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Luis Díaz, total régal

Par Matthieu Darbas, avec Anna Carreau
10 minutes
Luis Díaz, total régal

Après avoir fait le bonheur du FC Porto pendant plus de deux ans, Luis Díaz, 25 ans, a franchi un cap cet hiver en rejoignant Liverpool, avec qui il s'apprête à affronter l'Inter Milan ce mercredi. Près de trois ans après son départ de Colombie, El Fideo vit une nouvelle étape dans une aventure débutée dans l'une des régions les plus touchées par la crise humanitaire. Retour sur la trajectoire délirante d'un mort de faim.

« Tout le monde peut cuisiner. » Voici comment le chef étoilé Gusteau a persuadé Rémy de quitter les égouts de la capitale pour s’épanouir dans le restaurant de son idole. Bien loin des caves à vin et des réserves de nourriture de Ratatouille, l’histoire de Luis Díaz pourrait sans nul doute rejoindre à son tour le gratin du box-office si un réalisateur se décidait à la mettre en images. Le parallèle avec un film Disney n’a rien d’aberrant tant la trajectoire du nouveau joueur de Liverpool est surréaliste. Frappé de plein fouet par la malnutrition à sa naissance, le natif de Barrancas a su trouver le moyen de grimper les échelons du football colombien dans l’une des régions du monde les plus touchées par la crise humanitaire : La Guajira. Et une preuve supplémentaire qu’un ballon rond peut définitivement sauver des vies.

Le gouvernement file des sacs avec l’équivalent de vingt jours de repas aux familles les plus touchées. Sauf que ce n’est destiné qu’aux enfants. Et souvent, les parents piochent dans les sacs pour se nourrir. Finalement, il n’y a plus rien dans le sac après huit jours.

La faim justifie les moyens

« Luis Díaz vient d’une famille extrêmement précaire, qui devait se battre tous les jours pour survivre. Si tout allait bien, ils avaient deux repas par jour. Dans cette région, c’est quelque chose de normal », témoigne John « Pocillo » Diaz, l’un des tout premiers formateurs de l’ailier des Reds. La Guajira est située au nord de la Colombie, à la frontière avec le Venezuela, et est un territoire de la communauté Wayuu, mais aussi l’une des zones les plus négligées par le gouvernement colombien. Preuve en est : entre 2008 et 2016, 4770 enfants y ont perdu la vie. De nombreuses organisations non gouvernementales se battent depuis plus de dix ans sur place et tentent de trouver des solutions pour combattre ces carences mortelles. Parmi elles, la FUNCAI, Fundación Caminos de Identidad, est au plus près des populations vulnérables. « Cette région et ses peuples courent un très grand danger chaque jour qui passe. À cause de la grande sécheresse et de l’impossibilité de produire quoi que ce soit, La Guajira est gravement touchée par la crise alimentaire », décrypte César Arismendi, membre de l’ONG.

Sans eau, sans pluie et sans nourriture, les Wayuu cherchent coûte que coûte à survivre au désert aride et à l’extrême pauvreté. C’est à Barrancas, septième ville la plus peuplée de La Guajira, que Luis Díaz est venu au monde. Né d’une père et d’une mère wayuu, l’international colombien (33 sélections) a rapidement été rattrapé par la réalité. « Parmi ces 5000 enfants morts, il n’y pas que de la malnutrition. Il y a aussi de la mortalité infantile, des enfants qui sont morts avant même de naître, d’autres qui sont considérablement touchés par des maladies grippales, des infections dues à des animaux… », ajoute César. Malgré quelques kilos en moins, Luis Díaz fait partie des chanceux qui ont grandi dans une maison, non loin des déserts, « là où la situation est catastrophique », affirme le membre de la FUNCAI, avant d’assurer que les aides de l’État pour les habitants des villes sont loin d’être suffisantes : « Le gouvernement colombien file des sacs avec l’équivalent de vingt jours de repas aux familles les plus touchées, sauf que ce n’est destiné qu’aux enfants. Les parents piochent donc souvent dans les sacs pour se nourrir. Finalement, il n’y a plus rien dans le sac après huit jours. »

