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Mais qui es-tu Mogi Bayat ?

Par Adrien Candau
7 minutes
Mais qui es-tu Mogi Bayat ?

Décrit comme le grand ordonnateur du marché du football belge par les médias du Royaume, l'agent de joueurs Mogi Bayat a été interpellé le 10 octobre dernier par la justice, qui le soupçonne d’avoir touché des commissions occultes sur plusieurs transferts. Portrait d'un type qui, à l'heure d'évoquer sa fortune, aurait déclaré ironiquement un jour : « Pour faire simple, on va dire que je suis le footballeur le mieux payé de Belgique. »

L’affaire avait coûté au FC Nantes au moins sept millions d’euros. Sept millions pour s’offrir les services d’Anthony Limbombé, milieu du FC Bruges et espoir du football belge. Le plus gros transfert de l’histoire de club. Une belle réussite, une de plus, pour l’agent Mogi Bayat, qui a supervisé la venue du joueur en Loire-Atlantique. Quelques mois plus tard, l’intermédiaire retrouve la lumière médiatique pour de toutes autres raisons : le voilà interpellé par la justice, en raison « d’indications de transactions financières suspectes » dans le cadre de plusieurs transferts de joueurs. La justice soupçonnerait Bayat d’avoir manipulé le transfert de plusieurs joueurs pour maximiser les sommes qu’il touchait, contre l’intérêt des parties pour lesquelles il travaillait. Et si l’affaire fait beaucoup de bruit en Belgique, c’est bien parce que la zone d’influence de l’agent est du genre massive.

Rien que cet été, outre le transfert de Limbombé, Bayat a entre autres fait transiter Samuel Kalu et Thomas Foket de La Gantoise à Bordeaux pour le premier, Reims pour le second. Un motif de fierté pour le bonhomme : « Ce sont trois transferts qui rapportent 20 millions d’euros aux clubs belges… J’ai participé au développement du football belge à l’étranger et au respect de notre football. » Bayat le sait et n’hésite pas à le crier haut et fort : dans le milieu du foot belge, il pèse lourd. Très lourd. L’aboutissement d’un parcours où il aura su capitaliser sur son sens des affaires et ses connections familiales.

Une histoire de famille

Retour en 1999. L’oncle de Mogi, Abbas Bayat, rachète alors Sunnyland, une entreprise de jus de fruits basée en Belgique et place son neveu Arnaud Bayat dans l’organigramme de sa société. Arnaud, un blase à la française qui n’est autre que le prénom tricolore de Mogi Bayat. Le futur super agent, issu d’une famille iranienne aisée, a vécu en France, notamment du côté de Cannes, et a opté pour ce prénom pour faciliter sa naturalisation. Mais ce sera bien sous le nom de Mogi Bayat qu’il sera communément désigné dans le milieu du football. Un milieu que Mogi va aussi découvrir en famille, une fois de plus. En 1999, Abbas Bayat achète aussi le club de Charleroi et ne tarde pas à nommer ses deux neveux, Mogi et son petit frère, Mehdi, à des postes à responsabilité. En 2003, Mogi Bayat devient directeur général du club. Une occasion rêvée pour se familiariser avec les arcanes du football belge : « Grâce à mon travail à Charleroi, j’ai appris à connaître le marché belge, et j’ai constitué un vaste réseau, reconnaissait d’ailleurs l’intéressé dans une interview accordée à L’Écho. J’ai travaillé dans un club et siégé au conseil d’administration de la Pro League. Je me suis occupé de droits de retransmission TV et de sponsoring. C’est ma chance : je connais beaucoup de monde en Belgique et à l’étranger. » Le nouveau venu apprend vite et bien. Rapidement, il se tisse un réseau solide au sein comme à l’extérieur du club. « À Charleroi, c’était presque le président, Abbas Bayat et son neveu Mogi qui faisaient l’équipe, géraient tout » , nous confiait en 2012 Jérémy Perbet, passé quelques mois par Charleroi en 2007 avant d’y revenir cette saison.

