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Mais qu’est devenu l’Anzhi Makhatchkala ?

Par Éric Maggiori
7 minutes
Mais qu’est devenu l’Anzhi Makhatchkala ?

Il y a neuf ans, l'Anzhi Makhatchkala était racheté par le milliardaire Suleyman Kerimov, et se payait des joueurs comme Roberto Carlos, Eto'o ou Willian. Aujourd'hui, l'Anzhi a revendu toutes ses stars, n'a plus un rond, et touche le fond de la troisième division. Retour sur une incroyable ascension, et une tout aussi incroyable chute.

Makhatchkala, samedi 12 octobre 2019. À l’Anzhi-Arena3 a lieu un derby inédit entre le FK Makhatchkala, club fondé en 2019, et l’Anzhi Makhatchkala, équipe météore des années 2010. Le stade, d’une capacité de 31 000 places, sonne creux. Et pour cause, cette rencontre oppose le 8e au 15e de troisième division russe. Un seul but, en faveur du FK Mackhachkala. Il est inscrit sur penalty par Gazimagomedov à la 70e minute. Drôle : Gazimagomedov a évolué à l’Anzhi de 2014 à 2017. Après cette défaite, l’Anzhi pointe à une triste 15e place de D3. Il y a sept ans, jour pour jour, l’Anzhi s’imposait 2-0 sur la pelouse du Dinamo Moscou avec des buts de Zhirkov et Eto’o, et caracolait en tête de la Premier League russe. Mais bordel, que s’est-il passé ?

Un outil pour véhiculer ses idées

Petit retour en arrière pour replanter le contexte. La date clef est le 18 janvier 2011. Ce jour-là, le milliardaire russe Suleyman Kerimov décide de racheter l’Anzhi Makhatchkala, un modeste club du Daghestan qui végète en deuxième division, et vient éventuellement passer une tête en D1 de temps en temps. Le club appartenait précédemment au président du Daghestan, Magomedsalam Magomedov, et à l’homme d’affaires Igor Yakovlev, ce qui laisse entendre que le rachat n’est pas motivé que par des ambitions sportives, mais bien par des desseins politiques. Peu importe : dès sa prise de fonction, Kerimov annonce immédiatement la couleur. Il veut faire de l’Anzhi le plus grand club russe, parle même de gagner la Ligue des champions. Comment ? En effaçant la dette du club (près de 130 millions d’euros) et en promettant, en plus, un investissement de plus de 250 millions d’euros pour acheter des joueurs et construire un nouveau stade.

Le premier coup médiatique est l’arrivée de Roberto Carlos, en mars 2011. Le second, plus bruyant, plus impressionnant, est la signature en août 2011 de Samuel Eto’o, vainqueur des Ligue des champions 2009 et 2010 avec le Barça et l’Inter. Un coup qui prouve que Kerimov n’est pas là pour rigoler, aussi bien en football qu’en politique : au même moment, il fait part de son intention de devenir président du Daghestan. L’Anzhi est son outil pour véhiculer ses idées et ses ambitions. Le club doit donc monter en puissance : Guus Hiddink débarque sur le banc en février 2012, avant que de nouvelles grosses pointures, à l’instar de Lassana Diarra, ne le rejoignent. Au début de la saison 2012-2013, ça y est, l’Anzhi s’empare de la tête du championnat russe. Les rêves de titre sont cultivés jusqu’à la fin de la saison (Willian arrive en renfort en janvier), même si c’est finalement le CSKA Moscou qui triomphe, l’Anzhi se classant troisième et se qualifiant à nouveau pour la Ligue Europa.

157,85 millions d’euros encaissés

La saison 2013-2014 aurait dû être celle de la consécration. Celle où, selon la ligne fixée par Kerimov, l’Anzhi s’offre un beau parcours en Europe (élimination en huitièmes contre Newcastle la saison précédente) et remporte son premier championnat russe. Il n’en sera rien. Malgré les arrivées des internationaux russes Aleksandr Kokorin et Igor Denisov, l’Anzhi patine en début de saison. Dès la première journée, Guus Hiddink, qui a certainement flairé le mauvais coup, démissionne. Puis tout fout le camp, brutalement. Kokorin et Denisov, à peine arrivés, se tirent au Dynamo Moscou. Eto’o file à Chelsea, et Lassana Diarra se barre au Lokomotiv Moscou. En tout, le club revend en quelques jours 25 joueurs pour un total de 157,85 millions d’euros.

En off, on dit que Kerimov est impatient et ne supporte pas de ne pas gagner tout de suite. Officiellement, lui annonce que ceci n’est qu’ « un changement de stratégie » , avec une intention de « re-développer des jeunes talents originaires du Daghestan » . En réalité, le milliardaire fait face à des problèmes de santé, vient de perdre des centaines de millions d’euros dans son business d’engrais en Biélorussie, et est poursuivi pour crimes par Interpol. Entre autres. Ces différents scandales mettent un terme à ses ambitions politiques et, dès lors, l’homme n’a plus aucun intérêt à se servir de l’Anzhi comme d’un élément pour véhiculer ses idées. Kerimov fait alors profil bas, et se met en retrait du projet Anzhi. Sportivement, ce changement total de direction a des répercussions catastrophiques sur l’équipe : l’Anzhi termine la saison 2013-2014 à la dernière place et est relégué en deuxième division. Un an après avoir lutté pour le titre.

