n’y avait pas de remplacements et nous avons joué une heure à dix. Contre Pelé, c’était intenable.

Aujourd’hui, je constate que c’est le physique et l’endurance qui priment, ainsi que les passes du plat du pied, pour plus de sécurité. Il suffit de regarder en Ligue 2 comme les joueurs arrivent à cavaler pendant tout le match… Mais techniquement, c’est pauvre.

L’année 1963 constitue un tournant dans votre carrière, puisque vous quittez Lens après dix ans dans le Nord.Moi, je ne voulais pas partir, mais le club était déficitaire et m’a vendu pour un très bon prix à la Sampdoria où j’ai passé une saison, avant d’être revendu à Saint-Étienne. Là encore parce que le club avait besoin d’argent.

En 1963 toujours, vous portez le maillot bleu pour la trente-troisième et dernière fois.(Il soupire) Eh oui. À la Sampdoria, nous n’étions que douze dans le groupe, dont deux gardiens. La question de savoir qui allait jouer ne se posait donc pas et c’est pourquoi on ne m’appelait plus en équipe de France : l’entraîneur craignait une blessure et le sélectionneur pensait que j’étais cramé. En arrivant à Saint-Étienne, Robert Lech, avec qui j’ai joué à Lens, m’avait entre-temps remplacé à mon poste. C’est comme ça.

Avez-vous des regrets aujourd’hui ?Non, vraiment aucun, si ce n’est mon passage à Saint-Étienne où je n’avais pas le sentiment d’évoluer à mon meilleur niveau : on me faisait jouer centre-avant, alors que je suis ailier droit. Et puis je suis resté à la mauvaise époque (1964-1966, ndlr). Les Verts sortaient d’un titre de champion de France et ne le sont redevenus que lorsque je suis parti. Mon parcours en première division s’est terminé à Sochaux en 1969 après trois très belles années qui m’ont beaucoup rappelé Lens, à travers le public ouvrier et chaleureux, le président paternel et l’ambiance familiale.

Après votre carrière de joueur, vous avez entraîné plusieurs équipes en France et en Suisse. Quelles différences globales faites-vous entre votre époque et celles de vos successeurs ?Je n’aime pas cette question, car on pourrait penser que je suis jaloux. À mon époque, quand les vieux parlaient de la manière dont nous jouions, ils donnaient déjà cette image. Après, je remarque quand même que les agents jouent un rôle de plus en plus important, ce qui peut être néfaste pour un jeune, s’il n’est pas bien entouré. Et puis dans le style de jeu, j’ai aussi l’impression que nous étions plus techniques, plus clairvoyants. Aujourd’hui, je constate que c’est le physique et l’endurance qui priment, ainsi que les passes du plat du pied, pour plus de sécurité. Il suffit de regarder en Ligue 2 comme les joueurs arrivent à cavaler pendant tout le match… Mais techniquement, c’est pauvre.

Pour finir, quels conseils donneriez-vous à Kylian Mbappé pour que la suite de sa carrière soit une réussite ?Qu’il ne prenne pas le cigare, comme on dit vulgairement. Je ne le connais pas personnellement et je suis sûr qu’il progressera encore, mais je lui conseille aussi de ne pas trop s’améliorer. Parce que si c’est le cas, il perdra certaines de ses qualités initiales. En tant qu’ailier, il pourrait par exemple être tenté de faire davantage de passes et de ne plus marquer. Et Dieu sait que des buteurs, on en a besoin en ce moment.

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