Le duo finira pourtant par se séparer, Abbas décidant de virer Mogi en raison de divers désaccords liés à la gestion sportive du club. Ils ne se réconcilieront jamais. Joint par Le Soir à la suite de l’interpellation de son neveu, Abbas ne s’est ainsi pas dérangé pour incendier gaiement Mogi. « J’ai constaté depuis longtemps qu’il perdait les pédales, oui. Le fait qu’il ait passé les examens pour l’obtention d’une licence d’agent alors qu’il était encore en activité(à Charleroi, N.D.L.R.) comme manager général en dit long. Mais ça, je ne l’ai appris qu’après. »

Agent provocateur

Il faut dire que Mogi a de la suite dans les idées. Fort de son carnet d’adresses et de son sens des affaires, il se reconvertit en agent de joueurs en 2010. À en croire certains médias belges, Bayat se serait construit des réseaux béton, notamment à Anderlecht, avec Herman van Holsbeeck, manager général de longue date du Sporting avant son licenciement en avril dernier, ou encore à Genk, avec l’ex-directeur général Dirk Degraen. Ses détracteurs, comme l’ancien agent Nenad Petrovic, qui a notamment représenté des joueurs comme Marouane Fellaini, n’y vont pas de main morte à l’heure de présenter ce qui caractériserait selon eux la méthode Bayat : « Il y a des axes. Charleroi – Anderlecht – Gand. Là-bas, Bayat est dans tous les deals, entrants et sortants, expliquait Petrovic à Sport/Foot Magazine en avril dernier. Il y a eu Genk aussi. Dirk Degraen a fini par se faire couper la tête à cause de ses accointances avec Bayat… Je prends un exemple saisissant. Quand Patrick De Koster (l’agent de Kevin De Bruyne, N.D.L.R.) transfère Idrissa Sylla de Waregem à Anderlecht, il est obligé de passer par Bayat et donc de partager la commission. De Koster est compétent pour gérer Kevin De Bruyne, mais il n’est pas compétent pour s’occuper seul de Sylla ? Comprenne qui pourra ! »

Des confidences en forme d’accusation, mais évidemment rien de tangible et de probant pour alors mettre Bayat en délicatesse avec la justice. Le principal intéressé reste d’ailleurs droit dans ses bottes. Ses succès dans le milieu ont bien sûr pu lui créer des inimitiés et susciter des jalousies. Lui prétend tout faire dans les règles de l’art : « Gandhi et Kennedy étaient également détestés » , balance-il à L’Écho en juin 2016. Homme médiatique, enclin à se confier à la presse belge et hyper actif sur Twitter, Bayat ne se doute alors pas qu’il sera mis sur écoute fin 2017, avec d’autres agents de joueurs, puis inculpé avec 18 autres personnes, de près ou de loin liées au football belge. « Attention, il y a deux affaires en jeu ici » souligne Thomas Peeters, économiste du sport à l’université d’Anvers. Celles des éventuelles fraudes sur les commissions de transfert et cette histoire de soupçons de matchs truqués. Bayat ne serait potentiellement concerné que par la première. »

La suite appartient à la justice, qui entendra un homme qui reste présumé innocent, comme n’ont pas manqué de le souligner ses avocats. Reste que le manque de régulations encadrant l’activité des agents au sein du marché belge fait grogner dans tout le Plat Pays. « Sauf que c’est plus facile à dire qu’à faire nuance Thomas Peeters. Vous pouvez mettre en place des règles, mais encore faut-il les appliquer. La Belgique n’est pas en position de le faire parce que les clubs du championnat belge sont économiquement très dépendants des transferts, et donc des agents. »

« Mais je crois qu’on peut quand même être plus sévère au niveau des régulations du métier d’agent en Belgique, estime Sébastien Ledure, avocat spécialisé dans l’économie du sport du cabinet Cresta. … Après, bien sûr, la Belgique est plombée par sa nature de championnat de transition. Depuis l’arrêt Bosman et l’avènement de la Ligue des champions, un gouffre s’est créé entre les grands championnats et les petits, qui n’ont pas accès à cette manne financière. Donc les clubs belges sont tributaires de deux principales sources de revenus : d’une part les droits TV, qui tournent autour de 80 millions d’euros par an pour tout le championnat, et les transferts. Voilà comment les clubs sont devenus tributaires des agents. Voilà la réalité économique du championnat belge. » Une réalité qui prend des airs de grosse impasse pour le foot du Royaume. De son côté, Mogi Bayat devrait entamer ce qui ressemble à une longue, très longue baston judiciaire, qui n’a sans doute pas fini de secouer la Belgique.

Dans cet article :
Mehdi Bayat : « Sans pognon, il n’y aurait plus de blason »
Dans cet article :

Par Adrien Candau

Propos de Thomas Peeters et Sébastien Ledure recueillis par AC, autres propos issus de L'Écho, Le Soir et Sport/Foot Magazine.

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