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Marco Bizot : « Le réfugié que j’aidais ne savait pas à quoi ressemblait une piscine »
Gardien référencé en Eredivisie, Marco Bizot a attendu la crise de la trentaine pour tenter l'aventure dans un grand championnat européen. L'été dernier, le troisième gardien des Oranje a pris la direction de Brest avec un seul objectif en tête : ajouter une nouvelle expérience à une carrière déjà bien remplie. De la Hollande à la Bretagne, entretien avec un dernier rempart qui n'hésite pas à donner de son temps pour les autres.
Comment se passe ton adaptation jusqu’à présent à Brest ?C’est toujours un gros investissement et un gros travail de se familiariser à un nouveau pays, un nouveau style de vie. Il faut s’habituer à l’environnement, à la langue, la culture… Mais jusqu’à présent, les choses se passent bien. Et si je dois parler de moi, c’est plutôt une bonne saison jusqu’à présent.
Tu as pu visiter un peu la ville et la région ?La ville n’est pas très grande, donc tu peux rapidement l’explorer. On est au bord de l’océan, il y a un grand port industriel, où on construisait des bateaux. Il y a plusieurs restes du passé, comme le château et quelques jolis immeubles anciens. On essaie aussi de visiter les alentours, la Bretagne est une belle région. C’est très différent des Pays-Bas, là-bas quand tu fais deux heures de voiture, tu es en Belgique ou en Allemagne. Ici, il faut deux heures pour arriver dans la prochaine ville et tu es toujours dans la même région. (Rires.) On est allés sur la Côte de granit rose et à Quimper, j’ai beaucoup aimé.
Tu es arrivé l’été dernier et tu as joué très vite contre Lyon. Tu as eu le temps de préparer ce match ?Un jour, mon agent m’appelle : « Prend tes chaussures, prépare-toi, on part en France. » « Ok, pas de problème. » On a fait nos valises et on est partis, les parents de ma femme nous ont accompagnés pour garder mon fils. Je suis arrivé, j’ai signé mon contrat et le premier jour, je me suis entraîné tout seul. Le lendemain, j’étais avec l’équipe, et le troisième jour, j’ai joué ce match contre Lyon. Je ne connaissais le nom d’aucun de mes coéquipiers, je n’avais absolument aucune préparation. C’était vraiment complètement fou.
Vous débutez avec onze matchs sans gagner, avant une série de six victoires consécutives. Comment vous avez géré ce début de saison ?C’était vraiment inhabituel. J’ai quitté l’AZ Alkmaar, où on était tout le temps dans les trois ou quatre premiers, on gagnait presque tous les week-ends. Et d’un seul coup, j’étais à Brest, avec une équipe qui évolue dans un nouveau système tactique, avec de nouveaux joueurs et un nouveau coach, on commence à faire quelques matchs nuls, à perdre des matchs… C’est dur mentalement. En tant que footballeur, tu as envie de gagner. Notre première victoire contre Monaco était assez inattendue, et d’un coup, la confiance est revenue dans l’équipe. À partir de ce moment, on trouve notre système, chacun savait mieux ce qu’il devait faire, comment défendre collectivement, tout était plus simple. Les six victoires d’affilée se sont enchaîné grâce à ça.
Qu’est-ce que ça change, dans ton approche, de jouer le maintien ?Cela demande un certain fighting spirit, tu dois toujours être en train de te battre pour prendre des points. Cela te fait aussi mieux performer en tant que gardien, parce que tu es davantage challengé à chaque match, et ton équipe a davantage besoin que tu sois décisif. Aujourd’hui, j’ai 30 ans, j’ai connu beaucoup de choses dans ma carrière, donc je peux plus facilement gérer cet aspect qu’un jeune gardien qui ne serait qu’au début de son parcours.
Tu as parfois été critiqué en début de saison. Comment l’as-tu vécu ?C’est toujours difficile quand tu changes de club, même sans changer de pays. Tu dois faire ce travail d’adaptation en partie tout seul. C’est normal qu’il y ait parfois quelques critiques : les gens doivent s’habituer à toi, et tu dois t’habituer aux gens. C’est encore plus vrai dans le cas d’un gardien. De mon point de vue, j’ai l’impression d’avoir été bon depuis que je suis arrivé, même si, bien sûr, certains matchs sont meilleurs que d’autres.