Happy nouille year

C’est dans ce contexte chaotique que Luis Díaz finit par croiser le chemin du foot juste en face de chez lui. César Arismendi explique : « Les Wayuu ont un fort attrait pour le foot, un sport qu’ils pratiquent facilement en assemblant des chiffons pour former un ballon et en plaçant des cailloux pour délimiter les buts. Tout ça, pieds nus. » « Le père de Luis l’a rapidement entraîné, enchaîne John « Pocillo » Diaz. Tous les jours, il lui apprenait des choses techniques et mentales. Son père est un très grand fan de football et tient même une école de foot à Barrancas, qu’il a lui-même créée il y a 25 ans. » Son objectif intime ? Faire de son fils le meilleur joueur de l’école et le présenter aux recruteurs de l’un des plus gros clubs de la région : le Barranquilla FC, situé à 330 kilomètres du domicile familial.

Dès qu’on l’a vu jouer, la magie est apparue. Mais il y avait un problème : c’était une nouille.

Ce jour arrive en janvier 2015. La suite est racontée par Fernel Díaz, le coordinateur et directeur adjoint du centre de formation de l’équipe de deuxième division colombienne : « Luis est arrivé à la détection avec son père et d’autres joueurs de son club. Dès qu’on l’a vu jouer, la magie est apparue. Mais il y avait un problème : c’était une « nouille ». Normalement, les joueurs rentrent chez eux après une journée de tests. Lui est resté durant vingt jours, jusqu’à ce qu’on se décide à le garder et qu’il rejoigne notre académie. » Heureux de voir son fils se rapprocher du monde pro, le père de Luis Díaz tire toutefois la tronche lorsqu’il apprend que son bijou va manquer de temps de jeu à Barranquilla. « Chez les jeunes, on avait deux catégories : les U17 et les U20, éclaire Fernel Díaz. Il lui manquait encore certaines compétences pour être avec les U20, mais il fallait qu’il ait du temps de jeu. On a donc créé un tournoi avec les U18 de la région, presque pour lui, mais ça n’a duré que quelques mois. » Une autre solution est trouvée : avec l’accord de son club, le jeune Wayuu, alors âgé de 18 ans, décide de partir à l’aventure avec la sélection indigène de Colombie.

Oui, cette sélection existe, regroupe toutes les communautés indigènes du pays et est dirigée par l’illustre Carlos Valderrama. Pour remplir ses rangs, les quatre meilleures équipes de chaque région sont toutes amenées à se présenter à Bogota pour une large détection et une série de tests. Petit prince de La Guajira, Luis Díaz se prépare alors à faire les quinze heures de bus qui pourraient lui permettre d’ajouter son nom à la liste de 24 joueurs retenus pour partir au Chili à l’été 2015. « Le père de Luis n’avait pas d’argent. Il a organisé des sortes de tombolas et aidé les commerçants dans les petits marchés pour emmener seize gamins à la sélection », rejoue John « Pocillo » Díaz. Sur place, près de 400 candidats se massent avec l’ambition d’arracher un ticket d’or. Pour les départager, des exercices, basiques et complexes, sont mis en place sur l’un des terrains de la capitale colombienne. John « Pocillo » Díaz, adjoint de Valderrama pour l’occasion, complète : « On les a tous regardés et choisis pour leur condition physique et leur attitude. On a longuement discuté avec Valderrama sur leur possible position sur le terrain, ce qu’ils pouvaient apporter collectivement et individuellement… Il n’y avait rien à faire : le premier dans tous les exercices, c’était Luis. On était impressionné. Avec Carlos, on s’est dit qu’il était frappant de voir un jeune avec la peau sur les os jouer aussi bien. » Évidemment, un mois plus tard, Luis Díaz fait partie des 24 élus avec cinq autres de ses coéquipiers. L’ethnie wayuu est alors la plus représentée de la sélection, mais c’est une autre image qui reste dans toutes les têtes : l’arrivée au stage, organisé à Bogota, du jeune Luis, « en short et en chemisette ». « Il faisait froid, donc on est tout de suite parti lui acheter des chaussures et des vêtements pour qu’il se couvre », sourit encore John « Pocillo » Díaz. L’aventure peut commencer.

Quand il a eu la possibilité de monter dans un avion aussi grand, d’avoir des menus de footballeur professionnel et de pouvoir se resservir, d’être dans un hôtel cinq étoiles, de partager toutes ses journées avec ses coéquipiers en rassemblement… Il est devenu complètement fou.

