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Lovro Majer : « Genesio est le meilleur coach avec lequel j’ai travaillé »
À 24 ans, Lovro Majer a disputé lundi dernier, à Split, le cinquante-cinquième match d'une saison qu'il a débutée au début du mois de juillet 2021 avec le Dinamo Zagreb. Entre-temps, l'élégant croate s'est fait un nom en Ligue 1 avec le Stade rennais et est devenu un international clé aux yeux de son sélectionneur, Zlatko Dalić. Au lendemain de sa rencontre avec les Bleus, il a accepté de se retourner sur une première saison bretonne à 6 buts et 8 passes décisives toutes compétitions confondues.
Quand tu as quitté la Croatie pour signer à Rennes lors de l’été 2021, certaines personnes au pays ont eu peur que tu exploses physiquement en Ligue 1. As-tu eu peur, toi aussi ? C’est vrai que pas mal d’experts du foot en Croatie ont dit à l’époque que d’aller en Ligue 1 était peut-être le choix le plus difficile et le moins adapté à mes qualités, mais moi, je n’ai jamais eu peur. Je savais que j’avais besoin d’un nouveau défi pour découvrir de nouvelles limites, passer de nouvelles étapes en tant que joueur, et Rennes a rapidement été le club parfait pour ça à mes yeux. Avant de signer, j’ai vu l’équipe jouer, je savais que le coach aimait jouer, créer des choses, produire un football positif, je me suis aussi renseigné sur la façon dont le club travaillait avec les jeunes joueurs… Je ne connaissais pas énormément de choses sur la ville, mais je sentais vraiment que ça pouvait être le bon projet pour moi.
Ton sélectionneur, Zlatko Dalić, a poussé pour cette option et avait estimé, de son côté, que le fait d’aller en Ligue 1 pouvait te faire mûrir tactiquement.Et il avait raison. Le championnat croate est un bon championnat, mais les structures, que ce soit les pelouses ou les stades, ne sont pas au même niveau qu’en France. Autre chose : en Croatie, il y a beaucoup de joueurs de bon niveau sur le plan technique, mais tactiquement et physiquement, le championnat est incomparable avec la Ligue 1. Aujourd’hui, je ne suis plus le même joueur. Je suis arrivé à Rennes à la fin du mercato d’été, ce qui fait donc environ dix mois, et j’ai énormément progressé grâce au club, au staff…
Voir un joueur croate réussir à s’adapter aussi rapidement dans un championnat étranger est finalement devenu assez rare. Ces dernières années, on en a vu beaucoup partir du pays, puis se casser les dents. Qu’est-ce qui a fait la différence dans ton cas ? Beaucoup de joueurs pensent que leurs qualités de base et leur talent suffisent, mais dès mon premier jour à Rennes, je savais que j’allais devoir travailler encore plus dur, mais aussi plus intelligemment qu’avant. Sans quelques petits changements dans mon travail au quotidien, je n’aurais jamais pu réaliser une saison comme ça.
Quel rôle a eu Bruno Genesio dans cette évolution ?Pour moi, c’est un super coach, sans doute le meilleur avec lequel j’ai travaillé depuis le début de ma carrière, honnêtement. C’est quelqu’un qui sait vous mettre dans les conditions idéales, aux entraînements comme lors des matchs, et qui a une approche très moderne du jeu, que ce soit offensivement ou défensivement. Je pense que beaucoup de joueurs apprécient vraiment de travailler avec lui. Le football qu’on propose avec Rennes est clairement celui que j’aime regarder : un football vivant, attrayant, avec beaucoup de buts… Ce n’est que du plaisir.
Concrètement, quelle est ta mission dans le projet de jeu du coach ?Le projet n’a pas été construit autour des qualités d’un ou deux joueurs, mais vraiment autour des qualités de l’ensemble des joueurs du groupe. Ma mission là-dedans est finalement assez simple. Quand je dis simple, c’est qu’il ne m’a jamais dit : « Lovro, voilà les dix choses que tu dois absolument faire. » C’est plutôt deux-trois consignes précises à chaque fois, pour s’assurer que l’ensemble reste cohérent. Il insiste énormément sur le fait de courir comme un tout, presser comme un tout, attaquer comme un tout. Offensivement, le coach nous pousse aussi à exprimer notre créativité. Il veut que les ailiers, les relayeurs, tout le monde soit assez libre, que l’on combine rapidement, que l’on enchaîne en une ou deux touches de balle. Il ne nous laisse pas faire ce que l’on veut, mais il veut, grâce au système, que chacun puisse exprimer ses idées. Je fais finalement la même chose que quand j’étais au Dinamo, mais avec plus de vitesse, plus de répétitions. Ça oblige forcément à réfléchir plus rapidement. Un exemple : je pense que je presse aujourd’hui plus intelligemment qu’avant.
