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Marouane Fellaini : « Je me suis construit à l’arrache »
Champion de Chine il y a un mois, Marouane Fellaini, 34 ans, a profité d'un crochet à Paris pour raconter son style, ses années anglaises et sa nouvelle aventure chinoise. Entretien touffu avec un homme qui a passé sa vie dans les airs.
Marc Wilmots a un jour dit qu’il n’y avait qu’un joueur comme toi dans le monde. As-tu aussi cette sensation ? La seule chose que je sais, c’est que je suis un joueur d’équipe. Tous les coachs que j’ai eus ont pu compter sur moi. J’ai joué différents rôles : 6, 8, 10, même attaquant. J’ai mes qualités propres. Je ne suis pas le joueur le plus technique, mais depuis que j’ai commencé chez les pros, j’ai progressé chaque année. Ça a donné le joueur que je suis aujourd’hui.
Depuis que tu es en Chine, on voit même parfois une autre version : un Fellaini capable de décrocher entre les centraux, d’être le premier relanceur… Je suis aussi le capitaine de l’équipe. Là-bas, je suis davantage un leader et mon jeu doit être celui d’un leader. Depuis que je suis en Chine, je fais du Fellaini, mais je joue aussi beaucoup plus avec ma bouche, je discute beaucoup plus avec mes coéquipiers, je marque un petit peu plus de buts (30 en 80 matchs depuis son arrivée au Shandong Taishan, NDLR)… On parle en anglais. « Left », « Right », mes coéquipiers comprennent et s’ils ne comprennent pas certaines choses, on a un traducteur. Ce n’est aussi pas le même tempo qu’en Europe. Si certains joueurs chinois vont en Europe, ils devront s’adapter. D’ailleurs, si je reviens en Europe, je vais devoir bosser deux fois plus pour retrouver le niveau demandé en Europe. C’est un tout autre football. Il n’y a pas beaucoup de joueurs étrangers qui réussissent à s’adapter, mais j’ai réussi à le faire. J’ai fait mon trou, dans un très bon club, on vient de gagner le championnat, la coupe. Je suis très heureux. Le seul bémol, c’est la Covid, mais ça fait partie de la vie.
Être leader, c’est quelque chose que tu recherchais ?Il faut savoir que dans la vie, même si ça peut surprendre, je suis quelqu’un de très timide. J’ai toujours fait mon taf sans crier sur les autres. Ce n’est pas dans mon caractère. En Chine, j’ai développé cette facette de ma personnalité. Je sais que j’ai toujours été respecté, partout où je suis passé, mais souvent, je laissais ce rôle de leader à d’autres. Aujourd’hui, s’il faut engueuler un jeune, je l’engueule. Je dis ce que je pense, je donne des conseils aux joueurs, aux dirigeants, au coach… Et ça fait du bien. En même temps, je suis l’un des plus vieux de mon équipe, j’ai fait plus de 500 matchs chez les pros, c’est aussi quelque chose de naturel. On peut dire que j’ai de l’expérience à revendre. Je parle beaucoup avec le directeur de l’académie, je donne quelques avis… Ça a payé, puisqu’on a gagné le titre.
Aujourd’hui, tu as envie de quoi ? Je ne sais pas trop, on verra avec le temps… J’ai 34 ans, je suis bien où je suis et j’ai encore un contrat longue durée. Honnêtement, je suis tombé dans un top club. En ce moment, c’est pourtant un peu la crise pour les clubs chinois, donc les étrangers commencent un petit peu à partir. Avec la Covid, il y a aussi plein de lois, on est dans une bulle pour le championnat… Ce n’est pas facile quand tu as ta famille.
Avec du recul, est-ce que tu as l’impression que les gens ont compris le joueur que tu as été en Europe ? Tu as été un roi des airs à une époque où on a loué le football de passes courtes, de mouvements… Je suis différent, mais j’ai fait le taf partout où je suis passé. J’ai bossé, j’ai joué, et c’est ça le plus important. Je m’en suis toujours sorti grâce à mes qualités, mon envie, ma détermination. J’ai joué pour des grands coachs et ils ont toujours trouvé que je pouvais faire le travail dans les deux surfaces. Certaines personnes n’aiment peut-être pas mon style, mais finalement, j’ai toujours joué, non ?
