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Makram Daboub, sélectionneur de la Palestine : « Je n’avais jamais vu un tel niveau de violence »
Cela fait dix ans que le Tunisien Makram Daboub (48 ans) vit en Palestine. Nommé sélectionneur national en avril, après avoir été membre du staff technique, l’ancien gardien de but de l’Espérance de Tunis et de Zarzis témoigne de la situation explosive qui prévaut depuis plusieurs jours dans la région, depuis que les hostilités entre le Hamas et Israël ont repris.
La sélection palestinienne doit disputer des matchs qualificatifs pour les Coupe d’Asie et du monde en juin prochain, en Arabie saoudite, puis un barrage de Coupe arabe de la FIFA, à Doha. Avez-vous la possibilité de préparer ces rencontres à peu près normalement ?On doit effectivement partir en Arabie saoudite le 25 mai, où nous jouerons le 3 juin contre Singapour, puis contre le Yémen le 15. Nous sommes éliminés de la Coupe du monde, mais ces matchs sont également qualificatifs pour la Coupe d’Asie 2023. Et nous avons comme objectif de nous qualifier pour cette compétition. Et on doit ensuite affronter les Comores à Doha, en barrages de la Coupe arabe de la FIFA, le 24 juin. Alors, comme il n’a jamais été question de ne pas jouer ces matchs, malgré la situation, nous sommes en stage depuis lundi, à quelques kilomètres de Ramallah. Nous avons décalé le début du regroupement d’une journée, car certains joueurs ne pouvaient être présents dès dimanche. Et à ce jour, il en manque encore six. On espère qu’ils vont pouvoir nous rejoindre.
Pourquoi n’ont-ils pas pu arriver à temps ?Pour des raisons de transport. Certaines routes ne sont pas sûres. J’ai appris que des colons jetaient des pierres ou tiraient sur des voitures conduites par des Palestiniens. Les joueurs sont prudents, ils attendent qu’il y ait plus de sécurité.
À Ramallah, les tensions sont-elles palpables ?Au centre-ville, ça va. C’est surtout aux abords de certains ronds-points, ou en périphérie de la ville, qu’il y a des affrontements avec les forces d’occupation. Lundi, par exemple, nous avons dû interrompre notre entraînement : les forces d’occupation ont utilisé des bombes lacrymogènes, et avec le vent, il était impossible de continuer à travailler à l’extérieur. Nous avons donc continué l’entraînement en salle, en faisant du gainage, de la musculation notamment. Il y a donc beaucoup de tension, d’affrontements. C’est le cas à Ramallah, où j’ai vu un avion lâcher une bombe à gaz, alors que des Palestiniens étaient regroupés, mais aussi dans d’autres villes de Cisjordanie, où il y a eu des morts et des blessés. D’ailleurs, depuis ce mardi, il y a dans les Territoires occupés une grève générale, afin de soutenir les habitants de Gaza, où beaucoup de civils, dont des enfants, meurent sous les bombardements. Et parfois, la nuit, on voit passer dans le ciel des roquettes, des missiles. C’est assez impressionnant.
Comment les joueurs et les membres palestiniens du staff vivent-ils cette situation ?Mal. Ils en parlent beaucoup. Ils sont inquiets pour leur famille, leurs proches. Cela faisait des années qu’il n’y avait pas eu une telle violence. Bien sûr, parfois, il y avait quelques affrontements ici et là, en Cisjordanie, notamment le vendredi. Mais ce n’était pas comparable. Les joueurs passent beaucoup de temps au téléphone, devant la télé ou sur les réseaux sociaux pour tenter de s’informer. Mais ils arrivent à se concentrer aussi sur notre préparation, sur nos matchs. Pour la sélection, une qualification pour la Coupe d’Asie serait l’occasion de donner un peu de joie aux Palestiniens.
Aviez-vous ressenti, avant l’embrasement de début mai, une tension particulièrement forte ?Cela fait plus de dix ans que je vis ici. Je sais que les choses peuvent s’aggraver très vite. Mais je ne m’attendais pas à ça. Je n’avais jamais vu un tel niveau de violence. C’est très inquiétant. Il y a déjà eu trop de morts, de blessés. Il faut que tout cela s’arrête vite, car les premières victimes sont comme toujours des civils, notamment des enfants, lesquels n’ont rien demandé. Il faut que les pays occidentaux et les pays arabes fassent en sorte de ramener la paix.
Avez-vous eu l’occasion, depuis que vous êtes lié à la fédération palestinienne, de vous rendre à Gaza ?Jamais ! C’est très difficile d’aller là-bas. Les seuls joueurs originaires de Gaza et qui jouent pour la sélection évoluent à l’étranger, dont Mahmoud Wadi, qui évoluent au FC Pyramids (Égypte). Pour lui, c’est souvent compliqué de venir en Cisjordanie pour les matchs internationaux. Ce serait évidemment intéressant d’aller à Gaza regarder des matchs du championnat local, il y a de bons joueurs qui y évoluent, mais malheureusement, c’est quasiment impossible.
En tant que Tunisien, avez-vous pensé quitter quelques jours la Palestine, de votre propre initiative, sur les conseils des autorités palestiniennes, ou sur ceux de votre pays ?Pas un instant ! Je suis solidaire des Palestiniens. Je suis là, je vis avec eux, j’ai une mission en tant que sélectionneur, il était hors de question que je parte. Je sais que ce n’est que du football, mais pour un peuple qui n’a pas le droit de sortir de Palestine, qui n’a pas beaucoup de loisirs, si nos victoires peuvent apporter un peu de réconfort, ce sera déjà ça…
Propos recueillis par Alexis Billebault