Pourquoi avoir fait le choix à 30 ans de goûter à autre chose que tes Pays-Bas et la Belgique (il a évolué à Genk entre 2014 et 2017, NDLR) ? Je suis arrivé à un certain point dans ma carrière et dans ma vie où, avec ma famille, nous voulions connaître autre chose, un nouveau départ, un nouveau pays. Je me préparais à partir depuis un an et demi, déjà. J’ai demandé à mes agents de me trouver un club. Je voulais des choses simples, jouer dans un championnat majeur et vivre près de la mer. Avec la Covid, les choses sont devenues plus incertaines, j’ai vu des amis arriver en fin de contrat sans pouvoir retrouver de club ensuite… Mais nous voulions quand même cette nouvelle aventure, et nous avons attendu que le bon club se présente.
Quelles sont les particularités de la Ligue 1 ?Pour moi le championnat de France, c’est vraiment le top niveau dans tous les aspects. Il y a des joueurs vraiment très talentueux. Quand tu joues à Brest, presque chaque équipe est meilleure que toi. C’est très différent des Pays-Bas, où tu gagnes plus souvent 4, 5 ou 6-0. C’est très précieux pour moi d’avoir la chance de jouer ici.
Tu as été formé à l’Ajax, dont le centre de formation est connu pour le style de football enseigné aux jeunes joueurs. Est-ce que cela change également quelque chose en tant que gardien ?La première chose que j’ai apprise là-bas, c’est à être mentalement très fort pour gérer tout type de situations. C’est ce qui m’a le plus aidé dans ma carrière. Ensuite bien sûr à l’Ajax, tu joues d’abord avec tes pieds, même les gardiens. À mon époque, les gardiens commençaient tout juste à être vus comme un cinquième défenseur, à participer à la création du jeu, au départ des actions. C’était la fin de l’image du portier old school qui ne sort jamais de ses six mètres. Par exemple, nous étions impliqués dans l’échauffement avec les autres joueurs, avec le ballon dans les pieds. On faisait des petits cinq-contre-cinq ou des toros. Ça durait peut-être quinze minutes au début de l’entraînement, mais après tu es bien chaud et quand tu fais ça tous les jours, tu progresses vite avec les pieds.
Tu as également eu la chance de jouer pour l’équipe nationale lors d’un match amical contre l’Espagne. Quel souvenir en gardes-tu ?C’était vraiment spécial, surtout que je faisais partie de la sélection à chaque fois lors des deux ou trois années précédentes. J’étais impliqué dans l’équipe et j’ai beaucoup sacrifié pour y rester. Je sentais que j’étais proche de jouer, mais des matchs ont été annulés en raison de la Covid, ça a duré longtemps. Donc le jour J c’était d’autant plus fort. C’était à domicile, à Amsterdam, dans la Johan-Cruyff Arena, contre les meilleurs joueurs espagnols… C’était vraiment fantastique.
Il y a quelques années, tu as aidé un réfugié érythréen à s’intégrer aux Pays-Bas. Qu’est-ce qui t’a poussé à faire ça ?J’habitais à Amsterdam à cette époque-là. Ma femme travaillait dans un bureau d’aide aux réfugiés, et nous voulions faire quelque chose d’utile dans la société, donc j’ai décidé de devenir « buddy ». Je l’accompagnais aux rendez-vous pour obtenir des papiers, on visitait la ville. Il avait quelques années de plus que moi, il devait avoir 31 ou 32 ans à ce moment-là. Je lui montrais la ville, je lui apprenais des choses sur l’histoire du pays. Ce sont des choses simples qui n’ont pas besoin de te coûter de l’argent, tu as juste besoin d’être là.
Quels souvenirs gardes-tu de cette expérience ?On allait à la piscine ensemble, il n’avait aucune idée de ce à quoi ça ressemblait. Il n’avait jamais vu la neige, non plus. Lui me racontait des moments de sa vie, pourquoi il est venu aux Pays-Bas… Un jour, je lui ai offert un billet pour un Ajax-AZ Alkmaar, où j’allais être dans les cages de AZ. Je ne lui avais jamais dit ce que je faisais dans la vie, que j’étais joueur de foot. C’était son premier match, dans un grand stade et on gagne (malgré 20 tirs subis, Marco Bizot garde sa cage inviolée et l’AZ s’impose 0-2, NDLR). Le lendemain, il était juste déçu d’avoir vu l’Ajax perdre le match. (Rires.) Je ne lui ai jamais dit que c’était en partie à cause de moi. Il ne m’avait pas reconnu, tu sais quand tu es au stade, dans l’ambiance, tu ne t’imagines pas que quelqu’un que tu connais peut être sur le terrain.
Propos recueillis par Tom Binet