Et souvent avec une fonction très précise. Avoir Fellaini dans son effectif revient à avoir une arme tactique unique. On peut prendre un match pour le symboliser : le Manchester United-Ajax de 2017, où José Mourinho te met en 10 et où tout le plan de jeu semble être construit autour de toi. Tu sors de la rencontre avec 21 duels aériens disputés, dont 17 sur le plan offensif, tu finis aussi deuxième plus gros tacleur du match… La veille du match, Mourinho me demande si je peux jouer en 10. Ibrahimović est blessé pour la finale, donc il veut mettre Rashford en pointe et il veut que je l’épaule. Pour Mourinho, je joue en 10, aucun souci. Après, il faut centrer, jouer sur moi, je peux faire le boulot… C’est comme ça qu’on a joué, dominé et gagné. C’était un bon choix de sa part. Finalement, que ce soit en club ou en sélection, il y a pas mal de matchs où j’ai été une bonne arme pour mes coachs. Utiliser mes qualités, c’est aussi leur boulot. Moi, après, je le fais avec plaisir.
À ton arrivée en Angleterre, ça n’est pas aussi simple… Je me souviens très bien de mon premier match, en septembre 2008, à Stoke. J’arrive du Standard, où on domine le championnat de Belgique dans tous les domaines, et je débarque dans un autre monde. Je prends une claque sur l’intensité. Autre chose : Stoke City, en 2008, c’est que des longs ballons, la guerre… À la fin du match, qu’on gagne 3-2, je demande à Joseph Yobo : « C’est ça le foot ici ? » Après, je me suis adapté. Chaque semaine, c’est Liverpool, Manchester City, Manchester United, Chelsea, ça va à 2000, il y a des joueurs plus physiques, plus techniques… En arrivant, je savais que j’allais un peu souffrir et j’ai souffert, surtout qu’au départ, Everton ne tourne pas très bien. Le déclic, c’est une victoire mi-novembre, à Tottenham. Derrière ce match, ça tourne, on fait une grosse saison, on termine cinquième, on va en finale de la FA Cup contre Chelsea… J’ai 20 ans, je fais une top saison, je découvre un nouveau poste, c’est le régal.
Ce poste, c’est celui de numéro 10. Ce n’est pas bizarre pour toi, au début ? C’est sûr que c’est un autre style que Zidane. (Rires.) Au Standard, je jouais 6-8, mais en arrivant à Everton, Yakubu se blesse, donc David Moyes change un peu le système et décide de me mettre là… Ça fonctionne, je marque des buts : je termine même meilleur buteur d’Everton.
Tu penses pouvoir être une arme dans n’importe quel système ? Oui, parce que je ne suis pas con. (Rires.) Quand il est arrivé à Manchester United, Louis van Gaal m’a un jour dit que je ne rentrais pas dans son système. Je lui ai dit : « Pas de souci, je vais m’entraîner, on verra bien… » Après deux semaines, je lui ai montré un peu ce que je valais, et il m’a fait jouer.
Pour en arriver là, il paraît que tu t’es, à une période, infligé du rab de séances physiques. J’étais super mince en arrivant, et il a fallu que je transforme mon corps pour répondre à l’impact physique. Je n’ai jamais eu peur d’aller au contact, d’être agressif, mais il fallait être capable de l’encaisser. L’autre élément, c’était l’intensité des échanges. Tout va plus vite en Premier League, donc tu ne peux pas négliger ton contrôle de balle, la position de ton corps…
Sur ta première saison, ça va quand même parfois trop vite pour toi. Tu finis la saison avec douze jaunes, on te demande de lever un peu le pied… Mais les arbitres, aussi… Sur ces douze jaunes, il y a la moitié que je ne dois pas recevoir, mais j’ai appris avec le temps à maîtriser cet aspect du jeu. Finalement, j’ai eu combien de rouges dans ma carrière ? Cinq ? On dit souvent que je suis agressif, mais j’ai toujours essayé de l’être dans le bon sens du terme. Je ne suis pas un joueur méchant. En revanche, j’ai reçu des coups que les gens n’ont pas vus…
Tu as le sentiment d’avoir été jugé plus sévèrement ? Bien sûr, mais tu finis par l’accepter. C’est peut-être dû à mon gabarit, mon style de jeu, je ne sais pas. Un jour, lors d’un Manchester United-Leicester, sur une touche, je me suis fait arracher les cheveux par Robert Huth. J’ai cru qu’il allait me casser la nuque. Je lui ai mis un coup de coude pour me protéger, mais j’avais tellement mal… J’ai eu une réaction automatique. On a pris jaune tous les deux et, derrière, on a pris trois matchs de suspension chacun. Ce n’était pas mérité.