Tu as complètement explosé aux yeux de la Ligue 1 lors du match face à Lyon (4-1), en novembre, où on a eu le sentiment que tu connectais avec tes coéquipiers comme si tu évoluais avec eux depuis déjà trois ou quatre saisons. Tu as eu ce sentiment aussi ?Oui, il y a eu ce sentiment de connexion rapide, d’être au club depuis plus longtemps que je ne le suis vraiment, mais ça s’explique assez simplement. Que ce soit dans le foot et dans ma vie privée, je vis la meilleure période de ma vie. Je suis heureux, je me sens très bien physiquement, très bien mentalement. Ce match contre Lyon, c’était en plus en novembre, donc je n’arrivais pas encore à très bien communiquer avec mes coéquipiers à cette époque. Je venais juste de faire mon premier match complet contre Mura et ils ont été sincèrement formidables. Tous les joueurs m’ont aidé depuis le premier jour et m’ont facilité les choses. Sportivement, ça n’a en plus pas été simple tout de suite, car je me suis blessé à la hanche avec la sélection début septembre. Je suis resté quelques semaines sur le côté, mais ça m’a aussi permis de pouvoir prendre le temps de m’adapter à l’environnement, et si je me retourne aujourd’hui, je suis clair : cette saison n’aurait pas pu mieux se passer.
Tu as pu prendre le temps de découvrir un peu la région ?Bien sûr. Je suis allé à Saint-Malo, au Mont-Saint-Michel… On n’est pas encore allé à Dinard, mais c’est sur notre liste. C’est aussi le super côté de cette saison : avec ma copine, on se sent très bien dans la région, les gens en ville sont très gentils, il y a une atmosphère très positive à tous les niveaux et c’est une clé essentielle pour bien performer. Ce match contre Lyon lors de la première partie de saison a aidé à lancer totalement cette spirale. Après ça, je me suis senti à 100% intégré dans l’équipe, en confiance. Un joueur a besoin de ressentir tout ça, de voir qu’il est au niveau. Ce n’est pas simplement : « Je n’ai peur de personne, ça va le faire. » Ce jour-là contre Lyon, j’ai compris que je pourrais exprimer mes qualités en Ligue 1 et que j’avais le niveau pour le Stade rennais.
Ta bonne saison t’a aussi aidé avec la sélection puisque tu as enchaîné plusieurs matchs depuis novembre. (Il coupe.) Dès que j’ai signé à Rennes, il y a eu ce changement instantané : j’ai tout de suite été appelé, j’ai eu quelques titularisations, ça s’est vite enchaîné. Cette saison est vraiment unique à tous les niveaux et elle a commencé il y a très longtemps parce que j’ai joué mon premier match le 6 juillet, avec le Dinamo, en Ligue des champions. Avant d’arriver à Rennes, j’ai disputé treize matchs en un été, ce qui est quand même assez énorme. Là, je suis en sélection jusqu’à la semaine prochaine, et ça va donc faire presque une boucle d’un an remplie de matchs. Je ne me sens pas fatigué, je me sens encore au point physiquement, motivé… Je cherche simplement à progresser, encore et encore.
Tu as affronté l’équipe de France lundi soir, où tu as pu revoir pas mal de joueurs de Ligue 1. Tu as aidé le sélectionneur à préparer la rencontre ?Quand même pas (rires), mais c’était bien de jouer contre l’équipe de France. C’était un bon match, pas très ouvert, parce que les deux équipes ont longtemps été bien en place. J’ai eu l’impression que chacun a d’abord cherché à ne pas faire d’erreur. Tactiquement, je pense que ça a été un bon match pour les deux équipes et, comme souvent quand c’est comme ça, le score final (1-1) a été plutôt juste.