La zone la plus dangereuse d’Europe

Après le redimensionnement (et malgré le fait que le club appartienne toujours à Kerimov), l’Anzhi redevient exactement ce qu’il était avant : un club de D2 qui vient faire coucou à la D1 de temps à autre. L’équipe, qui avait déménagé à Moscou pendant la période dorée, revient au Daghestan, et doit faire face aux difficultés politiques et criminelles d’une zone considérée comme « la plus dangereuse d’Europe » . En janvier 2015, un jeune joueur de l’Anzhi de 20 ans, Gasan Magomedov (aucun lien de parenté avec l’ancien président) est tué par balles devant la maison de ses parents. L’enquête déterminera qu’il n’était « pas la cible visée par les tireurs » . Malgré cette tragédie, à la fin de la saison, l’Anzhi termine deuxième de D2 et remonte donc en D1, avec un Yannick Boli (arrivé pour 600 000 euros !) qui termine meilleur buteur de D2.

Le retour en D1 est néanmoins chaotique. L’oligarque ukraino-arménien Oleg Mkrtchyan, proche de Kerimov, arrive au club pour, officiellement, aider au développement (et à la revente) des jeunes de l’Académie.

Oleg Mkrtchyan

Mais le bordel est toujours ambiant : le nouveau coach est viré au bout de dix journées, avec le club enlisé à la dernière position. Son remplaçant, Ruslan Agalarov, né à Makhatchkala, parvient à sauver miraculeusement le club, au terme des barrages pour ne pas descendre. La saison 2016-2017 débute avec les arrivées de nouveaux joueurs (probablement aidées par le clan Mkrtchyan) et celle d’un nouveau coach, Pavel Vrba, ancien sélectionneur tchèque. En décembre 2016, Kerimov revend définitivement le club à l’homme d’affaires local et ancien propriétaire du défunt Dynamo Makhatchkala, Osman Kadiev, finissant de faire rentrer l’Anzhi dans le rang. L’objectif de Kadiev est s’installer durablement le club en D1, sans prétention, loin des ambitions passées de toute sorte. La présidence de Kadiev semble, dans un premier temps, apporter de la stabilité et de la sérénité : l’Anzhi se classe à la 12e place, se permettant même le luxe, au cours de la saison, de tenir deux fois en respect le Zénith (2-2, 1-1).

Rétrogradation en D3

Mais l’histoire aurait été trop belle si le club s’était juste stabilisé dans le ventre mou de la Premier League russe. En effet, de nouveaux déboires guettent le club de Makhatchkala. Sportifs, d’abord. L’Anzhi termine avant-dernier de la Premier League 2017-2018, et se fait démonter lors du barrage contre le FK Ienisseï Krasnoïarsk. Direction la D2. Mais pendant l’été, l’Amkar Perm fait faillite et la Fédération russe repêche donc l’Anzhi, lui offrant une nouvelle place parmi l’élite. Financiers, ensuite. De fait, le club est en proie à de gros problèmes économiques, hérités des successives gestions calamiteuses de Kerimov et de Mkrtchyan. Le nouveau président Kadiev demande une aide financière à l’État du Daghestan. La réponse du ministre des Finances, Ali Islamov, est tranchante. « Il n’est pas possible de trouver une solution au problème, car l’organisation d’une société civile doit être gérée par ses fondateurs, ses sponsors, et ses activités commerciales non interdites par la loi. » En gros : vous vous êtes mis dans la merde tout seuls, maintenant démerdez-vous.

En apnée, l’Anzhi parvient à aller jusqu’au bout de la saison 2018-2019. Mais arrive sur la ligne d’arrivée en piteux état. Avant-dernier, seulement cinq victoires, et une deuxième partie de saison chaotique avec douze matchs sans victoire. Cette fois-ci, pas de repêchage, le club est bien rétrogradé en D2. Pire : le 15 mai 2019, le directeur général, Absalutdin Agaragimov, annonce que le club ne pourra pas s’inscrire à la deuxième division, faute de moyens financiers. Deux choix s’offrent alors : soit une banqueroute totale, soit une inscription à la D3 sous conditions. L’Anzhi choisit d’exister encore et intègre donc la troisième division, avec l’impossibilité de signer des nouveaux joueurs. La nouvelle équipe est donc composée en majeure partie des U20… Après 13 journées, elle pointe à l’avant-dernière place, avec un bilan de deux victoires, cinq défaites et six nuls. Ce samedi, elle disputera un autre derby, face au Legion Dynamo Makhatchkala. En repensant à ce mois d’octobre 2012, où le club regardait le football russe du haut de sa première place.

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