Toi aussi, tu as un jour tiré des cheveux… Si je vous raconte l’histoire avec Guendouzi, vous n’allez même pas me croire. Je vous jure : dans ma course, ma main s’est accrochée à sa boucle. Je suis derrière lui, mais ce n’est pas volontaire. Je le jure sur la tête de mon frère ! (Rires.) Tout ça pour dire que parfois, les arbitres ont exagéré avec moi. Ils ne regardaient que mes coups, pas ceux des autres. Avec le temps, je me suis assagi et j’ai arrêté de discuter avec les arbitres. Je ne suis pas quelqu’un qui pleurniche, je prends sur moi, je fais mes matchs, je rentre chez moi, point. Je suis comme ça.
Tu n’as jamais voulu changer un peu ton image ? Je ne suis pas quelqu’un qui parle beaucoup. Je réponds sur le terrain. J’ai toujours fonctionné comme ça, mais je ne le fais pas pour répondre à la presse ou je ne sais quoi. Je le fais pour montrer au coach qu’il peut compter sur moi. À la fin, c’est ça le plus important : le coach, mes coéquipiers, le club… Et eux, ils ne m’ont jamais rien reproché. Il n’y a jamais un coach qui m’a dit qu’il ne comptait pas sur moi, si ce n’est Van Gaal, qui ne me connaissait pas trop, et j’ai bossé pour gagner ma place. Avec Ole Gunnar Solskjær, on n’a pas trop discuté. Il a fait ses choix, j’étais blessé, j’ai reçu cette offre de Chine, je me suis dit pourquoi pas, après tout ce temps en Angleterre… Je voulais voir autre chose.
Tu as été déçu de ton passage à Manchester ? Je préfère ne rien dire, je n’ai pas besoin de le faire, mais Manchester est une institution. Il n’y a pas moyen de convaincre qui que ce soit. Je pense simplement que pour construire une équipe, il faut du temps, de la continuité. Liverpool a laissé du temps à Klopp. J’espère que Manchester United va aussi amener un coach en fin de saison qui restera cinq ou six ans. Moi, la seule chose que je regrette, c’est de ne pas avoir gagné le championnat. On a terminé deuxième avec Mourinho, c’est dommage. Quand tu joues cinq ans à Manchester United, tu espères gagner au moins une fois la Premier League. J’ai gagné des coupes et la Ligue Europa, mais ce n’est pas pareil que le championnat. Le championnat, c’est un rêve. Pour retrouver les sommets, le club va devoir construire.
Est-ce qu’en tant que joueur, tu sentais le poids des avis extérieurs, des anciens joueurs ? Beaucoup de personnes parlent sur les grands clubs. Tous les ans, c’est un nouveau grand joueur qui donne son avis. À la fin, tu as envie de lui dire : « Vas-y, viens jouer ! » Certains anciens joueurs oublient qu’ils ont été joueurs. L’important, pour moi, c’était de gagner, de faire mon match.