Un sacré coup de pâtes

Très attendu à cette Copa América des peuples indigènes, le cas Luis Díaz travaille ses formateurs : à cause de sa malnutrition, le jeune prodige, pourtant pétri de talent, manque de force pour lever le ballon et frapper. Il s’agit également du premier grand tournoi de la pépite, ce qui amène plusieurs problématiques sur la table. « On a tout de suite vu qu’il manquait de repères. Quand on le mettait attaquant, il était très rapide et allait tout droit sans lever la tête. Il dribblait tout le monde, mais il est arrivé qu’il traverse tout le terrain et passe la ligne de but en oubliant de tirer », se marre John « Pocillo » Díaz. Le gosse n’a pas le choix : il faut atteindre un poids de forme raisonnable. L’équipe médicale de la sélection lui prévoit donc un régime spécial. Pendant vingt jours, le joueur va s’envoyer cinq repas quotidiens, dont une grosse quantité de pâtes, mais également énormément de protéines. En un mois, Luis Díaz va alors prendre quatre kilos qui vont avoir des conséquences directes : désormais, l’attaquant peut tirer plus fort et davantage résister aux chocs. Ainsi, Carlos Valderrama va titulariser le joueur sur l’aile gauche de son attaque, où le petit format, deuxième meilleur buteur du tournoi, va donner le tournis aux défenseurs adverses et porter sa sélection jusqu’à une finale perdue face au Paraguay. Plus rien ne sera comme avant : le jeune Luis revient chez lui épanoui, heureux, nourri. John « Pocillo » Díaz conclut : « Quand il a eu la possibilité de monter dans un avion aussi grand, d’avoir des menus de footballeur professionnel et de pouvoir se resservir, d’être dans un hôtel cinq étoiles, de partager toutes ses journées avec ses coéquipiers en rassemblement… Il est devenu complètement fou. Toutes ces choses l’ont fait mûrir jusqu’à ce qu’il devienne le joueur qu’il est aujourd’hui. »

De retour à Barranquilla, Luis Díaz intègre enfin les U20 de son club et va même goûter à quelques apparitions avec l’équipe première. Toujours suivi par des nutritionnistes, il va surtout s’épaissir et complètement exploser en deuxième division colombienne. Avec l’appui de Valderrama, la promesse va voir l’Atlético Junior, un club de première division affilié à Barranquilla, lui offrir un pont d’or. Bilan : deux saisons, 20 buts, sept passes décisives, et rapidement de nombreux clubs européens (le Zénith, Cardiff et Porto) sur les basques. Présidé par le maire de Barranquilla, Alejandro Char, aujourd’hui candidat aux élections présidentielles, l’Atlético Junior va dans un premier temps retenir le joueur, notamment via Alejandro Char qui aurait offert à Luis Díaz une grosse cylindrée, une nouvelle maison et le numéro 10. Vrai ou faux ? Toujours est-il que le 14 janvier 2019, Luis Díaz prolonge pour trois ans avec… un nouveau numéro dans le dos.

À l’évocation de ces cadeaux, Fernel Diaz, qui était l’assistant technique du club de première division à cette époque, raccroche. Si les médias colombiens ont toujours assuré que Luis Díaz n’avait rien refusé, le joueur, lui, n’a jamais confirmé l’information. La suite est plus importante : arrivée au FC Porto lors de l’été 2019 contre un chèque de sept millions d’euros, l’ancienne nouille a confirmé en Europe, gagné ses premiers titres avec les Dragons, gratté ses premières capes internationales, terminé dans l’équipe type de la dernière Copa América et a donc rejoint Liverpool cet hiver pour 45 millions d’euros hors bonus. Hors norme. « J’aimerais que maintenant, comme son nouveau coéquipier Sadio Mané le fait avec le Sénégal, Luis Díaz répète ce schéma et investisse dans son village pour améliorer les conditions de vie de son peuple », assène César Arismendi. Luis Díaz a déjà répondu à son appel, puisque le terrain en terre battue de son enfance va prochainement être recouvert d’une belle pelouse verte. Étape par étape, le Colombien n’a pas oublié d’où il vient, même s’il vit désormais dans les beaux quartiers du Merseyside, à 4859 kilomètres de sa ville natale, et avec 67 kilos sur la balance.

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Par Matthieu Darbas, avec Anna Carreau

Tous propos recueillis par AC.

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