En sélection, même si tu viens souvent à l’intérieur du jeu, tu n’as pas exactement le même rôle qu’en club. Qu’est-ce que te demande Zlatko Dalić ? C’est vrai que je joue plus sur l’aile droite, que ce n’est pas la position que j’occupe le plus souvent, mais je prends quand même du plaisir. Après, comme tu l’as dit, je ne suis pas un ailier traditionnel, donc je cherche à m’intégrer autant que possible dans le cœur du jeu, de venir créer des supériorités numériques, de trouver des failles dans l’organisation adverse.
Tu évolues très proche de Luka Modrić. Est-ce que tu réussis à prélever au passage quelques détails de son jeu ? Luka est le meilleur joueur de l’histoire des Balkans, il a déjà presque tout gagné, mais il continue d’être bluffant au quotidien. C’est surtout ça que je regarde : il a 36 ans, il arrive chaque matin motivé comme si c’était le premier entraînement de sa carrière, il est toujours à 100%. J’essaie d’apprendre de tout le monde, je n’ai jamais eu honte de poser des questions aux autres joueurs, notamment aux plus expérimentés. Luka ne m’a pas forcément conseillé quand j’ai quitté la Croatie, mais je me souviens qu’il m’a un jour dit de toujours apprécier le foot comme un jeu, de toujours travailler autant que possible sur mon corps et que derrière, quand tu es dans cet état d’esprit, les résultats viennent automatiquement.
Tu parles de prendre soin de ton corps. Jusqu’ici, tu as toujours été hyper au point sur le sommeil, la nourriture, tu travailles aussi avec un entraîneur personnel… (Il sourit.) Si j’ai réussi à être transféré un jour à Rennes, c’est justement parce que j’ai travaillé dur et que j’ai toujours cherché à me former. Par exemple, je sais que j’ai toujours été un joueur très technique, physiquement plutôt en forme, mais que je n’ai jamais été le joueur le plus rapide. À force d’exercices, de répétitions, j’ai progressé sur ce point. Après, je pense que ces derniers mois m’ont fait grandir et que je travaille désormais un peu plus intelligemment. L’avant-entraînement, l’après-entraînement, la récupération, la nourriture, tout est dans le détail, et si j’ai connu une si bonne saison, je pense que je le dois aussi à Thomas Choinard, le responsable performance à Rennes. Son travail avec les joueurs est vraiment incroyable : il prépare ton corps du mieux possible, et ce n’est pas pour rien que l’effectif n’a pas connu beaucoup de blessures cette saison. Si on met de côté la blessure que j’ai eue quand je suis arrivé en France, je n’ai manqué qu’une seule rencontre de championnat.
Et tu as lâché ta manette de PlayStation ou pas du tout ?(Rires.) Quand j’étais plus jeune, c’est vrai que je jouais beaucoup, que j’ai même fait des tournois en ligne en Croatie, mais aujourd’hui, c’est plus rare, ce n’est plus aussi fou qu’avant ! Malheureusement, mes coéquipiers à Rennes jouent à d’autres jeux que moi, donc je joue le plus souvent tout seul. Moi, c’est Call of Duty, mais le 2, un ancien, et Counter-Strike. Eux, c’est plutôt FIFA, Rocket League ou Black Ops.
Ces derniers mois, ton nom a été évoqué dans plusieurs clubs. Toi, tu te vois faire quoi ?En ce moment, comme je l’ai dit, tout va bien. Je pense que je suis dans une bonne période, que j’ai fait une bonne première saison en France, que les choses se passent bien avec la sélection, mais que je peux aussi encore progresser dans plusieurs domaines. Par exemple, je sais que je dois encore progresser dans mon jeu de tête. Même si j’ai déjà marqué trois buts dans ma carrière, ce qui est quand même fou pour moi, ça n’a jamais été mon truc. Je sais que plusieurs choses s’écrivent sur mon avenir, mais l’intérêt d’autres clubs, je le prends pour le moment seulement comme une confirmation que je fais bien les choses. Je suis heureux à Rennes, j’aime la ville, le club, je continue d’apprendre le français… Pour le moment, j’ai une ou deux leçons par semaine, mais encore une saison, et je pourrai encore mieux parler la langue.
Propos recueillis par Maxime Brigand et Anna Carreau, à Split