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Marko Elsner, le soldat romantique du Ray s’en est allé

Par Simon Butel
Marko Elsner, le soldat romantique du Ray s’en est allé

Joueur de l'OGC Nice durant cinq saisons et véritable Niçois d'adoption, Marko Elsner est décédé ce lundi à l'âge de soixante ans. Fils de l'un des plus grands théoriciens du football slovène et père de Luka, l'actuel entraîneur d'Amiens, c'est exclusivement comme joueur que l'ancien libéro aura forgé sa légende et perpétué l'héritage familial. Laissant au stade du Ray l'image d'un joueur aussi combatif que brillant techniquement, comme il en abondait jadis en ex-Yougoslavie. Mais aussi le souvenir d'un geste d'exception qui amena, un soir d'octobre 1987, le plus beau but de l'histoire du Gym.

Démarqué dans la surface de réparation parisienne, Marko Elsner semble un peu trop en avance sur le ballon, délivré par-dessus la défense par Claude Goudard. Difficile, dans ces conditions, de le reprendre en une touche, et même de le contrôler. Que faire ? La réponse vient du deuxième poteau, en slovène, langue natale du défenseur niçois, mais aussi de l’attaquant franco-allemand Tony Kurbos, natif de Maribor : « Druga (deuxième, en VF) ! » Un mot magique pour Elsner, qui arme une aile de pigeon aérienne, lobe le dernier défenseur et sert au second poteau l’homme à la moustache, qui conclut d’un ciseau magnifique dans la lucarne de Joël Bats. Divin. Inoubliable.

Élu plus beau but de l’histoire de l’OGC Nice en 2014, ce pion est d’autant plus mythique que ses deux géniteurs n’auraient pas dû être sur la pelouse du stade du Ray ce 17 octobre 1987. Victime d’un claquage trois semaines plus tôt, Kurbos, un seul entraînement dans les pattes, pouvait à peine s’asseoir le matin du match, la faute à une vertèbre bloquée. Elsner a lui fait fi d’un arrachement ligamentaire de la clavicule, subi dix jours plus tôt à Toulouse, pour disputer cette partie.

De la balade de Platoche à la Promenade des Yougos

Il y a ainsi, dans ce but, tout ce que le public du Ray a tant aimé – au point pour certains supporters de le placer dans leur onze de légende des Aiglons – chez feu Marko Elsner, disparu ce lundi 18 mai à tout juste 60 ans : l’abnégation et le sens du sacrifice d’une part, et l’aisance technique d’autre part. Aisance qui permit d’ailleurs au défenseur central de formation d’effectuer sur la Côte d’Azur des intérims remarqués dans l’entrejeu du Gym. En 1987, son influence y était telle que France Football osa une suggestion bien à-propos, au lendemain de ce Nice-PSG où le Slovène avait ouvert le score (2-0, 15e journée de D1) et été désigné homme du match : renommer la célèbre avenue longeant la mer Méditerranée « Promenade des Yougoslaves » . À défaut de laisser son nom au patrimoine architectural de « Nissa la Bella », Elsner le grava indéniablement dans les cœurs niçois au fil de ses cinq saisons (147 matchs) sous le maillot rouge et noir. Trois en D1 (1987-1990), conclues sur un barrage retour d’anthologie au Ray face à Strasbourg (6-0, défaite 3-1 à l’aller), et deux en D2 (1991-1993), où le club azuréen est tombé un an après son départ pour l’Admira Wacker, en Autriche (1990-1991).

Avant de faire le bonheur des Aiglons, Marko Elsner avait fait celui de l’Olimpija Ljubljana (1980-1983), le club de la ville qui l’avait vu naître le 11 avril 1960, et qui fut longtemps coaché par son paternel, Branko, l’un des pères fondateurs du football slovène. Puis il roula sa bosse au sein de la grande Étoile rouge de Belgrade (1983-1987), avec laquelle il remporta les deux seuls trophées de sa carrière (le championnat de Yougoslavie en 1984 et la coupe nationale en 1985) et qui lui ouvrit les portes de la sélection, avec laquelle il cumula quatorze capes. Avec les Plavi (les Bleus), le défenseur central disputa ainsi l’Euro 1984 en France et les Jeux olympiques de Los Angeles – dont il finit médaillé de bronze – la même année. Il fut ainsi aux premières loges pour assister au double sacre de l’équipe de France. D’abord sur le banc de Geoffroy-Guichard, d’où il vit Michel Platini, auteur d’un triplé, mettre à lui seul son équipe à genoux lors du troisième match de poule (3-2). Puis sur la pelouse du Rose Bowl de Pasadena, où il ne put barrer la route de la finale aux Bleus (4-2).

Nice, ville d’adoption et de transmission

Débutée en queue de poisson, l’histoire liant Elsner à la France finit donc en love story dans la baie des Anges. Une fois sa carrière terminée, celui qui porta également deux fois le maillot de la Slovénie en 1992 et 1993 resta d’ailleurs à Nice. La cité azuréenne occupe une place d’autant plus importante pour la famille Elsner que les deux rejetons, Luka (arrivé à Nice à l’âge de cinq ans) et son petit frère Rok (né en 1986, aujourd’hui à Al-Nasr, en D1 omanie), y ont appris les rudiments de la vie et fait leurs armes de footballeurs. « Nice, c’est ma deuxième maison, résume le premier. Je me souviens de notre arrivée en France, je suis petit, je ne parle pas la langue et on m’envoie à l’école… Là, je dois me débrouiller avec mes armes et c’était pareil pour mes parents, qui ne parlaient pas un mot de français. Mais à cinq ans, tu n’as pas le choix, et en trois mois, je parlais français, j’aidais mes parents à remplir des papiers administratifs. Finalement, ça a été un gain dans ma vie d’avoir été exposé à ça, mais aussi à cet environnement : l’OGC Nice, mon père professionnel, le stade du Ray… »

Faute de passer le cutau Gym, l’actuel entraîneur d’Amiens assure avoir forgé une bonne partie de son ADN d’entraîneur durant ses années niçoises. En particulier les plus jeunes, passées à observer les exploits de son père sur les pelouses de l’Hexagone. « Mon éveil au jeu s’est surtout fait aux côtés de mon père, confie le technicien. Je ne voyais mon grand-père que pendant les vacances et quand je suis revenu au pays, au début des années 2000, il commençait à être malade, donc c’était plus compliqué… Mon père, lui, m’a ouvert à une autre vision : c’est un créatif, un romantique, quelqu’un qui recherche l’esthétisme. Je suis né entre ces deux approches. » Cet esthétisme, Marko Elsner l’a non seulement incarné à chacune de ses sorties sous le maillot des Aiglons, mais aussi immortalisé, d’un geste aussi gracieux qu’efficace, le 17 octobre 1987. Gagnant ainsi pour de bon sa place au panthéon du football niçois. Et perpétuant à sa façon le riche héritage footballistique familial, aujourd’hui en bonne partie entre les mains de Luka.

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Par Simon Butel

Propos de Luka Elsner recueillis par Maxime Brigand.

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