Toi, le club n’a pas essayé de te retenir ?Je me souviens d’un match de Cup contre Reading, début janvier, en 2019. Je débute sur le banc, on me dit que je ne suis pas prêt physiquement… J’entre vingt minutes, mais dans ma tête, j’avais compris. Dès que l’offre de Chine est arrivée, je suis parti. Ça ne servait à rien de parler, de chercher des explications. Même si tu as gagné de l’argent pendant ta carrière, il faut aussi parfois penser à son futur. J’ai joué cinq ans et demi à Manchester, et la vraie saison difficile a été la première. Derrière, j’ai fait mes matchs. J’ai été le premier transfert de l’ère post-Ferguson, je suis arrivé avec David Moyes, qui m’a donné mon premier contrat en Angleterre, m’a fait découvrir le haut niveau, et j’ai tout pris dans la tête. Même quand je n’ai pas joué pendant deux ou trois mois parce que j’avais le poignet cassé, on me critiquait. J’étais chez moi, sur mon canapé ! J’ai pris cher, mais j’ai mûri. Ça a été une mauvaise saison pour moi, mais j’ai pas mal appris. Finalement, j’ai fait ma place et j’en suis fier parce que quand j’ai commencé à jouer en Belgique, je n’aurais jamais pensé jouer un jour en Angleterre. Au maximum, je me voyais jouer en Ligue 1, que je regardais quand j’étais en Belgique, sur TF1…
Quand as-tu compris que tu pouvais aller plus haut ? Je pense que c’est lors de ma deuxième année au Standard. À cette époque, je suis là, je ratisse des ballons, je suis parfois décisif dans la surface adverse, je sais défendre ma surface, et il y a ce match contre Liverpool, en août 2008 (3e tour préliminaire de C1, NDLR)… Normalement, on doit les sortir. On leur marche dessus. D’ailleurs, si on les sort, je pense que je reste au Standard. Le destin : on perd, Everton, qui m’a scoutépendant un an, vient avec une belle offre… Ils ont senti que je pouvais être un joueur de Premier League. Ce qu’ils ont aimé chez moi, notamment, c’est que j’enchaînais les efforts, que je courais déjà 12 kilomètres par match. J’ai toujours eu les meilleurs tests physiques partout où je suis passé et quand j’étais petit, à l’école, je terminais toujours dans les trois premiers lors des courses. Derrière, même si je n’ai pas fait de grand centre de formation, j’ai progressé techniquement et tactiquement. Je me suis construit à l’arrache et je n’ai jamais triché.
Qu’est-ce que te demandait concrètement David Moyes à Everton ? Il fallait défendre, ne pas laisser l’adversaire jouer. Je devais donc fermer le milieu défensif adverse, et avec le ballon, mes coéquipiers devaient jouer long sur moi. Après, il y avait des combinaisons, j’essayais d’aller finir dans la surface adverse… J’ai pas mal travaillé mon timing quand j’étais jeune.
Comment as-tu aiguisé ton œil foot ? Qu’est-ce qui te faisait kiffer, toi ? Quand j’étais jeune, je ne regardais pas trop le foot. Je préférais jouer. Je regardais juste les belles finales, les grands clubs… Aujourd’hui, c’est différent, surtout depuis que je suis enfermé à l’hôtel en Chine à cause de la Covid. Je regarde beaucoup la Premier League, un peu la Ligue 1… Beaucoup de gens sous-estiment le championnat français, mais il est très dur. Certains joueurs y vont et ne réussissent pas. J’ai des amis qui y sont allés et n’ont jamais réussi, alors que c’étaient des bons joueurs.
Avant le dernier Euro, il a été question que tu reviennes potentiellement chez les Diables rouges. Tu y as pensé ou pas du tout ? Les coachs connaissent ma mentalité. Ils savent ce que je peux apporter à l’équipe. Je suis quelqu’un de bien, de respecté, qui aime bien rigoler… J’aurais pu revenir, mais j’aurais dû faire une quarantaine, j’avais promis à mon club de rester, c’était trop compliqué. En plus, quand je promets quelque chose, je m’y tiens. Eden a essayé de me convaincre de revenir, mais je lui ai dit qu’il y avait assez de top joueurs et qu’ils n’avaient pas besoin de moi. J’ai quand même regardé l’Euro.
Tu penses que tu n’aurais pas eu ta place ? Je ne dis pas que j’aurais été titulaire, mais j’aurais pu être sur le banc et entrer. Maintenant, j’ai raccroché avec la sélection, c’est comme ça… En plus, à un certain âge, ça devient plus compliqué, surtout qu’en Chine, le niveau n’est pas le même. Il faut savoir tourner les pages. L’objectif, maintenant, c’est de continuer à gagner avec Shandong. Guangzhou a gagné le championnat pendant plusieurs années de suite. On aimerait le faire aussi.
Tu as envie de rester dans le foot plus tard ? Je veux absolument rester dans le foot, être dans la structure d’un club, directeur technique, un truc comme ça. Je vais passer mes diplômes de coach, mais coach… Parfois, je me dis oui, parfois non. J’aime bien discuter ballon, je connais des gens qui aimeraient bien travailler avec moi après ma carrière, on verra. Pour le moment, je suis encore joueur et tant que je suis bien physiquement, je vais continuer. Je ne dis pas que jouer au foot est la seule chose que je sais faire, mais c’est la seule chose que j’aime faire. J’ai aimé ça toute ma vie.
Propos recueillis par Maxime Brigand et Matthieu Darbas